L’information tarifaire et les droits des consommateurs déraillent
Alors que le train est le mode de transport longue distance le plus respectueux de l’environnement en Europe, l’UFC-Que Choisir, dans le cadre de sa campagne prioritaire pour des transports collectifs plus fiables et attractifs, publie aujourd’hui une nouvelle étude montrant que les obstacles à l’utilisation du transport ferroviaire restent nombreux. En effet, l’accès à l’information, la réservation, la transparence de la tarification et les garanties d’arrivée à bon quai font trop souvent défaut. Soucieuse de faire des consommateurs les alliés éclairés de l’indispensable développement du transport ferroviaire, notre association propose au ministre des Transports une série de mesures concrètes à mettre en œuvre.
Pour déterminer les difficultés auxquelles sont aujourd’hui confrontés les consommateurs lorsqu’ils souhaitent voyager en train, l’UFC-Que Choisir a procédé à une analyse comparée de l’offre de billets de train proposée par les différents sites de réservation disponibles, pour 24 liaisons sélectionnées pour représenter différents types de trajets nationaux et internationaux (1).
Offre de trains disponibles : des trous dans la raquette
Les opérateurs ferroviaires historiques des différents pays européens ont développé des plateformes de réservation en ligne, comme SNCF Connect en France. Depuis quelques années, de nouvelles applications se sont développées. Alors qu’on pourrait s’attendre à ce que l’offre de trains disponible soit identique sur l’ensemble de ces différentes plateformes de réservation, le consommateur a une information à géométrie variable.
Ces différences se constatent pour les trains nationaux (par exemple en ce qui concerne la liaison Lyon-Saint-Étienne, la plateforme Rome2Rio propose 32 trajets sur une journée quand la plateforme Kombo en propose 114), comme internationaux, particulièrement lorsque le trajet comprend une correspondance. En effet, SNCF Connect affiche uniquement l’offre de trains qu’elle exploite elle-même. Dès lors, le consommateur ne peut connaître depuis cette application ni l’existence d’un trajet avec une correspondance à l’étranger, ni celle d’un train Paris-Lyon exploité par Trenitalia.
Réservation et prix des billets : les consommateurs victimes du brouillard informatif
Le brouillard persiste au moment de la réservation. De nombreuses plateformes (Tictactrip, Kombo, Omio, Rome2Rio ou encore Rail Europe) ne distinguent pas clairement la 1ère et la 2e classe (ou le type de wagon pour les trains de nuit). Ainsi, lorsque la 2e classe est complète, le prix affiché est celui de la 1ère, sans que cela ne soit clairement mentionné. Ce manque d’harmonisation ne permet pas aux consommateurs d’appréhender correctement les différences de prix constatées pour un même trajet d’une plateforme à l’autre.
Concrètement, un consommateur qui souhaite voyager au prix le plus bas un jour donné, se verra proposer des tarifs très différents selon la plateforme utilisée. Dans notre échantillon, l’écart entre les tarifs minimaux peut atteindre 85 % !
Écart entre les prix proposés par les différentes plateformes de réservation
Opérateur historique du pays tiers | Écart entre tarifs minimaux | ||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Tarif minimum en euros (frais de service inclus) | |||||||||
Bèlves-Valence d’Agen | 19,40 | 19,40 | 23,40 | 21,40 | 21,37 | 21,37 | 26,85 | - | 38 % |
Paris-Bordeaux | 55,00 | 55,00 | 66,00 | 58,00 | 55,00 | 60,75 | 62,45 | - | 20 % |
Montpellier-Madrid | - | 76,99 | 85,91 | 90,00 | 85,84 | 142,45 | 136,45 | 129,00 | 85 % |
Paris-Utrecht | - | 107,20 | - | - | 106,00 | 113,15 | 114,65 | 103,00 | 11 % |
Encore plus étonnant, les prix peuvent varier pour un même train. Par exemple, un consommateur souhaitant réserver un trajet Paris-Stuttgart – une liaison conjointement opérée par la SNCF et la Deutsche Bahn – constatera que les prix affichés sur SNCF Connect et sur le site de Deutsche Bahn sont différents. Un même train en fin de journée du 18 octobre est ainsi affiché à 89 euros sur le site français… contre 79,99 euros sur le site allemand.
De plus, certaines plateformes pratiquent des frais de service, forfaitaires ou proportionnels au prix du billet. Or, nous dénonçons les pratiques douteuses de certaines plateformes qui affichent initialement un prix attractif, mais qui n’affichent ou ajoutent ces frais de service qu’à une étape ultérieure de la réservation, parfois même uniquement au moment du paiement. Un véritable « dark pattern » (2), interface trompeuse qui a d’ailleurs été interdite pour les places de marché.
Droits des passagers : une mise en cohérence s’impose
Lorsqu’ils voyagent en train, les consommateurs bénéficient de certains droits en cas de retard ou d’annulation. L’un des principaux consiste à garantir l’acheminement à destination. Ainsi, dans le cas d’un trajet avec correspondance, l’arrivée à destination sera assurée en cas de retard du premier train. Pourtant ce droit n’est pas encore garanti pour les voyages avec correspondance faisant intervenir plusieurs transporteurs. Qu’un consommateur effectue un trajet Montpellier-Madrid avec une correspondance à Barcelone, comprenant un premier train exploité par la SNCF et un second par la Renfe, ou un voyage Rennes-Lyon avec une correspondance à Paris, comprenant un premier train exploité par la SNCF et un second par Trenitalia, le résultat sera le même : il n’aura aucun droit à se faire proposer un autre train pour se rendre à sa destination finale en cas de retard du premier train.
Cette situation est d’autant moins acceptable qu’elle s’applique même lorsque le consommateur a acheté ses billets simultanément, lors d’une unique commande, auprès d’une plateforme de réservation alors que c’est prévu pour le transport aérien… D’autant qu’avec l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire, une telle situation risque de se multiplier en France. Le développement de la concurrence ferroviaire ne doit pas aboutir à laisser les droits des consommateurs sur le quai !
Face à ces constats, l’UFC-Que Choisir, promotrice du développement des moyens de transport décarbonés, et tout en restant attachée à l’achat de billets directement en gare dans de bonnes conditions, demande aux pouvoirs publics de :
- Garantir aux plateformes de réservation l’accès aux informations et aux systèmes de vente des opérateurs de transport ;
- Permettre aux opérateurs de transport en faisant la demande que leurs services soient affichés et réservables sur toute application de réservation de billets de transport ;
- Garantir la transparence des prix pour les trajets avec correspondance (prix décomposé) ;
- Garantir que les passagers ayant réservé un trajet avec correspondance bénéficient de la garantie d’acheminement à destination, d’une indemnisation en cas de perturbation et d’une assistance, y compris pour les trajets faisant appel à plusieurs opérateurs et les trajets internationaux.
Enfin, l’UFC-Que Choisir enjoint les plateformes ne faisant pas preuve de transparence à afficher beaucoup plus clairement et immédiatement les frais de service dans la présentation de leur offre.
(1) Le détail de la méthodologie est présenté dans notre étude.
(2) Dark patterns sur les sites d’e-commerce : L’UFC-Que Choisir appelle les autorités à sanctionner les interfaces trompeuses, UFC-Que Choisir, 2024.