Camille Gruhier
Un nouveau cadre pour les géants du Web
Changement de tactique. Après des années à sanctionner les géants du Web pour divers abus de position dominante, l’Europe va désormais les encadrer en amont avec des règles limitant leur puissance. Ce nouveau cadre réglementaire, baptisé Digital Markets Act, devrait entrer en vigueur en janvier 2023. Avec son lot de bouleversements dans nos usages quotidiens des services numériques.
Coup dur pour Amazon, Apple, Facebook, Google et Microsoft : pour eux, dès janvier 2023, les règles du jeu changent en Europe. Le Conseil et le Parlement européens sont en effet parvenus à un accord sur le Digital Markets Act (DMA), ou Règlement des marchés numériques, un texte discuté depuis des mois qui vise à lutter contre les positions dominantes des géants du Web. Plutôt que de les sanctionner après coup lorsqu’ils favorisent leurs propres services au détriment des autres (comme ce fut le cas pour Google Shopping en 2017), l’Europe va désormais imposer aux plateformes des règles strictes en amont.
Le DMA cible les grandes entreprises du numérique, celles qui sont incontournables pour les acteurs plus modestes, et les nomme « contrôleurs d’accès » ‒ impossible par exemple d’échapper à Google quand on veut lancer un site Internet ou à Apple pour qui veut lancer une application pour iPhone. Pour être désigné comme tel, des seuils ont été établis (1). Un contrôleur d’accès doit en outre contrôler un ou plusieurs « services de plateforme de base » dans au moins trois États membres. Ces services comprennent les places de marché et les boutiques d’applications, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, le cloud, les services de publicité, les assistants vocaux et les navigateurs Web.
WhatsApp et iMessage bientôt compatibles ?
Concrètement, le DMA aura donc des incidences sur les habitudes des consommateurs puisqu’il vise précisément des services que nous utilisons tous les jours. Il sera ainsi interdit d’imposer des logiciels et des applications préinstallés sur les ordinateurs et les smartphones, comme un navigateur Web ou une appli de navigation. Aussi, théoriquement, un utilisateur d’iPhone devrait pouvoir accéder à d’autres boutiques que l’App Store pour télécharger des applications ; et au sein de l’App Store, il devra pouvoir payer les applis et leur contenu via un autre système de paiement que celui d’Apple. Remplacer l’assistant vocal Siri par un autre devra aussi être possible.
De la même manière, toutes les messageries instantanées devraient devenir interopérables, c’est-à-dire compatibles entre elles. On devrait donc pouvoir répondre depuis iMessage (Apple) ou Teams (Microsoft) à un message envoyé par WhatsApp (Meta, ex-Facebook). Par ailleurs, le DMA contraint un peu plus le profilage publicitaire en imposant le consentement des utilisateurs pour le croisement de données issues de plusieurs services en ligne. En cas d’infraction, les sanctions prévues sont lourdes, puisqu’elles peuvent atteindre 10 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise (20 % en cas de récidive).
(1) Entreprises ayant un chiffre d’affaires de 7,5 milliards d’euros dans l’Union européenne (UE), ou bien une valorisation de 75 milliards d’euros et plus de 45 millions d’utilisateurs finaux mensuels et au moins 10 000 utilisateurs professionnels établis dans l’UE.