ENQUÊTE
NRJ Radio

Les cachotteries de Cauet

« C’Cauet », l’émission de Sébastien Cauet diffusée de 21 heures à minuit sur NRJ, repose largement sur des pièges tendus par des auditeurs à leurs proches, avec règlement de comptes à l’antenne. Mais les piégeurs comme les piégés seraient très souvent des acteurs choisis par la production. Quant aux cadeaux promis à ceux qui participent à ces canulars, ils manquent souvent à l’appel.

Elle se nomme Camille(1), elle habite dans l’Essonne et c’est une habituée de l’émission « C’Cauet ». Tellement habituée, en fait, que, ces deux dernières années, Camille a tenu plusieurs rôles à l’antenne. Elle a été une fille indignée apprenant que son petit copain était prêt à la tromper, une cadette à bout de nerfs annonçant à son aînée qu’elle ne la supportait plus, ou encore une jeune femme découvrant que son ami allait la quitter pour sa meilleure copine ! Le tout dans les conditions du direct et écoutée par des centaines de milliers de personnes, puisque, comme le souligne NRJ, « un auditeur de moins de 25 ans sur quatre écoute Cauet entre 21 heures et minuit ».

Le crêpage de chignon en live est un peu la marque de fabrique de l’émission, dont les vidéos – pas toujours très subtiles – font un tabac sur YouTube. Dans Le Râteau time, un auditeur dit à une personne de son entourage qu’il ne la supporte plus. Dans Le Super Jeu, il s’agit de pousser un proche à bout. Dans Marion teste ton mec, une animatrice de l’émission met à l’épreuve par téléphone la fidélité d'un homme, dont la compagne écoute en silence. Cauet teste ta meuf  repose sur le principe inverse. Dans Devine qui c'est ?, Cauet appelle une personne âgée qui, croyant reconnaître un de ses proches, avance un prénom.

Bref, supercherie à tous les étages. Le problème est que cette supercherie ne se situe pas exactement là où tente de le faire croire la production. « En fait, explique Benjamin(1), très souvent, tout le monde est de mèche. La standardiste m’appelle à l’avance et m’explique mon rôle : ma pseudo-copine, qui habite en réalité à 500 km et que je n’ai jamais vue, va téléphoner et me dire qu’elle a couché avec mon père. Je dois m’énerver, et puis, à un moment, je lui balance que, moi, j’ai couché avec sa sœur. Évidemment, on s’insulte, on s’énerve, etc. »

Pourcentage de sketches truqués ? « J’en ai visionné une cinquantaine récemment sur YouTube, poursuit Sandy 1, une amie de Benjamin. Je suis certaine qu’une trentaine au moins était bidonnée, parce que je reconnais les voix de faux auditeurs. Ce sont des intervenants habitués, comme moi. On forme une petite famille, à force(2)… »

« Les bidonnages sont hyperfréquents, confirme Ronald(1). J’en fais depuis des années, et pas seulement pour Cauet. J’ai même fait jouer ma femme et ma mère. Pour repérer les “faux”, c’est simple. Si personne ne tombe jamais sur une boîte vocale, si les piégés écoutent des énormités dix minutes sans raccrocher, le jeu est truqué. »

La motivation des faux auditeurs n’est pas l’argent. Fans de radio, ils le font par plaisir. « Quand on est payé, c’est 10 € par intervention ou bien un CD, pas plus », relève Ronald, un peu désabusé. Sébastien Cauet est-il au courant de ces supercheries ? « Évidemment ! s’exclame Camille. Il m’a déjà pris en ligne hors antenne pour me remercier et me féliciter. »

Contactée, NRJ se refuse à tout commentaire, mais il est difficile d’imaginer que des professionnels de la radio n’aient rien remarqué. Sébastien Cauet a sa boîte de production, Be Aware, mais l’équipe du « C’Cauet » travaille dans les studios de NRJ. Elle fait soit du direct, soit des enregistrements l’après-midi pour diffusion en soirée.

Vadim Forest, directeur général adjoint de Be Aware, admet l’existence de « séquences scénarisées », mais « surtout au démarrage de l’émission », il y a 3 ans. Ces séquences seraient aujourd’hui très rares, selon lui. « Non, dément fermement Sandy. Ça continue. »

Et les cadeaux ?

S’il s’agissait d’une joyeuse bande de potaches bidouillant dans un coin de campus universitaire, il n’y aurait vraiment pas de quoi fouetter un chat. Le problème est que NJR est maintenant une des premières radios de France. Sébastien Cauet, selon le site Societe.com, cumule douze mandats de dirigeant ou d’administrateur de sociétés. Be Aware Group et Be Aware Tivi, les deux principales, affichent un chiffre d’affaires cumulé de près de 8 millions d’euros en 2010 (les comptes des exercices suivants ne sont pas déposés). Elles emploient plusieurs dizaines de salariés.

Par ailleurs, les faux canulars de son émission phare pourraient poser quelques problèmes au regard de la réglementation encadrant les jeux radiotélévisés.

En théorie, les auditeurs tirés au sort pour s’exprimer à l’antenne repartent avec des places de concert, des smartphones, une télévision, voire un voyage aux États-Unis. En l’occurrence, selon les acteurs bénévoles que nous avons interrogés, les cadeaux promis aux auditeurs qui font un sketch (préécrit ou non) ne sont pas toujours distribués, loin de là. « Si c’était le cas, rigole Benjamin, ma chambre en serait pleine. » Le consommateur, là encore, semble souvent mené en bateau. Les huissiers qui veillent au bon déroulement de l’émission, Stéphane Emery et Thierry Luciani, n’ont pas trouvé le temps de nous livrer leur point de vue. Le DG adjoint de Be Aware précise toutefois que « les envois de SMS surtaxés donnant lieu à tirage au sort avec attribution de cadeaux passent par NRJ et sont très encadrés ». Pas de précision en revanche sur les cadeaux des jeux pièges…

« Sébastien Cauet ne triche pas avec son public », écrivait Véronique Richebois, journaliste aux « Échos », dans un livre sur l’animateur paru en 2009(3). Si c’était vrai à l’époque, il semble que cela ne le soit plus tout à fait aujourd’hui. Régulièrement attaqué pour ses grossièretés – assumées – et ses dérapages à l’antenne (le CSA dit examiner en ce moment une plainte le concernant), l’animateur apparaît plutôt comme un planificateur méticuleux, soucieux de préparer à l’avance le bon déroulé de chaque émission. Comme l’intéressé le confiait au quotidien « La Provence » du 29 septembre 2011, « à la radio, si vous voulez bien improviser, bien partir en live, il faut s’appuyer sur 70 % de déjà écrit ». « Il n’est pas le seul à scénariser les interventions “spontanées” de la libre antenne, commente un professionnel. La hantise, ce n’est pas l’auditeur qui dérape, mais l’absence d’auditeur, le blanc à l’antenne en direct. » Ce qui est finalement assez rassurant. Les Français ne se bousculent peut-être pas forcément pour exposer leur vie intime en détail. Ce grand déballage critiqué par tant de sociologues, éditorialistes et psychanalystes n’est peut-être qu’une simple comédie montée par des professionnels…

(1) Tous les prénoms ont été changés.

(2) Des extraits assez éloquents d’émission manifestement truquées sont visibles à cette adresse : http://www.youtube.com/watch?v=cmnvulzyf5c, « Fake chez Cauet, Marion test ».

(3) « Sébastien Cauet, le côté obscur de la Farce », éditions du Moment.

Erwan Seznec

Erwan Seznec

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