ACTION UFC-QUE CHOISIR
Pratiques tarifaires des médecins

Halte au laisser-faire !

Alors que les difficultés d’accès à un médecin spécialiste ne pratiquant pas de dépassements d’honoraires sont l’une des explications de la fracture sanitaire qui frappe la France, l’UFC-Que Choisir dévoile aujourd’hui les résultats accablants d’une étude économétrique suggérant l’absence de concurrence tarifaire entre les médecins pratiquant des dépassements d’honoraires, et soulignant que seule l’installation d’un médecin respectant le tarif de base de la Sécurité sociale au sein d’une zone est de nature à diminuer le coût d’accès à la santé pour les patients à proximité. En conséquence, et dans le prolongement de sa campagne et de sa pétition « J’accuse l’État », l’UFC-Que Choisir appelle plus que jamais les pouvoirs publics à encadrer les pratiques tarifaires des médecins.

Une très grande latitude tarifaire chez les spécialistes, particulièrement problématique dans un contexte de pénurie de médecins

Le numerus clausus a été adopté en 1971 alors que l’offre médicale était perçue comme pléthorique. Dans un tel contexte, la recherche d’une patientèle pouvait influer sur le choix d’un lieu d’exercice, et la présence d’un grand nombre de médecins sur une zone donnée pouvait leur imposer une modération tarifaire. Les effets délétères du numerus clausus sur l’évolution de la démographie médicale sur le territoire expliquent une explosion de la part de médecins pratiquant des dépassements d’honoraires, dans un contexte de pénurie. Ainsi, en 2021, 70,6 % des gynécologues, 66,2 % des ophtalmologues et 48,2 % des pédiatres pratiquaient des dépassements, des proportions en forte hausse sur 5 ans : elles ont augmenté de respectivement 9,1, 7,8 et 9,7 points par rapport à 2016.

En plus d’avoir un impact sur la part de médecins pratiquant des dépassements, l’atonie de l’offre de médecine libérale est de nature à empêcher une forme de concurrence sur le niveau des honoraires. Pour en juger, l’UFC-Que Choisir a effectué une analyse économétrique sur la base des honoraires pratiqués par 4 615 gynécologues, 4 448 ophtalmologues et 2 735 pédiatres (1), soit tous les praticiens dont les tarifs sont fournis par l’Assurance maladie (2).

Les dépassements ne sont pas modérés par le voisinage d’autres médecins secteur 2, mais le sont par la proximité de médecins respectant le tarif de la Sécurité sociale

Dans la même zone d’exercice (un rayon de 5-6 kilomètres), les tarifs pratiqués par les médecins sont plutôt homogènes, ce qui suggère une imitation des pratiques tarifaires entre médecins en secteur 2 (effectuant des dépassements), et une impossibilité de fait pour les usagers de faire jouer la concurrence par les prix. Cette homogénéité est encore plus problématique quand elle correspond à une généralisation de dépassements d’honoraires très élevés. Ainsi, le tarif moyen d’une consultation chez les gynécologues atteint 72 € à Paris (alors que le remboursement de l’Assurance maladie se fait sur une base de 31,5 €), pour les ophtalmologues c’est 56 € à Reims (contre un tarif conventionnel de 31,5 €), et pour les pédiatres c’est 53 € à Nice (contre une base de remboursement d’entre 29,5 et 38,5 € en fonction de l’âge de l’enfant).

Mais surtout notre étude souligne que la présence de médecins en secteur 1 (respectant le tarif conventionné) dans une zone est associée à une modération des dépassements d’honoraires de leurs confrères exerçant en secteur 2. Ainsi, en moyenne, au sein d’une commune, une hausse d’un point de la densité de gynécologues secteur 1 est corrélée à une baisse des honoraires de 32 % au sein du secteur 2. La hausse d’un point de la densité des ophtalmologues secteur 1 est quant à elle associée à une baisse de 16 % des honoraires pratiqués dans le secteur 2. Enfin, la hausse de la densité de pédiatres secteur 1 d’un point dans une commune est associée à une baisse des tarifs du secteur 2 de 18 %.

L’augmentation de la densité de praticiens en secteur 2 est, quant à elle, beaucoup moins corrélée à une baisse des tarifs du secteur 2. Chez les gynécologues, une hausse de la densité de praticiens effectuant des dépassements au sein d’une commune n’a même aucun effet sur les tarifs pratiqués par le secteur 2. Chez les ophtalmologues et les pédiatres, plus la commune est dense en praticiens (au total et en médecins secteur 2 uniquement) par patients potentiels (3), et plus les honoraires du secteur 2 y sont homogènes. Il n’y a donc pas de phénomène de modération des honoraires via un mécanisme concurrentiel lié à l’augmentation de l’offre locale en secteur 2. Seule la présence de médecins secteur 1 à proximité est systématiquement associée à une baisse des tarifs du secteur 2.

Négociations conventionnelles au point mort : danger pour le budget des patients

Il est d’autant plus urgent que la Sécurité sociale et les médecins parviennent à un accord conventionnel sur les honoraires. En effet, seulement 4,3 % des généralistes pratiquaient des dépassements en 2021, mais en 2023, faute d’un accord, de l’ordre de 2 % de ceux qui respectaient le tarif de base se sont mis à facturer des dépassements en dehors de tout cadre légal. Au vu du bilan catastrophique de la libre fixation des honoraires de leurs confrères spécialistes en secteur 2, la Sécurité sociale doit se presser de fixer un tarif acceptable pour les libéraux, et mettre fin au laisser-faire. Il est inacceptable que les patients, qui sont des assurés sociaux et cotisent à l’Assurance maladie obligatoire, s’acquittent de dépassements systématiques (sous forme de reste à charge, ou de renchérissement des tarifs de leur complémentaire santé).

Attachée à l’accessibilité des soins, y compris financière, l’UFC-Que Choisir demande donc plus que jamais :

  • L’instauration d’un conventionnement territorial des médecins, ne leur permettant plus de s’installer en zones surdotées, à l’exception du secteur 1 (tarif de la Sécurité sociale) quand la situation l’exige (remplacement d’un médecin partant à la retraite ou zone très largement sous-dotée en médecins en secteur 1) ;

  • La fermeture de l’accès au secteur 2 (à honoraires libres) à l’origine du développement incontrôlé des dépassements d’honoraires. Les nouveaux médecins ne devraient avoir le choix qu’entre un secteur 1 aux honoraires sans dépassements et l’Option de pratique tarifaire maîtrisée (OPTAM), qui encadre les dépassements d’honoraires ;

  • La suppression des aides publiques aux médecins ne respectant pas le tarif de la Sécurité sociale, hors OPTAM.

L’UFC-Que Choisir rappelle qu’elle a récemment saisi le Conseil d’État pour faire constater et sanctionner l’inaction gouvernementale sur l’accès aux soins, et enjoindre l’exécutif à agir. Elle invite par ailleurs les consommateurs à soutenir sa démarche en signant la pétition « J’accuse l’État » , et en consultant la carte interactive des déserts médicaux actualisée en novembre 2023.

Télécharger l’étude complète

Etude_PratiquestarifairesmEdecins.pdf Télécharger


(1) Spécialités en accès direct, c’est-à-dire pour lesquelles la consultation est remboursée par la Sécurité sociale y compris sans adressage par le médecin traitant… mais remboursée sur la base du tarif conventionnel de la Sécurité sociale, et non des honoraires effectivement facturés par les médecins effectuant des dépassements.


(2) Pour la collecte des données et leur analyse économétrique, l’UFC-Que Choisir s’est appuyée sur l’expertise de Benjamin Montmartin, Professeur d’économétrie et Data Science à la SKEMA Business School. Les résultats portent sur les praticiens pour lesquels les données tarifaires étaient disponibles, en moyenne et en équivalent temps plein.


(3) Les « patients potentiels » sont les femmes pour les gynécologues, les enfants pour les pédiatres.

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