Elsa Casalegno
De coûteuses invasions
Souvent introduits par l’homme, des animaux et végétaux exotiques peuvent envahir des territoires dont ils étaient auparavant absents. Ces espèces invasives provoquent de nombreux dégâts. La facture environnementale, sanitaire et économique s’alourdit avec l’accélération des échanges commerciaux et du réchauffement climatique.
Une espèce est dite exotique quand elle est introduite dans un territoire hors de son aire de vie originelle. Dans la plupart des cas, elle est amenée par l’homme, de façon volontaire ou involontaire. Une espèce exotique devient envahissante (EEE) si sa propagation pose problème : destruction de la biodiversité, risques sanitaires, dommages aux infrastructures.
Quelles sont les espèces exotiques envahissantes (EEE) ?
Certaines EEE sont connues, à l’instar du frelon asiatique, arrivé en Europe dans une cargaison de poteries chinoises il y a 20 ans ; de l’étourneau sansonnet, dont les 100 individus introduits aux USA en 1890 par un passionné en ont engendré 200 millions, au détriment des oiseaux locaux ; ou de la perche du Nil, qui tue peu à peu toute vie dans le lac Victoria, en Afrique. L’aquaculture est d’ailleurs une cause majeure d’introduction d’EEE au niveau mondial. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) cite ainsi la moule zébrée, « capable de se fixer à une grande variété de substrats, ravageant aussi bien les coques de bateaux que les canalisations de centrales nucléaires ». Des animaux tels le lapin, la chèvre, le rat, le serpent, peuvent causer des dégâts irrémédiables sur la faune et la flore locales, en particulier dans les écosystèmes fragiles des îles.
Mais les EEE les plus nombreuses sont les végétaux. En France, citons l’ambroisie, très allergène, arrivée d’Amérique du Nord via des semences, ou des plantes ornementales exotiques qui se diffusent dans la nature, à l’instar de la jussie, nocive pour les zones humides, ou du miconia qui envahit les forêts de Tahiti et provoque l’extinction d’espèces endémiques.
Quels dégâts provoquent ces espèces invasives ?
Au niveau mondial, on compte 37 000 espèces exotiques, dont plus de 10 % sont envahissantes. Elles coûtent très cher, tant sur le plan de la biodiversité que des finances publiques : elles ont contribué à près de 60 % des extinctions d’espèces en quatre siècles, et auraient coûté 167 milliards de dollars en dégâts, éradication, soins aux personnes, etc., rien qu’en 2017 ! Le montant équivaut désormais à celui provoqué par les séismes ou encore par les inondations, et il est sans doute « massivement sous-estimé », soupçonne le CNRS.
Hélas, ces dépenses augmentent avec le réchauffement climatique, qui élargit l’aire de diffusion des espèces, souvent originaires des zones tropicales. Ainsi, des insectes nocifs pour la santé humaine, comme les moustiques vecteurs du paludisme, de la dengue ou du chikungunya, sont désormais acclimatés en France. La région de Marseille a vu débarquer la fourmi électrique depuis l’Amérique du Sud, à la piqûre très douloureuse. Préparez-vous également à la fourmi de feu, qui est arrivée en Sicile, dont les piqûres causent une douleur intense, voire parfois un choc anaphylactique ‒ qui tue une centaine de personnes par an aux USA…
Comment lutter ?
La lutte contre les EEE est souvent vaine, car trop tardive, les États se contentant alors de payer les dégâts. Dans l’Union européenne (UE), un règlement communautaire établit une liste d’espèces interdites mais elle contient seulement 41 plantes et 47 animaux ‒ la France l’a élargie à 94 espèces ‒ sur les quelque 5 000 EEE recensées par les scientifiques, c’est trop peu.
L’UE surveille les nouvelles invasions biologiques afin de les éradiquer immédiatement, et gère celles déjà installées. Au prix fort : 12 milliards d’euros par an. Pourtant, la prévention et la gestion des invasions biologiques coûte dix fois moins cher que les pertes financières qu’elles engendrent, soulignait le CNRS en 2023. « Dégradation d’infrastructures, de cultures, de plantations forestières, impacts sur les rendements de pêche, la santé ou encore le tourisme, les domaines touchés sont multiples et les dégâts onéreux », précise l’organisme de recherche.
Et ce n’est pas près de s’arrêter, car ces invasions, en forte augmentation ces deux derniers siècles, suivent l’explosion des échanges commerciaux, tandis que la prévention n’arrive pas à suivre. Les chercheurs estiment que 3 000 à 4 000 espèces vont chaque jour d’un point du globe à l’autre, en empruntant les mêmes transports que nous. Ainsi, plus de 10 000 espèces marines de crustacés, invertébrés, algues ou bactéries passent d’un océan à l’autre via les eaux de ballast des navires. Quant aux moustiques, ils prennent l’avion !
Pourtant, une politique volontariste permet de contenir ces invasions. Ainsi, la Nouvelle-Zélande a mis en place des protocoles stricts de contrôle des marchandises dans ses ports et aéroports, afin d’identifier les plantes ou insectes indésirables avant même qu’ils ne débarquent. Si cette action est facilitée par le fait qu’il s’agit d’une île, elle montre néanmoins qu’il est possible d’être proactif face à ce qui est considéré comme l’une des principales menaces pour l’humanité avec le réchauffement climatique, la perte de biodiversité et l’épuisement des ressources, la pollution plastique, et les pandémies.
Ne ramenez rien de vos voyages
Si le commerce international est la principale voie de diffusion des EEE, le tourisme est un autre vecteur. Pour éviter de contribuer au problème :
- Ne ramenez jamais de plantes ou d’animaux exotiques de l’étranger.
- N’en achetez pas de façon frauduleuse.
- Ne jetez pas les plantes ornementales (y compris d’aquarium) dans la nature, et n’y relâchez jamais ni tortues, ni serpents, ni oiseaux – et encore moins alligators ou mygales !
Le lapin fait des ravages
Difficile d’imaginer le sympathique lapin de garenne en nuisible de première catégorie. C’est pourtant le cas hors d’Europe, où il a été introduit sur des îles par les colons. Privé de ses prédateurs habituels et se reproduisant très vite, il a proliféré au point de faire disparaître une partie de la flore endémique. Amené en 1903 à Hawaii, il est responsable de l’extinction de 26 espèces locales de plantes et de 3 espèces d’oiseaux en 20 ans. Il pullule également en Australie, où il a été introduit à la fin du XVIII e siècle, causant des millions de dollars de dégâts aux cultures et à la flore locale par un surpâturage qui laisse le sol à nu, induisant de l’érosion à grande échelle. Les gouvernements tentent depuis 150 ans de réguler la population de lapines par diverses méthodes : chasse au fusil ou au furet, empoisonnement, clôtures, dynamitage des terriers, etc. En vain.