Florence Humbert
Nouvelle alerte
Au terme d’une étude d’une ampleur exceptionnelle, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation et de l’environnement (Anses) pointe les dangers du bisphénol A sur les enfants à naître.
Le dossier à charge du bisphénol A (BPA) s’alourdit… Dans le rapport qu’elle a rendu public le 9 avril 2013, au terme de trois années de recherche, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation et de l’environnement (Anses) met en évidence l’existence de risques potentiels pour les enfants dont les mères ont été exposées à ce perturbateur endocrinien durant leur grossesse. Pour les filles, la modification de structure de la glande mammaire dès la formation du fœtus pourrait ainsi favoriser l’apparition ultérieure d’un cancer du sein. Même si ce risque est jugé « modéré » en l’état actuel des connaissances, l’Anses recommande aux futures mamans d’éviter au maximum l’exposition à ce perturbateur pourtant omniprésent dans notre environnement. D’autres risques (effets sur le système reproducteur femelle, sur le cerveau et le comportement, sur le métabolisme et le système cardiovasculaire) ont été évalués, pour leur part, comme « négligeables » dans la plupart des cas. Dans ses avis précédents, l’Anses avait déjà pointé les effets « avérés » du BPA sur l’animal alors qu’ils étaient seulement suspectés chez l’homme. Cette fois, l’Agence publique est allée plus loin. Pour la première fois, toutes les sources d’exposition de la population au BPA ont fait l’objet d’une évaluation systématique. Un travail colossal qui a mobilisé les experts de l’Anses pendant trois ans. Et un investissement justifié par le caractère insidieux et diffus d’un risque auquel nous sommes tous exposés. Le BPA est omniprésent dans notre quotidien : utilisé depuis 50 ans pour la fabrication des plastiques, il entre dans la composition des polycarbonates, des résines époxy, des polyesters et autres polychlorures de vinyle. Autant dire dans la composition de la plupart des objets qui nous entourent (récipients à usage alimentaire ou non, optiques de phares, matériel électrique et câbles, appareils électroménagers, dispositifs médicaux, encres d’imprimerie, etc.).
Les boîtes de conserve incriminées
Parmi les différentes sources d’exposition, l’alimentation entre en première ligne. Elle représente par exemple 84 % des risques de contamination pour la femme enceinte, tandis que 12 % proviennent de l’air et 4 % des poussières en suspension. Parmi les sources alimentaires, le BPA contenu dans les résines époxy qui tapissent l’intérieur des boîtes de conserve contribue à lui seul à 50 % des expositions toxiques. « La suppression des récipients de conservation qui relâchent du BPA contribuerait à réduire de manière significative l’exposition via l’alimentation sans pour autant l’annuler », remarquent les experts de l’Agence. Car les denrées d’origine animale (viande, abats, produits de la mer) figurent aussi au banc des accusés, tout comme l’eau conditionnée dans les bonbonnes en polycarbonate utilisées dans les collectivités.
Enfin, certaines professions sont plus exposées que d’autres : en particulier les caissières qui manipulent constamment des tickets de caisse. En effet, ces tickets sont le plus souvent imprimés sur des papiers thermiques qui contiennent des révélateurs chimiques riches en bisphénol A. Selon l’étude de l’Anses, en cas de grossesse, les enfants à naître de ces femmes présentent des risques accrus pour les quatre types d’effets considérés : glande mammaire, cerveau et comportement, appareil reproducteur féminin, métabolisme et obésité.
Au terme de cette enquête, les seuils critiques d’imprégnation au BPA, calculés par les experts de l’Anses, aboutissent ainsi à définir de nouvelles valeurs limites de toxicité qui sont de 5 000 à 20 000 fois inférieures à la valeur de la dose journalière admissible (DJA) reconnue officiellement par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Autant dire que ces DJA n’ont d’admissible que le nom ! De quoi jeter le doute sur les positions rassurantes de l’EFSA concernant les perturbateurs endocriniens.
Des substituts qui ne sont guère plus rassurants
La mention « sans bisphénol A » inscrite sur certains tickets de caisse et autres papiers thermiques tels que les relevés de carte bancaire ne suffit pas à les dédouaner de tout risque toxique. Car la plupart d’entre eux contiennent d’autres composants de la famille des bisphénols, qui n’ont pas fait l’objet d’essais toxicologiques complets. Les industriels doivent pourtant faire la démonstration de l’innocuité des produits qu’ils mettent sur le marché.
Aujourd’hui, le temps presse. À partir du 1er janvier 2015, le BPA sera banni de tous les contenants alimentaires (une mesure déjà effective pour tous les produits destinés aux enfants de moins de 3 ans). L’Anses a déjà dressé un premier état des lieux des substances alternatives au BPA, dont certaines sont déjà utilisées dans l’industrie. Mais « cet inventaire n’est probablement pas exhaustif », précise l’Anses. « Et même si la plupart de ces composés chimiques ont été préenregistrés sous REACH (base de données européenne des substances chimiques), ceux-ci n’ont pas pour autant fait l’objet d’essais complets, dans le domaine de la toxicologie, notamment vis-à-vis de la reproduction et/ou de leur caractère de perturbateur endocrinien ». De quoi inquiéter…
Traquez le bisphénol A dans les plastiques
En attendant l’interdiction totale du BPA dans les contenants alimentaires en plastique votée par le Parlement (à partir de 2015), il n’est pas toujours facile de faire le tri entre les matériaux qui en contiennent et ceux qui en sont dépourvus. Voici cependant quelques astuces pour identifier l’ennemi.
- Le polycarbonate est un plastique dur et transparent, qui peut facilement être confondu avec d’autres matériaux comme le plexiglas ou le propylène. Il est fréquemment utilisé pour la fabrication des bonbonnes d’eau. Mais on peut aussi le retrouver dans une foule d’ustensiles de cuisine : blenders, boîtes hermétiques micro-ondables, cuit-vapeur, cuves d’autocuiseur, douilles de pâtisserie, pichets, bacs de réfrigérateur… Le marquage de ces produits, grâce à un pictogramme comportant un chiffre de 1 à 7, n’est pas obligatoire, mais fréquemment utilisé par les industriels.
De 1 à 6, le matériau n’est pas du polycarbonate.
En revanche, le chiffre 7 accompagné de la mention PC (pour polycarbonate) indique la présence de polycarbonate. Sans la mention PC, le chiffre 7 indique la présence possible mais pas certaine de polycarbonate.- Certaines résines époxydes servant de vernis de revêtement à l’intérieur des boîtes de conserve contiennent souvent du bisphénol A. Dans le doute, préférez-leur les bocaux en verre même si le revêtement intérieur du couvercle peut comporter également du BPA. Côté contenants métalliques, ceux qui sont composés de 2 pièces seulement – un corps et un couvercle serti après remplissage, comme les canettes de soda ou de bière – sont a priori dénuées de BPA.