Élisa Oudin
Les clients font les frais d’un bras de fer entre professionnels
À côté du passage du ticket-restaurant du format papier au format carte, une seconde raison se fait jour pour expliquer les récents cas de refus des tickets-restaurants. Un certain nombre de commerçants réagirait à la hausse des commissions de gestion pratiquées par les sociétés chargées de leur reverser le montant des titres.
Début août, dans un hyper Leclerc du Var, un client constate avec étonnement que sa carte de titres-restaurants n’est pas acceptée pour le paiement de denrées alimentaires. La grande surface est pourtant équipée d’un terminal compatible avec ce type de règlement. Explication de la personne à la caisse : le magasin ne prend plus les tickets-restaurants (papier ou carte à puce) en raison de la fermeture de la Centrale de règlement des titres (CRT)… Une explication qui laisse perplexe le consommateur ! Un peu passée sous les radars, la fin, en février 2023, de la centrale de règlement des titres-restaurants n’est effectivement pas sans conséquences pour les utilisateurs de chèques-repas.
Commissions à la hausse pour les commerçants
Jusqu’au 28 février dernier, les commerçants obtenaient le remboursement des titres-restaurants auprès de la CRT. Depuis, ce sont les 4 principales sociétés émettrices de titres-restaurants (Edenred, Up, Bimpli et Sodexo) qui ont récupéré la gestion de ce service. Le commerçant sera ainsi réglé par 4 voies différentes, sur 4 comptes différents. Un pour chaque émetteur. Cette nouvelle procédure induit des délais de règlement variables d’un acteur à un autre… mais aussi et surtout des frais en hausse ! Les titres-restaurants ne sont en effet pas gratuits pour les commerçants, qui payent une commission sur chaque ticket, au titre des frais de gestion. Jusqu’ici, le montant s’élevait entre 1 et 2 %. Selon le responsable d’un syndicat professionnel dans le tourisme, la commission est passée en moyenne à 3 % pour la carte dématérialisée et plus de 4-5 % pour le papier… en échange du raccourcissement important des délais de remboursement. Un argument qui a apparemment du mal à convaincre les professionnels concernés. Un certain nombre de commerçants, notamment des restaurateurs et boulangers, semblent avoir renoncé, ces derniers mois, à prendre les titres papier, et parfois les cartes, suivis, apparemment, par quelques grandes surfaces.
Consommateur pénalisé
La situation est d’autant plus dommageable que l’État a décidé d’autoriser, depuis le 8 août 2022, dans le cadre de la loi sur la protection du pouvoir d’achat, le « règlement de tout produit alimentaire, qu’il soit ou non directement consommable » en chèque déjeuner. Ce dispositif est en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023. Il permet aux salariés d’utiliser, tous les jours de la semaine (en dehors du dimanche), leurs titres pour toutes leurs courses alimentaires à hauteur de 25 €. Les grandes surfaces ont par ailleurs conclu une charte avec la CRT, précisant les modalités d’utilisation des tickets-restaurants dans leurs enseignes. Certes, juridiquement, chaque magasin reste libre d’accepter ou de refuser le paiement par des titres ou chèques repas. Seules les espèces ne peuvent faire l’objet d’un refus.
Les enseignes Aldi et Lidl n’acceptent pas, depuis longtemps et de façon très générale, le paiement en titres-restaurants. Toutes deux mettent en avant la faiblesse de leurs marges pour justifier leur refus. Il serait dommageable que cette exception s’étende, alors même que les enseignes de la grande distribution sont loin d’être les acteurs qui ont le plus pâti de la hausse des prix alimentaires.
L’Autorité de la concurrence contre un plafonnement des commissions
L’Autorité de la concurrence a été saisie par le ministre de l’Économie et des Finances, qui a souhaité recueillir son avis sur la pertinence d’un encadrement réglementaire du montant des commissions perçues par les émetteurs de titres-restaurants.
Dans un avis publié le 17 octobre, l’Autorité se montre défavorable à un tel encadrement du fait de ses effets incertains. Elle craint que les émetteurs dont les taux de commission étaient inférieurs les alignent sur ce plafond, et que ceux dont les commissions étaient supérieures compensent leurs pertes en augmentant leurs marges par ailleurs.
Toutefois, l’Autorité de la concurrence admet l’existence de « défaillances de marché », qu’elle attribue principalement à la puissance des émetteurs historiques (Edenred France, Bimpli-Swile, Sodexo Pass France et Up Coop). Ils détiennent 99 % de parts de marché, ce qui limite le développement des nouveaux entrants et permet l’augmentation continue des commissions, note l’Autorité.
Elle recommande, pour assainir la situation, de supprimer le droit exclusif de chaque émetteur sur l’acceptation des titres qu’il émet – c’est-à-dire de permettre aux commerçants de remettre tous les titres-restaurants reçus en paiement à l’intermédiaire de leur choix – mais également de rendre obligatoire la dématérialisation des titres. Celle-ci permettrait une réduction des coûts en facilitant la gestion et le paiement des titres, et favoriserait les nouveaux entrants (Benefiz, Dunia, Octoplus, Open, WiiSmile, Worklife, etc.) en remettant en concurrence une part substantielle du marché.
Morgan Bourven