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Électricité

Du ménage à faire chez les fournisseurs alternatifs

Le dernier numéro de Cash Investigation a dépeint les comportements de fournisseurs alternatifs achetant au prix bas de l’électricité à EDF pour le revendre sur le marché de gros sans en faire profiter leurs clients. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) tape du poing sur la table. Explications.

« Aujourd’hui, c’est la jungle. » Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), l’autorité administrative chargée de veiller au bon fonctionnement du marché de l’énergie, annonce vouloir mettre de l’ordre au sein des fournisseurs d’électricités alternatifs. Autrement dit, tous sauf EDF.

TotalEnergies, Mint, Ekwateur, Enercoop, Elmy, Ohm Énergie… Depuis 2007 et l’ouverture totale à la concurrence du marché de l’électricité, des dizaines d’opérateurs proposent de fournir en électricité les particuliers, bien que n’en produisant pas eux-mêmes dans la plupart des cas. À la place, ils nouent des contrats avec des producteurs ou en achètent sur les marchés de l’électricité.

Moins de fournisseurs à l’avenir ? « Pas plus mal »

« Aujourd’hui, si vous voulez pénétrer ce marché, il y a peu d’obligations économiques ou financières qui vous incombent, déplore Emmanuelle Wargon dans le dernier numéro de La Tribune du Dimanche (1). C’est un vrai problème. » L’ex-ministre du Logement veut imposer à ces fournisseurs alternatifs les mêmes règles qui s’appliquent aux banques et assurances. « S’ils souhaitent accueillir des clients, ils devront prouver qu’ils se sont réellement couverts à l’avance pour les approvisionner », précise-t-elle. Quitte à ce que ça se traduise par une diminution de leur nombre à terme ? « Ce ne sera pas forcément plus mal », tranche Emmanuelle Wargon.

L’entretien tombe au moment même où ces fournisseurs alternatifs profitent d’une baisse des prix de l’électricité pour attirer de nouveaux clients avec des offres très alléchantes par rapport au tarif réglementé de vente d’EDF, encadré par les pouvoirs publics et ainsi moins sensible au cours de l’électricité. Il arrive surtout quelques jours après le dernier numéro de Cash Investigation sur les profiteurs de crises. Dont celle en cours sur l’énergie à laquelle le magazine d’enquête consacrait sa première partie.  

Des fournisseurs qui poussent leurs clients à partir

Dans le collimateur ? D’étranges courriels adressés à l’automne 2022 par des fournisseurs alternatifs à leurs clients les encourageant à partir. Jusqu’à leur indiquer les économies qu’ils feraient en rejoignant EDF. Ça sent l’arnaque à l’Arenh, l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Ce mécanisme – un engagement de l’État auprès de la Commission européenne ‒ a été instauré en juillet 2011 par la loi Nome du 7 décembre 2010. Le but était de casser le monopole qu’avait EDF sur la fourniture de l’électricité aux Français, en espérant que cette libéralisation se traduise par des baisses de facture pour les usagers. Ainsi, dans le cadre de l’Arenh, EDF est désormais tenu de vendre jusqu’à 100 térawatts/heures par an ‒ soit un quart environ de sa production ‒ aux fournisseurs alternatifs et à un prix fixé par les pouvoirs publics. 42 € le mégawatt/heure (MWh). En clair : très bas. C’est la CRE qui attribue les volumes aux fournisseurs, en se basant notamment sur le nombre de clients que ces derniers ont à l’été.

Des besoins gonflés pour revendre de l’électricité au prix fort

« Mais ces quotas sont donnés pour toute l’année », explique Fabien Gay, sénateur communiste de Seine-Saint-Denis, qui suit de près ce dossier. Toute l’astuce alors, pour les fournisseurs les moins scrupuleux, est d’avoir beaucoup de clients à cette période de l’année, et de ne plus en prendre ensuite voire de tout faire pour s’en débarrasser. Le surplus de volumes Arenh est alors revendu sur les marchés de l’électricité, à des prix bien supérieurs à 42 €/MWh. « À plus de 250 € si ce n’est plus et, summum de l’absurde, cette électricité est en partie revendue à EDF elle-même », raconte Fabien Gay, qui avait notamment accusé Mint et Ohm Énergie de telles pratiques dans une série de tweet en août 2022 (2).

Courriel reçu par une cliente de Mint Énergie afin de l’inciter à aller à la concurrence !

Sur la centaine de fournisseurs à avoir demandé des volumes d’Arenh en 2022, 76 avaient formulé une demande excédentaire par rapport à la consommation effective de leurs portefeuilles clients, constate la CRE dans un rapport du 29 juin 2023 (3). Ils ont vendu ce surplus sur le marché de gros, une opération qui leur a rapporté près de 1,6 milliard d’euros. Des montants jamais atteints depuis la libéralisation du marché de l’électricité. Ils ont dû rendre cet argent via le complément de prix 1 (CP1), un mécanisme qu’applique la CRE pour neutraliser le bénéfice théorique réalisé par les fournisseurs en cas de demande excédentaire par rapport à leurs besoins.

Enquête en cours sur 3 fournisseurs

Dans ce même rapport, la CRE reconnaît que la crise de l’énergie et un hiver 2022 anormalement chaud ont pu fausser les prévisions des fournisseurs qui avaient jusqu’à novembre 2021 pour déposer leurs demandes d’Arenh. Non seulement les Français ont diminué leurs consommations d’électricité, mais une partie de ceux qui avaient rejoint des fournisseurs alternatifs depuis 2007 ont choisi de retourner chez EDF.

Mais ça n’explique pas certains abus. 11 fournisseurs ont demandé un volume d’Arenh 2 fois supérieur à leurs besoins. En plus de rendre l’argent, ces opérateurs ont dû s’acquitter de pénalités (CP2), d’un montant total d’environ 20 millions d’euros. Parmi ces 11, la CRE a par ailleurs saisi le Comité de règlement des différends et sanctions (Cordis) à propos de 3 fournisseurs soupçonnés d’abus. C’est la première fois, là encore, que le Cordis est saisi sur ce motif. Dans le lot, Ohm, dont le nom a déjà fuité dans la presse, avait déjà eu maille à partir avec le médiateur national de l’énergie. Contacté par Que Choisir, la CRE ne donne pas le nom des deux autres à ce stade de son enquête. « Nous leur reprochons d’avoir profité du droit des contrats très ouverts afin de recruter un maximum de clients aux printemps 2021 et 2022 puis de les avoir incités à partir chez d’autres fournisseurs à l’automne », explique Emmanuelle Wargon à La Tribune du Dimanche. Ils encourent une amende pouvant aller jusqu’à 8 % de leur chiffre d’affaires. La décision du Cordis est attendue en mars ou avril.

Les contrats d’énergie à revoir également ?

C’est un autre souhait exprimé par Emmanuelle Wargon. La présidente de la CRE dit vouloir clarifier le droit de la consommation s’agissant des contrats d’énergie. « Nous proposons de créer trois catégories d’offres en dur et pas plus, détaille-t-elle. Des offres à prix fixe, des offres indexées sur le tarif réglementé de vente qui se baseraient sur un chiffre calculé par nous et des offres libres. » Changer de catégorie nécessiterait un nouveau contrat et le mode de fixation ne pourrait pas bouger pendant la première année, imagine aussi l’ex-ministre du Logement.

Les demandes de l’UFC-Que Choisir

L’UFC-Que Choisir est mobilisée depuis plusieurs mois pour convaincre les autorités de la nécessité d’un meilleur encadrement de l’autorisation de fourniture d’énergie et d’une réforme des règles juridiques s’appliquant aux contrats de fourniture. L’objectif est de mieux informer le consommateur sur son contrat, de rendre obligatoire l’actualisation des mensualités en cas de modification de contrat et d’améliorer la présentation des factures.

Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

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