Le miracle de la retouche photo

Les industriels de la cosmétique, comme ceux de la mode et des magazines, usent et abusent de Photoshop, le célèbre logiciel de retouche et de traitement des images. Pas un seul visuel publicitaire de L’Oréal, pas une seule couverture de Marie Claire, Elle, Grazia ou Vanity Fair n’a été publié ces dernières années sans retouches profondes.

Ce n’est pas la retouche en elle-même qui pose problème. C’est son emploi abusif. Les repères des consommateurs sont aujourd’hui faussés. Tous se doutent que les photos sont retravaillées. Mais imaginent-ils à quel point ? Le diaporama que nous présentons ici en donne une idée. Notre collègue Gaëlle s’est prêtée au jeu des photos, allant de l’image brute à la plus retouchée. Commentaires par les professionnels.

Photo 1

Laurent, photographe : « Cette première photo non retouchée est prise sans maquillage et sans coiffure, dans un studio avec une lumière naturelle, venant de la droite du sujet. On aurait pu durcir les traits en choisissant des angles d’éclairage particuliers, par le dessous, par exemple. Ce type d’image n’est jamais diffusé en presse beauté. En revanche, pour des photos d’écrivains, on peut envisager des lumières dures, qui mettent les rides en relief ».

Photo 2

Laurent, photographe : « Gaëlle n’est pas encore maquillée. L’éclairage, en revanche, a changé. Il est artificiel et vient de trois sources différentes, ce qui estompe les reliefs du visage et le fait paraître plus lisse. C’est comme si la lumière remplissait les creux et les gommait. On est dans une configuration de photo beauté classique ».

Photo 3

Laurent, photographe : « Gaëlle est maquillée, coiffée. On est au maximum de ce qu’on peut faire en studio, avant retouche des images. À ce stade, de mon point de vue de photographe, la mise en scène n’est pas outrancière. C’est de la photo beauté, il est normal de préparer le modèle et de l’éclairer de la manière la plus flatteuse possible ».

Anne, maquilleuse : « Les mannequins sont toujours plus maquillés que les acteurs. On essaye de créer un visage très lisse, pour que les spectateurs s’identifient. J’applique un fond de teint "Make up Professional", qui n’est pas un produit grand public. En photo de mode, tout le monde est maquillé, même les enfants, à qui on applique un léger fond de teint pour éviter les reflets. Quand il s’agit d’une adulte, le maquillage est consistant. Je n’en mettrais pas autant à une mariée, par exemple. Elle doit conserver une expression naturelle ».

Photo 4

Monsieur X, magicien de la palette graphique, prestataire des grandes marques de cosmétiques : « Voilà une photo retouchée type "portrait". J’efface quelques cheveux qui traînaient sur le front, j’enlève des grains de beauté et des taches de rousseur sur le cou et les épaules, j’atténue légèrement les rides sous les yeux ».

Photo 5

Monsieur X : « J’ai ajouté des cheveux et encore atténué les rides, qui deviennent imperceptibles autour des yeux, de la bouche… J’ai enlevé un grain de beauté sur le nez et un autre sur le front. La peau ne présente plus le moindre défaut. C’est une carnation irréelle, comme très souvent en image beauté. Mais je suis resté raisonnable ! Maintenant, on va vraiment aller plus loin en modifiant la structure du visage ».

Photo 6

Monsieur X : « J’ai redressé la tête qui penchait très légèrement. J’ai retouché le nez en remontant un peu une narine, plus petite que l’autre. J’ai abaissé l’œil gauche (à droite sur la photo), tout ça pour créer une symétrie parfaite. J’ai affiné le bas du visage. Gaëlle n’en a vraiment pas besoin, mais tous les clients le demandent. J’ai éclairci la couleur des yeux, donné du volume aux lèvres, travaillé encore le grain de la peau. Il n’y a plus une ride, le cou est à la limite de l’image de synthèse… C’est trop, personne n’est comme ça dans la vraie vie.

Tous les ans, les marques de cosmétiques me disent qu’elles veulent quelque chose de plus "naturel". Et tous les ans, il se passe la même chose. Quatre, cinq, dix responsables chez eux donnent leur avis et demandent tous une "petite" retouche. Je vous laisse imaginer ce qu’il reste de naturel à la fin du circuit de validation ».

Laurent, photographe : « Monsieur X aurait pu aller encore plus loin, transformer Gaëlle en quasi-personnage de jeu vidéo. Avec les logiciels, il n’y a pas vraiment de limites. Vu ce qui se fait aujourd’hui en photo de mode et de beauté, notre dernière image n’est pas, et de loin, la plus lourdement retouchée qu’on puisse imaginer. Mais elle est déjà irréelle ».

Conclusion

Il ne fait aucun doute qu’une marque de cosmétique retiendrait la dernière photo entre toutes, s’il s’agissait de vanter les effets d’une quelconque crème antiride. En 2012, le régulateur britannique de la publicité a interdit deux visuels L’Oréal, qui mettaient en scène Julia Roberts (née en 1967) et le top model Christy Turlington (née en 1969), toutes deux transformées en icônes lisses et inexpressives. C’est une députée britannique qui est à l’origine de cette sanction. Pour Jo Swinson, les publicités n’étaient « pas représentatives des résultats que les produits sont en mesure de fournir ». C’est le moins que l’on puisse dire.

Le rapport 2013 de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité française (ARPP), pour sa part, avance le chiffre de 97,5 % de publicités conformes à la déontologie dans le domaine de la cosmétique. L’Autorité, bien peu autoritaire, n’a jamais sanctionné une photo pour retouche excessive, ce qui laisse le champ libre aux industriels et aux publicitaires.

Jusqu’où iront-ils ? Si la question fait naître des rides de perplexité sur votre front, aucune inquiétude : un coup de palette graphique le rendra lisse comme au premier jour.

Photos : Laurent Hini

Maquillage : Anne Verhague

Coiffure : Jho Cruzat

Remerciements à Monsieur X et à Gaëlle