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Aide aux aidantsLe baluchonnage enfin autorisé mais encore hors de portée de beaucoup de familles

Rosine Maiolo

par Rosine Maiolo

Depuis le 20 août 2025, les proches aidants peuvent officiellement accéder au « baluchonnage », une solution de répit inspirée du Québec : un professionnel s’installe jour et nuit à domicile pour prendre le relais auprès de la personne aidée pendant plusieurs jours consécutifs. Une avancée attendue depuis plusieurs années, mais qui reste pour l’instant freinée par un écueil majeur : son financement.

En France, on estime entre 9 et 11 millions le nombre de personnes qui accompagnent et soutiennent au quotidien un proche dans le besoin. Ces aidants sont en majorité des femmes (54 %), souvent encore actifs (58 %), ils apportent leur aide à un membre de leur famille (90 %) en situation de dépendance due à la vieillesse (53 %), malade (36 %) ou en situation de handicap (23 %), selon le baromètre des aidants 2024 du collectif Je t’aide. Près d’un aidant sur six y consacre plus de 20 heures par semaine, parfois 40 heures ou plus. Cette charge lourde, qui se superpose à leur vie professionnelle et familiale, entraîne un cortège d’effets délétères tels que douleurs chroniques, troubles du sommeil, anxiété, isolement, dépression. Dans certains cas, l’aidant meurt même avant la personne aidée.

L’aidant, pilier invisible du maintien à domicile 

Si le rôle des aidants est devenu si essentiel, c’est en raison du « virage domiciliaire » pris : la plupart des personnes âgées souhaitent vieillir chez elles, et c’est aussi la priorité des politiques publiques. Ainsi, le maintien à domicile repose en grande partie sur les aidants, devenus les piliers invisibles du système. Or, pour durer, il faut aussi leur permettre de souffler. Le droit au répit existe depuis une loi de 2015 pour les personnes dont la présence est indispensable au domicile de leur proche. Il s’agit en pratique d’une enveloppe financière (550 € par an environ) permettant de trouver un relais auprès du parent âgé le temps de souffler. Ce droit reste peu utilisé, car les dispositifs (accueil de jour, hébergement temporaire, garde de nuit, etc.), sont complexes à mettre en œuvre, insuffisants, inadaptés ou trop coûteux. Dans ce paysage, le baluchonnage vient enrichir l’éventail des solutions, avec un avantage décisif : offrir un répit réellement efficace.

Une solution venue du Québec

Né au Canada, le baluchonnage est une forme innovante de répit. Un professionnel spécialement formé vient s’installer au domicile de la personne aidée, jour et nuit, pendant plusieurs jours d’affilée, pour prendre le relais de l’aidant. L’avantage est considérable puisque la personne aidée reste dans son environnement, sans rupture de ses habitudes, tandis que l’aidant peut partir et bénéficier d’un vrai temps de respiration.

Jusqu’à présent, le droit du travail français bloquait cette formule. Il est en effet impossible de faire travailler un salarié 24 h/24 plusieurs jours d’affilée. Une expérimentation, dérogatoire au droit du travail, a été lancée en 2018 et a été reconduite plusieurs fois avec, au total, 40 porteurs de projets, dont 16 accompagnés par l’association Baluchon France. Le succès a conduit à sa pérennisation : la loi du 15 novembre 2024 et son décret d’application du 19 août 2025 (entré en vigueur le lendemain) autorisent désormais cette « prestation de suppléance à domicile », l’appellation retenue par les textes.

Un cadre dérogatoire mais strictement encadré

Concrètement, des salariés volontaires peuvent désormais travailler jusqu’à 6 jours consécutifs, à raison de 94 jours par an au maximum. Toutes les heures sont bien sûr rémunérées. Quant aux temps de repos qui n’ont pas pu être pris, à savoir au maximum 11 heures par jour et 20 minutes toutes les 6 heures, sont compensés après la mission. Le système repose sur le volontariat des salariés. En amont de chaque prestation, l’employeur doit s’assurer du consentement de l’employé par écrit. Le refus d’exécuter une mission ne peut entraîner une sanction disciplinaire. L’intervenant doit avoir un diplôme ou un titre de niveau 3 au minimum, ce qui atteste de compétences dans les secteurs sanitaires, médico-social ou social et justifier d’au moins un an d’expérience professionnelle dans l’accompagnement de personnes âgées en situation de perte d’autonomie, de personnes malades ou de personnes en situation de handicap.

Qui a droit au baluchonnage ?

Le baluchonnage n’est pas destiné à tous, il vise les situations les plus lourdes : les personnes âgées en situation de perte d'autonomie, les personnes malades ou les personnes en situation de handicap nécessitant une surveillance permanente et vivant à domicile grâce à l'accompagnement d'un ou plusieurs proches aidants, assurant une présence constante au domicile de la personne.

Un répit précieux mais encore limité

Pour Baluchon France, l’idéal serait que chaque aidant concerné puisse bénéficier d’un quota de 12 jours par an, à répartir en deux ou trois périodes. Cela offrirait un véritable répit. Bien sûr, toute l’organisation habituelle autour de la personne aidée est maintenue : éventuelles visites de l’infirmière, de l’auxiliaire de vie, du kinésithérapeute, etc. Les venues des proches, comme celles de ses petits-enfants, restent inchangées par exemple. Pour l’aidant qui quitte le logement, l’effet psychologique du répit dure longtemps. La perspective de pouvoir y recourir 6 jours tous les 6 mois ou 4 jours tous les 4 mois, c’est-à-dire d’avoir bénéficié de ce répit et de savoir qu’il sera bientôt à nouveau possible, aurait un effet bénéfique pour l’aidant toute l’année, selon l’association. Une façon aussi de tenir l’épuisement à distance, un fléau qui guette tous les aidants.

Le grand angle mort, le financement

Un problème de taille demeure : la facture. Une prestation de baluchonnage coûte de 650 € à 750 € par jour, soit plus de 2 000 € pour 3 jours par exemple. Durant l’expérimentation, certains conseils départementaux ou caisses de retraite ont soutenu financièrement les familles. C’est le cas de l’AG2R, avec une prise en charge à hauteur de 2 000 € pour chaque baluchonnage ; une participation qui va perdurer pour les personnes affiliées à cette institution de retraite. Mais pour l’heure, aucun financement national n’est garanti à l’ensemble des aidants. L’association Baluchon France a trouvé là son prochain cheval de bataille : sécuriser un financement pérenne. Des discussions ont déjà commencé avec l’Agirc-Arrco, la caisse des militaires, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie ou les Agences régionales de santé (ARS). Sans soutien public massif, cette avancée risque de rester une promesse inaccessible pour beaucoup de familles.

La mise en place du baluchonnage en 4 étapes

1. Une première visite à domicile

Avant toute intervention, un professionnel se déplace chez vous en présence de la personne aidée. Ce n’est pas encore le relayeur, mais un salarié du service de baluchonnage. Il évalue votre situation, vos besoins et vos attentes, ainsi que celle de votre proche. Il vérifie que la situation correspond bien aux critères d’éligibilité (perte d’autonomie, besoin de surveillance permanente), que les conditions sur place garantissent l’hygiène et la sécurité du relayeur. Cette visite permet aussi de répondre à toutes vos questions, y compris sur le coût et les aides possibles.

2. Une rencontre préparatoire

Au maximum une semaine avant le début du baluchonnage, vous rencontrez le professionnel qui viendra chez vous en présence de la personne que vous accompagnez. C’est un moment clé pour établir un lien de confiance. Vous échangez sur les questions pratiques, les habitudes de vie, les besoins spécifiques de votre proche et les visites déjà prévues (infirmière, kinésithérapeute, auxiliaire de vie…). Rien n’est bouleversé puisque le relayeur s’intègre dans l’organisation existante. Ce temps permet tout à la fois de veiller au cadre de l'intervention, vous rassurer mais aussi garantir au relayeur des conditions de travail adaptées.

3. Une convention écrite pour tout cadrer

Une convention est ensuite signée entre l'établissement ou le service, vous-même et la personne que vous accompagnez. Ce document énonce les engagements et les obligations des trois parties. Il fixe notamment la durée de la prestation ; les horaires de départ et d'arrivée de l'intervenant ; les vôtres ; les missions de l'intervenant ; le prix de la prestation ; les modalités pratiques (repas, matériel utilisé, usage éventuel du véhicule, etc.). Ce document fixe un cadre clair et sécurise l’intervention.

4. Le relais à domicile

Le jour J, le relayeur s’installe au domicile, de jour comme de nuit, jusqu’à 6 jours consécutifs. Il prend entièrement le relais comme prévu dans la convention. Vous pouvez ainsi vous absenter et souffler, en sachant que votre proche est entre de bonnes mains. Pendant l’intervention, le relayeur n’est pas isolé car son service s’engage à lui apporter conseil et soutien autant que de besoin, et lui passe aussi un appel quotidien pour s’assurer que tout se déroule bien.

Rosine Maiolo

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