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Absinthe

La liqueur de la discorde

L’Indication géographique protégée (IGP) accordée par la Suisse à l’absinthe produite exclusivement dans le Val-de-Travers suscite une levée de boucliers des producteurs étrangers, qui risquent de ne plus pouvoir utiliser cette appellation.

Bataille dans un verre à liqueur à la frontière Suisse : le 16 août dernier, la Confédération helvétique a officialisé l’IGP (Indication géographique protégée) pour les eaux-de-vie produites dans la région du Val-de-Travers (canton de Neuchâtel) sous les dénominations « Absinthe », « La Bleue » et la « Fée verte », malgré 42 oppositions, dont la moitié émanaient de producteurs d’autres régions de Suisse et l’autre moitié d’organismes étrangers qui souhaitaient tous barrer la route à cette appellation jugée « abusive ». Ainsi, pour la Fédération française des spiritueux (FFS), qui compte parmi ses adhérents le très puissant groupe Pernod-Ricard, le terme « absinthe » n’appartient pas à la Suisse. En effet, si l’absinthe est bien née à Couvet à la fin du XVIIIe siècle, c’est à Pontarlier, de l’autre côté de la frontière, que le produit a pris sa dimension industrielle à partir de 1797 sous l’impulsion du major Dubied et de son beau-fils Henri-Louis Pernod, qui fuyaient les taxes helvétiques ! La ville compta alors jusqu’à 30 distilleries, et ce jusqu’à l’interdiction en France comme en Suisse de cette boisson « qui rend fou et criminel » au début du xxe siècle. « Les opérateurs français n’étaient pas opposés à l’enregistrement d’“absinthe” avec le complément “Val-de-Travers”, nous a précisé Myriam Decœur-Michel, directeur général de la FFS. Elle aurait fait pendant à l’IGP “absinthe de Pontarlier” dont le dossier est en cours d’instruction à l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO).

Enjeu économique considérable

L’histoire pourrait sembler anecdotique si elle ne recouvrait des enjeux économiques considérables. L’interdiction à la vente de la célèbre liqueur verte a porté un coup d’arrêt (provisoire) à la fortune des liquoristes français. Certes, avec le pastis, ils ont trouvé un succédané de la célèbre liqueur, mais la donne vient à nouveau de changer avec le retour de l’absinthe sur le marché, suite aux modifications des techniques de fabrication et de la réglementation : d’abord en 2005 en Suisse, laquelle a immédiatement engagé une démarche de reconnaissance d’une IGP, puis en France à compter du 16 décembre 2010, à la suite d’une décision prise par le parlement français pour tenter, en vain, de contrer la démarche suisse. La Confédération helvétique ne faisant pas partie de l’Union européenne, aujourd’hui, cette reconnaissance n’aura d’autres conséquences que d’interdire l’accès du marché intérieur suisse aux autres produits utilisant la dénomination « absinthe ». Sauf si la Confédération décidait d’entamer une procédure de reconnaissance européenne de son appellation auprès des autorités de Bruxelles. Car, mode vintage oblige, l’absinthe est en train de devenir très tendance à travers le monde entier, aiguisant les appétits des grands groupes industriels pour ce nouveau marché. La petite IGP suisse pourrait bien leur couper l’herbe sous le pied. Une réponse du berger à la bergère, après la décision de justice qui avait privé les quelques vignerons du petit village de Champagne (également dans le canton de Neuchâtel !) du droit de mentionner le nom de leur village sur leurs étiquettes !

Mais la partie n’est pas encore gagnée, la décision de l’Office fédéral de l’agriculture suisse (Ofag) pouvant être attaquée dans un délai de 30 jours auprès du tribunal administratif fédéral. Gageons que ses opposants n’y manqueront pas !

Florence Humbert

Florence Humbert

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