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Aptitude à la conduite

Polémique sur les nouveaux critères

Apte ou inapte à la conduite ? Pour les personnes très âgées ou atteintes de pathologies neurologiques, cette délicate question mérite un bilan plus nuancé que ce que la nouvelle réglementation prévoit.

Fin mars 2022, un arrêté publié au Journal officiel a redéfini la liste des pathologies incompatibles avec la conduite ou pour lesquelles des aménagements devraient être mis en place. Mais il suscite des critiques, en particulier pour les pathologies d’Alzheimer et apparentées. En effet, l’arrêté prévoit « une incompatibilité de la conduite “ tant que le doute sur la nature du trouble persiste ” » et recommande un avis spécialisé « sans délai ». Si un trouble cognitif est diagnostiqué par une équipe pluridisciplinaire (neurologue, gériatre, psychiatre…), « une incompatibilité définitive est décidée [par le médecin agréé pour le contrôle médical du permis de conduire] dès le début du stade 3 de l’échelle de Reisberg », ajoute le texte.

Cette publication a pris de court les associations de malades et les professionnels de santé, qui n’ont pas été consultés. Elle est parue alors même qu’un groupe de travail commençait à se réunir. Résultat : l’arrêté révèle une méconnaissance des troubles cognitifs et met en avant un outil d’évaluation obsolète, l’échelle de Reisberg, abandonnée depuis 20 ans. Indignées, plusieurs associations ont déposé un recours devant le Conseil d’État. Outre la désuétude de cet outil, c’est l’utilisation d’une échelle avec un score-sanction qui est déplorée par les experts. « Il n’existe pas à ce jour d’outil permettant d’évaluer objectivement les capacités des seniors et de conclure s’ils sont en mesure de conduire ou non. La décision d’incompatibilité doit reposer sur une évaluation personnalisée et pluridisciplinaire », insiste la Pr Sylvie Bonin-Guillaume, gériatre aux Hôpitaux universitaires de Marseille et membre de l’un des groupes de travail.

Anticiper l’arrêt

Pour le Pr Jean-Luc Novella, chef du service de gériatrie aigüe du CHU de Reims, cet arrêté placera de nombreux patients en situation de dépendance alors que des aménagements sont possibles. « Jusqu’à la publication de l’arrêté, on demandait à nos patients éprouvant des difficultés débutantes d’être prudents et d’adapter leur conduite. On leur conseillait de ne plus conduire la nuit, d’éviter les longs trajets, les parcours inconnus… On les préparait peu à peu à l’arrêt de la conduite, ce qui leur permettait de s’organiser », déplore-t-il.

Les experts et les associations craignent aussi que cette loi dissuade les patients de se faire diagnostiquer ou de faire évaluer leur aptitude à la conduite. Aussi est-il important de rappeler que le médecin traitant ou le gériatre n’ont pas le pouvoir de suspendre le permis de conduire des patients. Ils doivent les informer et les orienter vers un médecin agréé qui évaluera leurs capacités. « L’évaluation s’appuie toujours sur différents tests et un bilan en centre mémoire et, si besoin, un test normé de conduite. Dans les faits, malgré ce nouvel arrêté, nous continuerons à nous appuyer sur tous ces éléments pour contre-indiquer ou restreindre la conduite. Et nous pourrons toujours rendre un avis d’aptitude, sans disposer de l’échelle de Reisberg », explique le Dr Philippe Lauwick, médecin agréé, avant de rappeler qu’au final, la décision de laisser sa voiture au garage appartient au patient.

En effet, tenu par le secret médical, le médecin agréé ne peut pas envoyer l’avis à la préfecture. C’est au patient de le transmettre en cas d’inaptitude ou d’aménagement du permis. En revanche, si la visite médicale est réalisée à la demande du préfet, par exemple en cas de signalement par la famille inquiète de voir leur proche au volant, alors l’envoi sera obligatoire, sans quoi le permis sera invalidé.

Un danger au volant, vraiment ?

Les seniors sont moins impliqués que les autres classes d’âge dans les accidents mortels parce qu’ils sont moins nombreux, roulent moins et avec moins de risques (alcool et stupéfiant rares, vitesse réduite). Mais s’ils sont moins dangereux pour les autres, ils le sont davantage pour eux-mêmes. Les plus de 85 ans responsables d’un accident mortel sont 1,5 fois plus à risque d’en mourir que les moins de 25 ans.

Anne-Laure Lebrun

Anne-Laure Lebrun

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