
par Fabrice Pouliquen
par Fabrice Pouliquen
En septembre 2024, Dominique Jégou, retraité grenoblois, a découvert que le contrat d’électricité de son immeuble avait été discrètement changé par le syndic de copropriété, Foncia AGDA, de GEG, fournisseur local historique, à JPME, un opérateur peu connu. Un cas loin d’être isolé dans la capitale des Alpes.
« Vous ne savez pas tout sur JPME… » Le coup de fil de Dominique Jégou, un dimanche soir, a de quoi nous intriguer. Quelques jours plus tôt, Que Choisir publiait un article consacré à JPME, l’appellation commerciale utilisée par Actelios Solutions, fournisseur d’électricité méconnu ou, quand il l’est, rarement pour de bonnes raisons. Depuis un an et demi, cette société s’embourbe dans de multiplies litiges avec ses clients. Essentiellement des particuliers équipés de panneaux solaires à qui JPME proposait d’acheter leur surplus de production. Et en 2023, le prix était très alléchant. Problème : Actelios Solutions se révélera être un très mauvais payeur. Le médiateur de l’énergie, l’instance chargée de recommander des solutions aux conflits entre les consommateurs et les opérateurs du secteur de l’énergie, adressera d’ailleurs à JPME un carton rouge dans son dernier rapport d’activité pour les nombreuses plaintes reçues à l’encontre de ce fournisseur.
Dominique Jégou, aussi, a eu affaire à cette société… mais dans un autre contexte. Ce retraité habite un immeuble du quartier Malherbe à Grenoble (Isère) dont la gestion a été confiée à un syndic très implanté localement : AGDA Immobilier. Comme beaucoup d’autres en France, ce dernier a été racheté en 2022 par Foncia, le réseau achetant alors près d’un syndic par semaine, rapportait Les Échos en mars 2023.
Trop gourmand, Foncia ? L’UFC-Que Choisir est régulièrement alertée par des copropriétés très remontées contre ce réseau pour ses carences de gestion. Notamment à Grenoble, où notre antenne locale a encore enregistré une quarantaine de plaintes en un an. Dominique Jégou habite l’un de ces immeubles délaissés. « En septembre 2024, voilà plus d’un an que nous n’avions pas eu d’assemblée générale avec tous les désagréments que cela implique, ne serait-ce que pour répartir les charges entre les copropriétaires », déplore-t-il.
Alors, avec des voisins, Dominique Jégou lance une procédure judiciaire pour obtenir une administration provisoire de leur immeuble. En parallèle, ils récupèrent tous les documents relatifs à leur immeuble sur l’espace dédié à leur copro sur le site Internet de Foncia AGDA. « C’est là que je découvre que notre syndic, aux abonnés absents, avait néanmoins trouvé le temps de changer le contrat de fourniture d’électricité de notre bâtiment le 26 juin 2024, raconte le retraité. De Gaz électricité de Grenoble (GEG), le fournisseur local historique [et à 51 % public, ndlr], nous étions passés chez JPME. » Le contrat porte sur l’éclairage dans les parties communes, les ascenseurs, le fonctionnement du chauffage collectif… Soit près de 30 000 € par an.
Dominique Jégou cherche à en savoir plus sur JPME et découvre des témoignages au vitriol de particuliers jamais payés de leur surplus de production d’électricité. « Rien que pour ça, assure-t-il, je me serais opposé à ce qu’on rejoigne ce fournisseur. »
C’est le premier couac dans cette affaire. « Un tel changement de contrat doit être avalisé par les copropriétaires lors de l’assemblée générale (AG) », rappelle Thibault Martin, conseiller-juriste à l’Agence départementale d’information sur le logement (Adil) Isère. Problème : les devis ne valent qu’un temps et une AG ne peut être convoquée en moins de trois semaines. « Alors dans 95 % des cas, le conseil syndical anticipe les échéances de contrat d’énergie et demande, lors de l’AG qui se tient en amont, que les copropriétaires lui donnent mandat pour étudier les offres du marché. Il peut alors s’aider du syndic pour cette mission, continue Thibault Martin. Mais alors, des consignes sont tout de même fixées en AG (un tarif à ne pas dépasser, par exemple) et, dans tous les cas, la copropriété doit être informée, in fine, du fournisseur choisi. »
Dominique Jégou en est certain : Foncia AGDA n’a respecté aucune de ces règles. Surtout, le Grenoblois découvre que trois immeubles voisins et un bâtiment de garages, gérés par le même syndic, sont aussi passés chez JPME « dans les mêmes conditions opaques ». Y en a-t-il d’autres encore ? Ces derniers mois, plusieurs copropriétés grenobloises désabusées ont lâché Foncia pour d’autres syndics. Parmi ceux-ci, certains nous affirment avoir effectivement récupéré des immeubles avec des factures d’électricité JPME. « Beaucoup et uniquement en provenance de Foncia et Citya », nous indique même, par courriel, Nelly Beaup, cogérante de l’agence BE, en nous listant dix immeubles concernés. « Dans tous ces cas, ni les copropriétaires ni les conseillers syndicaux n’ont été informés de ce changement », témoigne-t-elle.
Foncia assure avoir agi dans l’intérêt de ses copropriétaires, dans un contexte de crise énergétique. Les immeubles concernés avaient des contrats d’électricité GEG au tarif réglementé (TRV), l’offre dont les prix sont encadrés par l’État. Or, à l’été 2024, avec un prix du kilowattheure (kWh) à 19 centimes d’euros, le TRV n’était pas l’option la plus intéressante sur le marché. « Certains cabinets de Foncia à Grenoble ont ainsi fait appel au courtier Avenir Énergie France (AEF), permettant ainsi la renégociation de plusieurs contrats et le changement de fournisseur d’énergie au profit d’Actelios Solutions, nous écrit le groupe immobilier. Ce dernier proposait à l’époque un contrat avec un prix du kWh fixe pendant deux ans à 16 centimes d’euros. » Les deux dirigeants de Citya Audras & Delaunois reconnaissent également avoir transféré des contrats de fourniture d’électricité de GEG à JPME, toujours via l’entremise du courtier AEF et dans ce contexte d’envolée des prix de l’électricité. Maïlys Audras dit avoir dû agir rapidement, sans pouvoir attendre la convocation d’une assemblée générale. « Mais il s’agissait de petits contrats d’électricité et nous appelions systématiquement le conseil syndical en amont pour leur soumettre la proposition de JPME et obtenir leur accord », se défend-t-elle.
Tout de même, GreenAlp, le gestionnaire local du réseau de distribution d’électricité (Grenoble est l’une des zones non desservies par Enedis), énumère une quarantaine de sociétés habilitées à proposer des contrats d’énergie sur son réseau. Dans le lot, les plus gros : TotalEnergies, Engie, Octopus… « Alors pourquoi Actelios ? », s’étonne Dominique Jégou. « À Grenoble, le choix est bien plus restreint que ne le laisse penser cette liste, répond Maxime Gibert, le courtier d’AEF intervenu sur les changements de contrats au profit de JPME. Pour s’y implanter, les fournisseurs d’électricité doivent développer des outils informatiques spécifiques pour se logger au réseau de distribution local. La majorité considère que l’investissement ne vaut pas le coup. » GEG confirme : « Les particuliers grenoblois n’ont le choix qu’entre Ekwateur et nous », en précisant que ce choix restreint vaut aussi dans les autres territoires (Strasbourg, Bordeaux, etc.) gérés par une entreprise locale de distribution et non Enedis. « Pour les copropriétés, c’est le même dilemme, reprend Maxime Gibert. Très peu de fournisseurs acceptent de les prendre comme clients. Alors quand JPME nous a dit qu’il voulait bien s’y développer, nous avons décidé de l’aider. »
Le courtier confie ainsi avoir fait passer plusieurs dizaines d’immeubles grenoblois chez JPME, essentiellement à l’été 2024 (1). « Sans aucune malveillance », promet-il. « Il n’y a pas eu non plus de gratification versée conformément à la réglementation en vigueur », insiste aussi Foncia. Il n’empêche, ces changements semblent avoir été faits majoritairement sans consultation des copropriétaires. La non-tenue de l’assemblée générale annuelle est en tout cas un grief qui revient très souvent dans les plaintes contre les cabinets Foncia reçues par l’association locale de l’UFC-Que Choisir.
Pour l’immeuble de Dominique Jégou, le groupe immobilier tente de se défendre : « Dans cette copropriété, notre mandat de gestion s’achevait le 30 juin 2024 [le changement de fournisseur a été finalisé la veille, ndlr], explique-t-il. La convocation d’une assemblée générale n’a pas pu aboutir, bien que Foncia l’eût proposé au conseil syndical. » Face à la grogne des habitants une fois le transfert de contrat découvert, Maxime Gibert dit avoir proposé, « sans succès », de rencontrer le conseil syndical pour expliquer ce changement précipité. « Et s’il l’avait souhaité, nous aurions procédé à un retour vers GEG », ajoute-t-il.
Un peu facile… « Lorsqu’on change les contrats d’énergie d’une copropriété, on ne se focalise pas seulement sur les prix mais aussi sur le sérieux du fournisseur, gage du service après-vente qu’on aura derrière », nous glisse le gérant d’un syndic grenoblois. Or, début 2024, JPME collectionnait déjà les avis négatifs pour le non-paiement de l’électricité solaire produite par ses clients. En novembre de cette année-là, le médiateur de l’énergie ira jusqu’à saisir la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) pour demander le retrait de sa licence de fournisseur à Actelios Solutions. Une requête toujours en cours d’instruction.
(1) Interrogé sur ce point, le groupe Foncia ne nous a pas communiqué le nombre précis de copropriétés grenobloises, sous sa gestion, passées chez JPME pour la fourniture d’électricité au niveau de l’immeuble.
Fabrice Pouliquen
La force d'une association tient à ses adhérents ! Aujourd'hui plus que jamais, nous comptons sur votre soutien. Nous soutenir
Recevez gratuitement notre newsletter hebdomadaire ! Actus, tests, enquêtes réalisés par des experts. En savoir plus