Fabienne Maleysson
À quand le vrai déconfinement ?
L’isolement prolongé a été très difficile à supporter pour les résidents d’Ehpad et leurs proches. Malgré un assouplissement des conditions de visite récemment annoncé par le ministère de la Santé, l’encadrement est toujours trop rigide aux yeux des familles et des professionnels.
À en croire le communiqué publié le 1er juin par le ministère de la Santé, la situation dans les Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) est presque revenue à la normale. Après une période d’interdiction puis d’encadrement très strict des visites, interminable pour les résidents et leurs familles, le gouvernement y annonce « un assouplissement supplémentaire » en adéquation avec « le respect du libre choix des personnes désirant voir leurs proches ». Une décision prise sous la pression des professionnels et des familles pour qui l’isolement constituait une menace sérieuse pour l’état de santé psychique et physique de trop nombreux résidents.
Pourtant, à en croire certains acteurs, cette communication a tout du trompe-l’œil. Ainsi, la fondation Armée du salut dénonce « un décalage flagrant entre les annonces d’assouplissement et la réalité d’un protocole très contraignant ». Pour cette association qui, entre autres missions, gère des Ehpad, « le nouveau protocole est loin de répondre aux attentes des professionnels du secteur et les visites des familles continueront à s’apparenter à un véritable parcours du combattant ». Certes, la présence d’un professionnel tout au long de la visite n’est plus obligatoire, les proches peuvent venir à plusieurs (deux seulement s’ils restent dans la chambre) et emmener des enfants. Mais les visites se font toujours sur rendez-vous et dans un temps limité bien qu’aucune donnée sanitaire n’explique cet impératif. En outre, une distanciation d’au moins 1,50 m est requise alors que le contact physique est précieux, notamment pour les personnes atteintes de troubles cognitifs, et que cette distanciation n’est, par la force des choses, pas respectée par les professionnels.
« Nos résidents ne rêvent que d’une chose, pouvoir revoir leurs familles sans tous ces carcans et dans un environnement intime, plaide Sylvie Dupont, directrice des Ehpad de la fondation. La France est coupée en deux, certaines régions ont été beaucoup plus épargnées que d’autres. Le gouvernement devrait prendre la responsabilité d’y autoriser le retour à la normale avec simplement le respect des gestes barrières : port de masques et désinfection des mains. Une personne âgée qui vit à domicile en zone verte peut rencontrer qui elle veut, pourquoi ce traitement inhumain pour les résidents d’Ehpad ? Ils le vivent très mal et leurs familles aussi ! »
Colère et amertume des familles
Des familles qui ont largement exprimé leur colère et leur amertume, notamment via deux pétitions sur Internet. L’une intitulée « Ehpad, stop aux mesures drastiques, inadaptées, illogiques et cruelles de confinement » a recueilli près de 33 000 signatures, l’autre, « Pour un déconfinement humain dans les maisons de retraite », près de 23 000. Les personnes à l’origine de cette dernière signaient le 1er juin une tribune dans Libération appelant à « libérer les résidents des Ehpad » et interrogeant : « Quelqu’un leur a-t-il d’ailleurs demandé leur avis, l’autorisation de les enfermer ? »
« Les annonces d’assouplissement étaient bienvenues, aujourd’hui c’est la déception qui domine pour les résidents et leurs proches. On pensait que les visites allaient être plus simples, or il n’y a de simplification ni pour les familles, ni pour les professionnels, déplore Romain Gilzome, directeur de l’Association des directeurs au service des personnes âgées. Surtout, les sorties ne sont toujours pas autorisées. Tous les Français peuvent se déplacer à leur guise, retrouver leurs proches, pas les résidents d’Ehpad. Le président de la République avait annoncé qu’il n’y aurait pas de discrimination par l’âge, cela doit être aussi valable pour eux. Leur permettre de sortir avec leurs proches serait une solution simple, fondée sur la responsabilité individuelle. » Comme le rappelait le Comité consultatif national d’éthique dans son avis du 30 mars dernier, « le respect de la dignité humaine, qui inclut aussi le droit au maintien d’un lien social pour les personnes dépendantes est un repère qui doit guider toute décision. […] Toute mesure contraignante restreignant les libertés reconnues par notre État de droit, notamment la liberté d’aller et de venir, doit être nécessairement limitée dans le temps, proportionnée et adéquate aux situations individuelles. »