Erwan Seznec
La fuite en avant
Le ministère du Logement Cécile Duflot prépare une nouvelle loi de défiscalisation immobilière prétendument exempte des défauts du Scellier et du Robien. Seul hic, le gouvernement est toujours incapable de dire quel a été l’impact des textes précédents. Dans ce cas, comment réformer ce qu’on ignore ?
La ministre du Logement Cécile Duflot a présenté le 1er octobre 2012 les contours de la loi de défiscalisation immobilière qui portera son nom. Les professionnels s’y attendaient, les adresses www.loiduflot.com, .net, .fr et .eu sont déjà déposées depuis quelques semaines.
Rien de révolutionnaire dans l’avant-projet du dispositif, qui prendrait donc le relais du Scellier au 1er janvier 2013. L’investissement dans le neuf serait plafonné à 300 000 € en contrepartie d’un engagement de location pendant neuf ans ; la réduction d’impôt serait comprise entre 17 % et 20 %, étalée sur 7 à 10 ans, avec un bonus pour les bâtiments peu consommateurs d’énergie. Les loyers seraient plafonnés, inférieurs de 20 % aux « prix du marché », et le zonage serait moins large que celui du Scellier.
Ces deux derniers points, comme pour le Robien et comme pour le Scellier, sont évidemment ceux qui vont poser problème. Les dizaines de milliers de particuliers qui ont été déçus, au mieux, et ruinés, au pire, par la défiscalisation ces dix dernières années sont tombés sur des défiscalisateurs qui ont construit là où la demande était inexistante au niveau de loyer promis. Ces promoteurs ont pu agir ainsi car les zones des lois Robien et Scellier, correspondant chacune à des niveaux de loyers censément inférieurs au prix du marché, étaient calculées beaucoup trop schématiquement. Le groupe Omnium a d’ailleurs fait savoir dès 2010 que 40 % des communes éligibles au Scellier ne lui semblait pas offrir le potentiel suffisant pour y construire des logements en défiscalisation.
De lourdes inadéquations
Ces réserves, hélas, n’ont guère passionné les derniers gouvernements. La Cour des comptes faisait état dans son rapport annuel 2012 des critiques de plusieurs préfets attestant de lourdes inadéquations entre les zones et la réalité locative de leur département. Mais faute de thermomètre, on ne peut pas parler de fièvre. Or il n’existe « aucune information, au plan national, sur le volume et la localisation » des programmes Robien-Scellier, « ni a fortiori sur leur occupation et les loyers réels pratiqués », relevait la Cour dans le même rapport. Comment réformer quelque chose qu’on connaît aussi mal ? Et comment fixer des plafonds inférieurs de 20 % au prix du marché, alors que le gouvernement a admis cet été, lors de la discussion du projet de loi sur l’encadrement des loyers, qu’il n’avait qu’une vague idée de leur niveau réel ? Réponses, sans aucun doute passionnantes, au 1er janvier 2013.
L’heure des comptes
Faute de bilan exhaustif, rappel de quelques ratés du Robien-Scellier.
Finaxiome : le défiscalisateur amiénois a été mis en redressement judiciaire en juin 2012, laissant plusieurs centaines de logements inachevés. Le groupe Pierreval a fait une offre de reprise.
IDS : le groupe assurait la gestion de quelque 1 800 logements en Scellier dans le Sud-Ouest. Il a été mis en liquidation cet été.
Akerys : le groupe toulousain vient de scinder ses activités et de changer de nom, Belvia pour l’immobilier, Theseis pour la partie finance. Il doit gérer de nombreux contentieux. Des avocats lyonnais s’apprêtent à l’assigner au nom d’une vingtaine de propriétaires pour la gestion d’une résidence à Berriac (11). Le tribunal de grande instance de Toulouse l’a condamné au moins deux fois cette année (31 janvier 2012 et 24 mai 2012) ; le groupe est attaqué par des investisseurs, qu’il a encouragé à souscrire des emprunts indexés sur le franc suisse pour financer leur acquisition, etc.
Privilège Tax : petite société de conseil en défiscalisation. Condamnée dans une des premières décisions de la Cour de cassation (11 mai 2010) sur la défiscalisation, pour présentation exagérément optimiste du « package » fiscal.
Carrère-Ghotam : plusieurs programmes récemment achevés du promoteur suscitent des interrogations, notamment la construction de plusieurs centaines de logements à Ambès (33), en zone inondable. Il a essuyé dans le passé quelques échecs retentissants, notamment la villa Toscane à Launac (31). Des témoignages internes font état, par ailleurs, de graves lacunes dans la gestion du parc de logements.