BILLET DE LA PRÉSIDENTE
Digital Markets Act

Les géants du Net vont-ils se conformer à la nouvelle réglementation ?

À partir du 6 mars prochain, le règlement européen sur les marchés numériques dit DMA (Digital Markets Act), s’appliquera aux géants du Net proposant des services numériques essentiels et ayant un poids important sur le marché. Ces « contrôleurs d’accès » seront alors soumis à de nouvelles obligations. Bien que certains aient déjà procédé à des ajustements pour s’y conformer, les mesures mises en place jusqu’à présent, à en juger par ce que j’ai observé, suscitent davantage d’inquiétudes que de confiance quant à la capacité des entreprises à respecter le DMA dans les délais impartis.

Le DMA, conçu pour réduire l’emprise des mastodontes du web et stimuler la concurrence sur les marchés numériques, promet des bénéfices tangibles pour les consommateurs. Ainsi, ces derniers devraient désormais pouvoir accéder par des alternatives aux magasins d’applications imposés par Apple et Google à une offre plus large, ce qui pourrait entraîner une baisse des prix des applications et abonnements. Actuellement, l’App Store d’iOS et le Google Play Store sur Android peuvent en effet imposer des frais importants sur chaque transaction aux développeurs, du fait que les consommateurs ne peuvent pas se procurer d’applications ailleurs.

Surtout, le DMA renforcera le contrôle des consommateurs sur la protection de leurs données personnelles, empêchant ainsi les contrôleurs d’accès de les pister à travers différents services sans leur consentement explicite. Par exemple, le DMA impose à Amazon d’obtenir le consentement express des consommateurs avant d’utiliser les informations sur leurs habitudes de visionnage sur Prime Video pour diffuser des publicités ciblées sur sa plateforme de vente en ligne. Le DMA permettra donc de mettre fin à une pratique qu’Amazon n’assumait pas, puisque son représentant nous avait affirmé que les informations de visionnage sur la plateforme Amazon Prime n’étaient pas utilisées à des fins commerciales sur le site d’Amazon.

À l’approche de l’échéance, les géants du Net ont entrepris des ajustements, mais ceux-ci soulèvent des inquiétudes légitimes. Le DMA interdit clairement à ces acteurs d’échapper à leurs obligations en recourant à des interfaces trompeuses, les fameux dark patterns, ou en détériorant la qualité du service pour sanctionner les consommateurs qui souhaitent bénéficier de ces nouvelles règles.

Nous veillerons à ce que les plateformes se mettent en conformité avec la législation européenne à compter du 6 mars. Mais elles ont encore beaucoup à faire.

La firme Apple a ainsi annoncé qu’elle permettrait l’accès à des magasins d’applications alternatifs sur ses appareils. Mais dans sa communication, elle tente de présenter le DMA comme une menace pour la sécurité, utilisant 22 fois le mot « risque ». Si l’entreprise continue sur cette voie en incitant les consommateurs à ne pas utiliser les magasins d’applications alternatifs, elle risque fort de contrevenir à la réglementation. Ce scénario est pourtant réel, si on se fie au fait qu’Apple cherche dès à présent à dissuader les entreprises de proposer des magasins d’applications alternatifs sur ses appareils en instaurant un système complexe de certifications, de restrictions et de frais supplémentaires.

Du côté d’Amazon, la société sollicite toujours l’accès aux données personnelles en utilisant des catégories vagues (« divertissement », « Amazon Device Services », « autres services Amazon »), sans viser des services spécifiques comme Prime Video, Amazon Echo ou Twitch que les consommateurs connaissent. De plus, le message affiché par Amazon aux consommateurs explique en détail l’intention du géant du Net d’améliorer le service pour ceux qui acceptent d’être pistés, sans un mot sur le fait qu’il utilisera aussi leurs données personnelles pour la publicité ciblée.

Nous devrons attendre la mise en œuvre définitive des ajustements apportés par les contrôleurs d’accès, mais ce que j’ai vu jusqu’à présent suscite de sérieuses préoccupations. Il reste encore quelques jours avant que le DMA ne soit pleinement applicable. J’en appelle donc aux géants du Net pour qu’ils utilisent judicieusement ce temps afin de revoir leurs pratiques et de se conformer aux nouvelles règles. Faute de quoi, la Commission européenne devra réagir immédiatement et fermement dès le 6 mars pour rappeler aux grandes plateformes qu’elles ne peuvent pas continuer à contourner les règles en toute impunité.

Marie-Amandine Stévenin

Marie-Amandine Stévenin

Présidente de l'UFC-Que Choisir

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