ENQUÊTE

TourismeVoyageons mieux pour préserver la planète

Le tourisme aura-t-il la peau du climat ? Coupable désigné, l’avion est l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. Malgré un début de prise de conscience des tour-opérateurs, l’explosion du nombre de voyageurs rend vain l’espoir de voir émerger un tourisme écoresponsable si nous ne changeons pas notre façon de voir le monde.

Savez-vous qu’un simple voyage à New York en avion suffit à épuiser la moitié de votre quota annuel de carbone ? Un aller-retour, sans escale, génère plus d’une tonne d’émission de CO2 par passager. Cela représente près d’un quart de l’empreinte carbone annuelle d’un Français… Et celle-ci est déjà bien trop élevée. Pour contenir le réchauffement planétaire à 2 °C, il faudrait limiter l’empreinte moyenne de chaque Terrien à 2 tonnes par an d’ici à 2050. Mauvaise nouvelle : dans un monde « décarboné », il faudrait se passer de voyages. Une étude, publiée début mai dans la prestigieuse revue Nature Climate Change, a révélé que le tourisme était responsable d’environ 8 % du total mondial des émissions. Et encore. Les données utilisées pour ce calcul datent de 2013. Depuis, le marché a progressé de plus de 4 % par an. « Le secteur aérien pourrait représenter 100 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2070 », alerte Paul Peeters, de l’Université des sciences appliquées de Breda (Pays-Bas). L’impact du seul tourisme pourrait mettre à mal les objectifs de la Conférence de Paris sur le climat de 2015 (COP21). Un évènement qui a vu la planète s’engager à réduire drastiquement ses émissions… tout en exonérant le secteur aérien de cet effort.

Des progrès trop minces

Pourtant, à en croire les compagnies aériennes, la situation s’arrange… un peu. Début avril, Icelandair a mis en avant ses nouveaux appareils, des Boeing 737 Max 8, qui « fixent de nouvelles normes en matière d’efficacité énergétique » avec une consommation de carburant réduite de 20 %. « Entre 2000 et 2016, la décroissance moyenne des émissions des avions a été de 1,9 % par an et par passager », a même souligné la ministre des Transports, Élisabeth Borne, lors des Assises nationales du transport aérien, fin mars. Mais ces efforts, qui passent aussi par une optimisation des parcours (la distance moyenne parcourue a baissé de 10,1 % entre 2011 et 2017), sont loin de suffire. Ils ne compensent pas l’augmentation du trafic mondial. « Il ne pourra pas y avoir deux milliards de passagers. On va finir par récompenser les passagers pour qu’ils ne voyagent pas », a lancé avec ironie Serge Pilicer, président-fondateur des Entretiens internationaux du tourisme du futur, lors de ces assises.

La fin d’un aveuglement

Être écoresponsable obligerait donc à renoncer à parcourir le monde ? La question a longtemps embarrassé les vendeurs de séjours organisés. « Pendant des années, ils ont fait l’autruche, glisse Julien Buot, directeur de l’association Agir pour un tourisme responsable (ATR). Le discours était que, certes, le voyage pollue, mais qu’il permet des rencontres interculturelles, favorise l’éducation à l’environnement, développe les destinations… » Près de 15 ans après le lancement d’ATR, dont le label récompense les voyagistes engagés dans le développement durable au sens large (de l’écologie au social), Julien Buot note que les mentalités ont changé : « Il est aujourd’hui impossible pour les voyagistes de ne pas se préoccuper de ce sujet. » Même discours chez Jean-François Rial, président du groupe Voyageurs du monde. Il a créé la surprise, en décembre dernier, en annonçant que désormais les séjours proposés par ses marques Voyageurs du monde et Terre d’aventures seraient carbone neutre. « Nous avons décidé, il y a 15 ans, de compenser 40 % des émissions de nos clients en leur proposant de participer pour compenser le reste. Sur le papier, ils étaient très favorables mais, en pratique, quasiment personne ne l’a fait », explique-t-il. Le patron se dit convaincu qu’aujourd’hui, « plus de clients le feraient vraiment, car ce sujet est beaucoup moins abstrait ». Il a néanmoins préféré sauter le pas de la compensation à 100 %, par facilité – les clients n’ont aucune démarche à accomplir – et par conviction. « Le tourisme a une utilité sociale, il ne peut donc pas ne pas se préoccuper de son impact », insiste-t-il. Le voyagiste s’est associé à sept grands groupes européens, dont Danone et Hermès, pour créer un fonds d’investissement doté de 50 millions d’euros visant à financer des projets de plantation de mangroves et de forêts en Asie du Sud-Est. Avec cet investissement de 1,5 million d’euros par an, le groupe souhaite créer une émulation. À en croire d’autres acteurs du secteur, il a fait mouche. Plusieurs de ses concurrents ont compris qu’il était dans leur intérêt de s’y mettre. Tant pour des raisons d’écologie que d’image. Déjà, en 2017, le voyagiste DoubleSens avait annoncé compenser 50 % des voyages de ses clients en leur proposant de mettre la main à la poche pour faire le reste du chemin. La contribution, de l’ordre d’une vingtaine d’euros, est acceptée dans la moitié des cas.

Planter des arbres, une demi-solution

Comme plusieurs autres tour-opérateurs (dont OUI.sncf, ex Voyages-Sncf.com, depuis 2007, ou encore Salaün Holidays depuis 2016, les Ateliers du voyage depuis 2017...), Voyageurs du monde a choisi d’investir dans le mécanisme de la compensation carbone. Il consiste à développer des projets dont le but est d’absorber autant de CO2 que l’activité de l’entreprise (ici, les voyages) en génère. Ce choix est contraint : « Nous possédons, sur le Nil, un bateau que nous passerons en carbone neutre grâce à des énergies alternatives, comme des tubes solaires pour alimenter la chaudière, explique Jean-François Rial. Mais pour l’avion, c’est pour l’instant impossible. La seule façon d’atteindre la neutralité est d’absorber l’équivalent du CO2 que nous générons grâce à des plantations. » Les compagnies aériennes s’y mettent aussi. Air France a développé, depuis plus d’un an, un partenariat avec l’association GoodPlanet, qui œuvre à des projets de développement durable (fabrication de charbon vert au Sénégal, construction de réservoirs à biogaz en Chine…). Sur le site de la compagnie, un calculateur permet d’évaluer son impact carbone et de verser une contribution (4,50 € pour un aller-retour Paris-Berlin, 21 € pour New York) à l’association. Chez Ryanair, c’est plus simple : la compagnie low cost propose d’ajouter 1 € à la facture lors de la réservation. « Les fonds récoltés grâce à ces dons seront distribués chaque année à des organismes gouvernementaux et à des ONG », indique, sans plus de précisions, la compagnie. La compensation carbone ne peut néanmoins pas être l’alpha et l’oméga du développement durable, car il est irréaliste d’envisager planter assez d’arbres pour compenser les émissions humaines. La baisse des émissions est primordiale. Ainsi, c’est principalement en travaillant sur l’efficacité énergétique de sa flotte d’avions que le groupe TUI, leader mondial du voyage, envisage de réduire de 10 % son empreinte carbone (estimée à 6,8 millions de tonnes en 2014, dont 80 % dues à l’aérien) entre 2015 et 2020. TUI Group indique que sa stratégie environnementale lui a permis de faire 53 millions d’euros d’économies d’énergie entre 2012 et 2014. Si cela peut motiver d’autres opérateurs…

Voyager vert, c’est aussi voyager plus lentement (bateau de croisière dans le Kerala, en Inde).

Chercher la qualité plutôt que la quantité

Malgré ces engagements des divers intermédiaires du voyage, le tourisme propre est aussi et avant tout l’affaire des consommateurs. « Voyager responsable n’implique pas de faire une croix sur les voyages au bout du monde mais de parier sur des séjours plus qualitatifs que quantitatifs », résume Julien Buot. Vous souhaitez vous émerveiller au Pérou ? « Les séjours d’une semaine sont plus rares mais ont été une tendance. Plutôt que d’y aller trois fois dans votre vie en y restant une semaine, il vaut mieux y aller une fois en restant plus longtemps. » Cette philosophie est encore « peu assumée », car « les opérateurs veulent vendre toujours plus de séjours », mais les temps changent. Les week-ends de trois jours à New York ont ainsi passé de mode. « Chaque voyage peut être responsable, même si le client doit forcément arbitrer en fonction de son budget et de son temps », assure le spécialiste. Qu’il parte à la découverte d’une région française ou d’un pays lointain, le consommateur peut voyager sobrement, sans sacrifier son émerveillement (voir encadré ci-dessous).

Une étude de Que Choisir avait montré que, sur certaines destinations, l’avion était non seulement plus rapide mais aussi parfois moins cher que le train. Un jugement qui ne prenait pas en compte son impact écologique. Or, un Paris-Berlin par le rail rejette seulement 12 kg de CO2. Dix fois moins que l’avion. De là à reprendre le vieux slogan de la SNCF, « à nous de vous faire préférer le train », il n’y a qu’un pas. D’autant que ce mode de transport permet de retrouver une facette du voyage annihilée par l’avion : la distance. « L’Inde ne serait pas aussi différente qu’elle ne l’est si elle était voisine de la France », analyse Laurent, du blog de voyage Onechai.fr. « Voyager plus lentement permet de prendre la mesure de cette distance, qui crée les différences culturelles, tandis que l’avion la supprime en nous “téléportant” », nous écrit le voyageur depuis le train qui l’emmène en Azerbaïdjan – une semaine de périple depuis Paris. Alors que les voyages, depuis l’arrivée des GPS, téléphones portables et guides touristiques, ont perdu leur part d’inconnu et d’audace, voyager sans avion, c’est aussi retrouver un peu le mythe de l’explorateur.

En pratique

Les gestes du touriste durable

Pour voyager sans ruiner son empreinte écologique, il n’est pas obligatoire de remplacer la Finlande par le plateau des Mille Étangs (Vosges), les États-Unis par le Colorado provençal (Vaucluse) ou le Sahara par la Dune du Pilat (Gironde). Voici nos conseils pour aller au bout du monde de manière responsable.

Adressez-vous à des voyagistes impliqués

12 voyagistes sont labellisés par l’association Agir pour un tourisme responsable (ATR) et 17 par l’Association pour le tourisme équitable et solidaire (ATES). Vérifiez que votre tour-opérateur collabore avec des organismes locaux et fera ainsi travailler les populations locales.

Limitez l’avion

Privilégiez les vols directs plutôt que ceux avec escales (les émissions de CO2 sont les plus fortes lors du décollage) et la classe éco plutôt qu’affaires. Le taux de remplissage des vols a aussi un impact mais est impossible à ­anticiper pour le consommateur.

Partez plus longtemps

Les émissions de votre vol seront « rentabilisées » sur une plus longue durée.

Choisissez des logements écoresponsables

Loger chez l’habitant ou pratiquer le couch-surfing permet d’être au plus près de la population tout en limitant ses émissions. Et le label environnemental La clef verte/Green Key a labellisé 603 établissements (hôtels, campings…) en France et 2 700 dans le monde.

Empruntez les transports doux

Privilégiez le train ou les bus locaux, plutôt que les vols intérieurs et les taxis.

En voyage, privilégiez les transports locaux (train à Madagascar, à gauche, et bus au Cap-Vert, à droite).

Économisez l’eau

Au lieu d’utiliser des bouteilles en plastique, investissez dans une gourde et, si besoin, un système pour assainir l’eau (pastilles désinfectantes, paille-filtre, etc.). Tenez compte de la disponibilité d’eau de la région : une douche dans le désert n’a pas le même impact qu’en Suède.

Mangez local

Évitez la viande et les produits importés et ­privilégiez les fruits et légumes locaux (et de saison).

Respectez l’environnement

Réduisez (et ramassez !) vos déchets, ne sortez pas des sentiers balisés, évitez les activités polluantes (hélicoptère, jet-ski…) et non respectueuses des animaux (promenades à dos d’éléphant…).

Pensez à la compensation

Face à la multiplicité des projets, choisissez ceux disposant des labels Gold Standard (GS) ou le Voluntary Carbon Standard (VCS).

Venise, Amsterdam, Taj Mahal…

Les effets pervers du tourisme de masse

Submergés, plusieurs sites touristiques tentent de juguler les flux de visiteurs. Les mesures prises sont souvent radicales.

« Nous comprenons que d’autres personnes aiment notre ville. Mais nous devenons un parc à thème touristique, chaque fois qu’une épicerie ferme, une boutique de souvenirs prend sa place. » En quelques mots, Janet Sanz, adjointe au maire de Barcelone en charge de l’urbanisme, résume la problématique de la ­surfréquentation touristique. Les voyageurs internationaux sont passés de 25 millions en 1950 à 674 millions en 2000, puis 1,3 milliard en 2017. « Les pays attractifs doivent faire face à l’augmentation de visiteurs venus de pays émergents, comme la Chine et l’Inde, mais aussi au fait que de plus en plus de touristes, grâce à Internet, se passent des services de professionnels du tourisme, explique Christian Orofino, coprésident de l’Observatoire géopolitique et environnemental du tourisme (Obget). Plus personne, aujourd’hui, ne passe par une agence pour organiser un week-end à Amsterdam ou Barcelone. Cela a favorisé un tourisme de masse sans contrôle. »

Réaction en Europe

La situation est notamment critique dans les villes européennes. Les 55 000 habitants du centre de Venise doivent composer avec 30 millions de touristes par an – autant que la région parisienne. Ils sont 18 millions à Amsterdam, 16 millions à Florence… À Barcelone (30 millions de visiteurs), le tourisme est la première préoccupation des habitants, devant le chômage, selon un sondage commandé par la mairie. Dans toutes ces villes, les habitants dénoncent l’explosion des prix des logements, le bruit, l’ivresse publique, l’encombrement des rues… et la sensation de voir l’âme de leur ville leur échapper. Après des ­manifestations antitouristes, Venise a décidé de réserver certaines de ses rues aux locaux (ils disposent d’une carte pour y accéder) ; Barcelone a interdit la construction de nouveaux hôtels dans son centre ; Amsterdam a banni l’ouverture de nouveaux commerces destinés aux touristes, les cars et calèches ; et Dubrovnik (Croatie) a imposé une limite de 4 000 visiteurs par jour dans sa vieille ville. Pour empêcher les pique-niques intempestifs, Venise a supprimé les bancs de son centre-ville et Florence arrose les marches de ses monuments historiques aux heures des repas. Des mesures plus originales que celle prise par l’Islande, où le nombre de visiteurs a bondi de 300 000 en 2000 à 2,2 millions en 2017 : au 1er juillet 2018, la TVA applicable aux services touristiques s’envolera de 11 à 22,5 %.

La vieille Europe est touchée, mais les monuments remarquables du reste du monde sont aussi en danger.

Paradis en danger

Le site de Pétra, en Jordanie, est en péril à cause des touristes.

« Le plus inquiétant n’est pas l’afflux en France, aux États-Unis ou en Allemagne, qui arrivent à gérer la situation, mais l’explosion de visiteurs dans les pays en développement, qui n’ont pas les moyens financiers de préserver leur patrimoine », alerte Christian Orofino. En Jordanie, le million de touristes qui visite Pétra chaque année a, à force de caresses, érodé les piliers du Khazneh de 4 centimètres en 10 ans. La plus célèbre plage de Thaïlande, Maya Bay, a dû être fermée de juin à octobre pour permettre à ses coraux de se régénérer. Au Pérou, il faut acheter un billet à l’avance pour visiter le Machu Picchu et le nombre de visiteurs est officiellement limité à 2 500 par jour. Mais il y a peu, lors de l’évacuation du site suite à un accident de train, 5 000 personnes ont été comptabilisées… Paradoxalement, les sites classés au Patrimoine de l’Unesco sont très menacés, ce coup de projecteur ne s’accompagnant pas de mesures visant à les pérenniser. Ainsi, depuis le classement des rizières en terrasse du Yunnan (Chine), en 2013, l’afflux de touristes a incité les habitants à les abandonner pour ouvrir des chambres d’hôtes ou vendre des souvenirs, mettant en péril ce décor millénaire.

Quelles réponses ?

L’inde a limité à 40 000 par jour le nombre de touristes indiens autorisés à visiter le Taj Mahal. Les touristes étrangers, qui paient 25 fois plus cher, ne sont pas contingentés.

L’Inde tente de limiter la fréquentation du Taj Mahal, et les touristes ne peuvent y rester que 3 h. Des mesures punitives qui ne suffiront pas, selon Christian Orofino. Pour lui, la solution passe par un retour des professionnels du tourisme. Il plaide pour que les sites remarquables ne soient visitables qu’en présence d’un guide. De quoi éviter que les touristes n’escaladent les temples d’Angkor (Cambodge) ou les pyramides d’Égypte. « Le numérique est aussi une réponse, avec la vente de billets horodatés, la gestion des flux en temps réel et la possibilité de mettre en avant des parcours thématisés », estime Guy Raffour, fondateur du cabinet d’études Raffour Interactif. Pour les deux spécialistes, il faut aussi sortir des sentiers battus : de l’Asie centrale à l’Afrique subsaharienne, le monde regorge de somptueux paysages encore méconnus.

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