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Fraude alimentaire

Des cacahuètes dans le cumin

Quelques milligrammes de poudre d’arachide mélangés à du paprika, l’arnaque peut paraître anodine face aux scandales à répétition qui ébranlent régulièrement l’industrie agroalimentaire : lasagne à la viande de cheval ou ententes illicites entre producteurs de poulets ou de yaourts… Pourtant, à l’échelle de la planète, cette fraude porte sur des montants considérables et pour les consommateurs, elle comporte des risques de santé qui sont loin d’être négligeables. Explications.

Lorsque nous achetons des épices, les quantités varient de quelques grammes (pour le safran par exemple) à quelques dizaines de grammes (pour les produits plus bas de gamme : paprika, cumin, etc.), mais elles excèdent rarement 50 grammes. Et pour cause, ces précieux exhausteurs de goût coûtent une fortune lorsque l’on considère leur cours au kilo ou à la tonne. D’où la tentation, pour des producteurs ou des intermédiaires peu scrupuleux, de les « couper » avec des produits bon marché pour augmenter leurs profits. « Les épices sont particulièrement susceptibles de contamination, car elles proviennent de parties du monde où la chaîne d’approvisionnement n’est pas aussi strictement contrôlée qu’au Royaume-Uni », constatait récemment Chris Elliot, professeur de sécurité alimentaire à l’université de Belfast – celui-là même qui a dirigé l’enquête gouvernementale sur le scandale de la viande de cheval – dans une interview accordée au « Guardian ». Et la tentation augmente lorsque les aléas climatiques compromettent les récoltes, alors que la demande reste très forte. Par exemple, l’an dernier, la récolte de cumin au Gujarat (Inde) a été désastreuse, ce qui a entraîné une flambée des prix. Pas étonnant que ce produit se retrouve aujourd’hui sur la sellette des organismes de lutte contre la fraude alimentaire. Parmi les ersatz utilisés par les fraudeurs, l’arachide et les amandes figurent en bonne place. Et pas seulement sous forme de poudre de fruits, mais également sous forme de coques broyées ! Lorsque l’on connaît le pouvoir allergène de ces produits et les crises graves qu’ils peuvent engendrer chez les personnes sensibles, on mesure l’étendue du problème. Les fruits à coque et l’arachide sont en effet à l’origine de nombreuses réactions cutanées (urticaire et eczéma) ou respiratoires (rhinite allergique, asthme allergique). Encore plus grave, ils sont susceptibles de provoquer un choc anaphylactique qui peut conduire au décès.

Un risque bien réel, d’autant que ces produits entrent dans la fabrication de nombreux produits transformés et plats cuisinés, car ils servent souvent à masquer la piètre qualité des matières premières. Le scandale a d’ailleurs commencé outre-Atlantique où l’industrie agroalimentaire est reine. La Food and Drug Administration (FDA) multiplie depuis des mois les rappels de produits et les avertissements aux consommateurs. En particulier, elle déconseille la consommation de produits contenant du cumin à toutes les personnes allergiques à l’arachide. Même son de cloche au Canada, où l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a recensé 11 produits contenant des traces d’amande (source : 60 millions de consommateurs). Bien entendu, le phénomène n’a pas tardé à toucher l’Europe. La Grande-Bretagne a été jusqu’ici le pays le plus concerné par les fraudes. La consommation de cumin, comme exhausteur de goût dans les soupes et les produits transformés ou en combinaison avec d’autres épices comme le paprika, le piment et le curry, y est très élevée. Pour faire face à cette nouvelle menace, une vaste enquête a été menée dès le début de l’année par les autorités européennes pour tenter d’identifier les réseaux d’importation et de fabrication de ces produits.

Des risques surtout pour les allergiques

En France, depuis la fin du mois de mars, la présence de poudre d’amande a été identifiée dans au moins six lots d’épices ou de produits en contenant, commercialisés chez Auchan, Carrefour ou Intermarché. Le 12 mars 2015, suite à l’alerte européenne relative à la présence d’amande dans du paprika en provenance d’Espagne, la Répression des fraudes (DGCCRF) a saisi l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sur cette question. Dans la « note d’appui scientifique et technique relatif à la présence d’allergènes d’amande et d’arachide dans les épices » publiée sur son site le 16 avril, l’Anses conclut que le risque allergique peut exister pour des portions apportant plus de 0,1 mg de protéines d’amande et de 0,2 mg de protéines d’arachide par repas. Selon la DGCCRF qui a retiré ces épices du marché, l’origine du problème semble cependant être de nature accidentelle dans les pays exportateurs. Un son de cloche qui tranche avec les informations en provenance du monde entier, lesquelles semblent accréditer la thèse d’une fraude massive et organisée.

Mais, quelles que soient l’origine et la quantité d’allergènes contenue dans les denrées, la loi est claire : c’est aux fabricants de respecter les obligations qui leur incombent en matière d’étiquetage au risque d’encourir des sanctions financières, voire le retrait pur et simple du produit. Il en va de même pour les matières premières en vrac et denrées élaborées non destinées à être vendues aux consommateurs.

Pour se défendre, certains distributeurs n’hésitent pas à mettre en cause les méthodes d’analyse officielles. Une société britannique d’épices, Bart Ingredients, a ainsi avancé l’hypothèse de « faux positifs » attribués à la présence de « mahaleb » (extrait du noyau d’une variété de cerise noire), une épice sans risque allergique pouvant être confondue avec l’amande. Un argument peu recevable compte tenu du nombre de produits hors des clous !

Si les fraudeurs ont aujourd’hui quelque souci à se faire, reste que la détection de produits adultérés parmi les milliards de flacons proposés dans les linéaires s’apparente à une mission impossible. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! Par mesure de prudence, les personnes souffrant d’allergies alimentaires ont donc intérêt à éviter les épices moulues et les plats préparés qui seraient susceptibles d’en contenir. En cas d’incident ou de malaise, il ne faut pas hésiter à signaler le produit incriminé à l’antenne de la Répression des fraudes de son département.

Florence Humbert

Florence Humbert

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