Olivier Puren
Bercy mise sur les cyber-enquêteurs
La loi de finances pour 2024 a enrichi l’arsenal des outils destinés à détecter et à sanctionner les infractions fiscales. Les agents des impôts pourront bientôt mener des investigations sous pseudonyme sur Internet pour débusquer les fraudeurs.
La lutte contre la fraude fiscale est une priorité des pouvoirs publics et pour la mener à bien, de profondes réformes ont été engagées depuis 2018. Des algorithmes ont été créés par les services fiscaux pour analyser les données de masse présentes sur Internet (le datamining) et révéler les incohérences pouvant justifier un contrôle fiscal. Ils exploitent des millions d’informations chaque jour provenant des déclarations fiscales, des comptes bancaires, du fichier cadastral, de l’Urssaf, etc.
Depuis 2021, les services fiscaux peuvent aussi collecter les données personnelles en accès libre sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram…) et sur les plateformes d’échanges et de services entre particuliers (Airbnb, Blablacar…), ce qui peut aboutir à une procédure de taxation d’office fondée sur les éléments du train de vie ou à de lourdes sanctions pour exercice d’une activité non déclarée par exemple.
Exploitation renforcée du datamining
La possibilité d’exploiter les données en accès libre sur Internet pour débusquer les fraudeurs devait prendre fin le 31 décembre 2023, mais la loi de finances a décidé de la prolonger jusque fin 2025. De plus, le législateur a prévu de renforcer le dispositif en instaurant deux nouvelles mesures.
La première autorise le fisc à utiliser les informations récoltées sur Internet pour sanctionner les contribuables qui minorent ou dissimulent délibérément leurs revenus, et plus seulement ceux qui exercent une activité occulte ou qui sont faussement domiciliés à l’étranger. La seconde l’autorise à utiliser les contenus qui sont accessibles en ligne après l’inscription à un compte, et plus uniquement ceux qui sont librement accessibles ou rendus accessibles par leurs auteurs.
Selon les travaux parlementaires, cela va notamment permettre au fisc d’exploiter les messages en ligne relatifs aux ventes prohibées entre particuliers (comme la vente de tabac) et de taxer les contrevenants. Ces nouveaux pouvoirs du fisc n’entreront cependant en vigueur qu’après la publication d’un décret, à paraître au plus tard le 31 décembre 2024.
Bon à savoir La lutte contre la fraude fiscale a permis de récupérer 15,2 milliards d’euros d’impôts, de pénalités et d’intérêts de retard en 2023. Soit 600 millions de plus qu’en 2022 et 3,5 milliards de plus qu’en 2019. Le nombre de contrôles fiscaux sur les particuliers aux plus hauts revenus a augmenté de 25 % l’année dernière (1).
Enquête ciblée sous pseudonyme
Une autre mesure inscrite dans la loi de finances va permettre au fisc d’aller plus loin en matière de contrôle fiscal : la possibilité de mener des enquêtes en ligne ciblées sous pseudonyme. Ses agents habilités pourront bientôt diligenter de véritables investigations dites « actives » sur les sites Internet, les réseaux sociaux et les applications de messagerie à l’encontre des contribuables qu’ils soupçonnent de fraude, et plus seulement des enquêtes dites « passives » basées sur l’exploitation des données de masse. Ils pourront notamment prendre connaissance des données non publiques mises en ligne et participer à des échanges électroniques avec les contribuables sur lesquels ils enquêtent, afin de récolter des preuves de leurs manquements. Le tout en avançant masqué, c’est-à-dire en utilisant une identité d’emprunt pour ne pas éveiller les soupçons. Seule limite, leurs actes ne devront en aucun cas constituer une incitation à commettre une fraude fiscale, sous peine de nullité.
Là encore, l’entrée en vigueur de cette mesure est suspendue à la parution d’un décret d’application. En outre, les enquêtes actives ne pourront porter que sur les infractions suivantes : activité occulte ou illicite, construction ou aménagement sans autorisation d’urbanisme, abus de droit fiscal ou manœuvres frauduleuses, non-déclaration des comptes bancaires ou contrats d’assurance vie détenus à l’étranger ou des trusts. Les autres manquements susceptibles de sanctions fiscales, eux, ne pourront être révélés que par les moyens traditionnels de contrôle fiscal (contrôle sur pièces, sur place, etc.) ou par l’exploitation du datamining.
Bon à savoir Seuls les agents des finances publiques ayant au moins le grade de contrôleur et qui sont spécialement habilités peuvent mener des enquêtes en ligne. Les enquêtes actives impliquant des échanges avec des internautes seront cependant réservées aux agents affectés dans un service à compétence nationale désigné par décret (certainement les agents des pôles nationaux de contrôle à distance créés depuis 2021). Près de 800 agents sont déjà affectés aux cyber-enquêtes fiscales et une cinquantaine de plus seront affectés aux enquêtes sous pseudonyme.
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(1) Source : ministère chargé des Comptes publics, mars 2024.