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Politique agricole commune

La Pac rate son cap vert

Les bases de la future Politique agricole commune (Pac) ont été posées la semaine dernière à Bruxelles, par les États membres et le Parlement européen. Les soutiens aux agriculteurs sont « verdis » mais la transition environnementale s’avère très insuffisante.

Et de trois ! Le Parlement européen a voté sa proposition de réforme de la Politique agricole commune (Pac) vendredi 23 octobre, à l’issue d’une semaine très agricole. Trois jours plus tôt, c’était le Conseil des ministres de l’Agriculture des 27 États membres qui s’accordait laborieusement sur un accord, lui-même basé sur les propositions de la Commission européenne. Place désormais au trilogue entre ces trois institutions, pour négocier un compromis entre leurs versions pour le printemps 2021. Au cours des prochains mois, les tractations coutumières sur les chiffres et pourcentages du texte final iront bon train, accompagnées des pressions des lobbies agro-industriels ou environnementalistes. Mais l’architecture générale de la prochaine Pac, qui régira notre agriculture et plus largement notre modèle alimentaire de 2023 à 2030 (1), est posée. Et elle est décevante pour les défenseurs de l’environnement et d’une alimentation saine.

Opposition persistante entre productivité et environnement

Comme lors des réformes précédentes, les tenants d’une agriculture intensive (défendue en France par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) se sont opposés aux défenseurs d’une production plus écologique et moins industrielle (défendue par l’UFC-Que Choisir, aux côtés de la plateforme Pour une autre Pac, à laquelle appartient la Confédération paysanne) – cette fracture se calque à peu près sur les divergences politiques droite/gauche-verts. Si tous les acteurs reconnaissent que la transition environnementale est nécessaire et qu’il faut l’accompagner, ils divergent sur son ampleur et les moyens à lui consacrer, et sur le juste équilibre entre économie et environnement. Quelle vision s’est imposée cette fois-ci ? Les parlementaires et une partie du monde agricole se félicitent d’un texte équilibré, mais les ONG et les écologistes estiment que le virage vers une agriculture plus résiliente et respectueuse de l’environnement a été raté.

Les divergences sur quelques mesures emblématiques de la future Pac l’illustrent. Les aides aux agriculteurs sont désormais conditionnées à de bonnes pratiques agricoles, mais ces dernières sont peu exigeantes. De nouvelles primes destinées aux agriculteurs appliquant des mesures plus contraignantes (sur la base du volontariat), appelées « écoprogrammes », seront instaurées, mais reste à arbitrer la part du budget qui leur sera consacré : 20, 30 ou 50 % des aides directes selon les propositions, la fourchette est large. Les « infrastructures agroécologiques » (haies, arbres et autres plantations favorables à la biodiversité) sont vues comme des éléments à ajouter de-ci de-là en bords de quelques champs, et non comme un aménagement fondamental pour la biodiversité, avec une cohérence territoriale.

Restent aussi en suspens plusieurs points destinés à favoriser le développement rural (dont au moins 35 % du budget doit être consacré au climat et à la biodiversité) et les petites fermes. Ainsi, le plafonnement des aides à 100 000 € par exploitation, institué pour éviter l’accaparement des soutiens par d’immenses structures (surtout dans l’ancien bloc de l’Est), doit-il rester facultatif et au bon vouloir des États membres ? De même, les modalités d’attribution des aides (basées sur les montants historiquement versés, en fonction du nombre d’hectares) n’ont pas été remises en question, alors que l’UFC-Que Choisir et la plateforme Pour une autre Pac plaidaient pour un versement prenant en compte les emplois créés.

L’UFC-Que Choisir avait exhorté à mieux prendre en compte les demandes sociétales relatives à la qualité nutritionnelle et sanitaire de notre alimentation, et à la préservation de l’environnement et des territoires ruraux. À cette fin, l’association soutenait un budget important pour la Pac, à condition qu’elle soit clairement réorientée vers l’agroécologie et autres bonnes pratiques agricoles, les productions sous signe de qualité et le développement des territoires ruraux.

Le Green Deal passe à la trappe

Mais le Grand Soir vert n’a pas eu lieu, et la Pac reste une politique globalement productiviste, même si elle prend davantage en compte des enjeux environnementaux. Les négociations, entamées il y a deux ans, n’ont pas tenu compte du Green Deal dévoilé en grande pompe par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, en juin dernier. Ce projet de développement de l’Union européenne (UE) contient pourtant un ambitieux volet sur l’agriculture et la biodiversité. Intitulé « De la fourche à la fourchette », il a pour objectifs de développer le bio (à hauteur de 25 % des surfaces cultivées), de réduire de moitié l’usage des pesticides sur les cultures et des antibiotiques sur les animaux, ou encore de baisser de 20 % l’utilisation des engrais d’ici 2030. Ces mesures ne figurent pas dans la réforme de la Pac… À cette aune, le Green Deal pourrait bien n’être que du greenwashing.

Les grandes étapes de la Pac

La Pac est l’une des politiques fondatrices de l’UE et la principale commune à tous les États membres. À ce titre, elle constitue son premier poste de dépenses, plus du tiers du budget européen lui étant consacré (58 milliards d’euros en 2020). Elle est renégociée tous les 5 à 7 ans.

Création en 1962

La Pac a pour mission d’apporter l’autosuffisance alimentaire à une Europe appauvrie par la guerre, en soutenant les exploitations européennes et en protégeant le marché commun des importations à bas prix. Avec efficacité : dès les années 1980, certaines filières, comme le lait, sont en surproduction, plombant le budget agricole. Pour y remédier, des quotas de production sont parfois instaurés.

Réforme de 1992

La Pac se base sur des aides directes aux agriculteurs pour leur assurer un revenu minimal, attribuées à l’hectare ou à la tête de bétail (1er pilier). Certains soutiens, comme les subventions à l’exportation, sont supprimés pour se conformer aux exigences de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Cette réforme acte un tournant libéral et une ouverture à la concurrence mondiale.

Réforme « Agenda 2000 »

Introduction du 2e pilier de la Pac portant sur le développement rural, qui concerne 30 % du budget total.

Réforme de 2014

Renforcement des mesures du 2e pilier (agroécologie, climat, agriculture biologique, zones Natura 2000…). En parallèle, la libéralisation du secteur agricole entamée en 1992 se poursuit.

Encore quelques jours pour participer au débat

Si vous souhaitez participer au débat sur les grands enjeux de la Pac, vous avez jusqu’au samedi 31 octobre : la Commission nationale du débat public, une structure publique, organise une consultation et des réunions de concertation avec les citoyens, dans le cadre du grand débat sur l’agriculture ImPACtons. Voir le site https://impactons.debatpublic.fr.

(1) Initialement prévu pour 2021-2027, le budget concernera la période 2023-2030, du fait de retard dans les négociations.

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