Florence Humbert
La menace
Une disposition de la proposition de la loi Fourcade, actuellement en discussion au Parlement, risque de compromettre l’avenir des réseaux de soins. Pourtant, ces partenariats mis en place par les organismes complémentaires permettent de contrôler les dérives des tarifs des professionnels de santé et d’assurer à tous un accès à des soins de qualité.
Actuellement, le Code de la mutualité interdit aux mutuelles de pratiquer des taux de remboursement différenciés, en cas de recours à un professionnel de santé membre de leur réseau de soins. Alors que les autres organismes complémentaires – compagnies d’assurances, institutions de prévoyance, etc. sont libres de le faire. C’est pour corriger cette inégalité de traitement que la proposition de loi de Jean-Pierre Fourcade, actuellement en discussion au Parlement, prévoit une modification de ce code qui autoriserait désormais les mutuelles à « instaurer des différences dans le niveau des prestations lorsque l’assuré choisit de recourir à un professionnel de santé, un établissement de santé ou un service de santé membre d’un réseau de soins ou avec lequel les mutuelles, unions ou fédérations ont conclu un contrat comportant des obligations en matière d’offres de soins ».
Une disposition qui satisfaisait pleinement les organismes complémentaires de l’assurance maladie (OCAM). Seulement voilà, un amendement de dernière minute présenté par le rapporteur de la loi, madame Valérie Boyer, sème le trouble. En effet, si celui-ci était adopté, un décret en Conseil d’État devrait entériner les règles de chaque conventionnement conclu entre des professionnels de santé, et une mutuelle, une entreprise régie par le code des assurances ou une institution de prévoyance.
Sous couvert de réglementation, cet encadrement reviendrait à réduire à néant les efforts de contrôle des dépenses de santé réalisés depuis plusieurs années par les complémentaires. En effet, la contractualisation ne se concrétiserait plus par l’adhésion volontaire de certains praticiens au contrat cadre proposé par une mutuelle, mais celui-ci devrait avoir été au préalable négocié globalement avec les représentants de chaque profession de santé concernée.
Intérêts corporatistes
Autant dire que c’est tout le système actuel qui est menacé de paralysie à court terme. Pas besoin d’aller chercher bien loin les auteurs de cette manœuvre en sous-main. Les représentants des professions médicales ont toujours été hostiles aux réseaux de soins. Soucieux avant tout de la défense de leurs intérêts corporatistes, leur lobby agite l’épouvantail des soins low cost et des risques de dérive « à l’américaine » de notre système de santé.
En réalité, le système des réseaux de soins n’est nullement discriminatoire dès lors que les adhérents peuvent librement choisir de s’adresser à un professionnel, qu’il soit conventionné ou pas.
Par ailleurs, la limitation du reste à charge des assurés ne signifie pas une moindre qualité des prestations, comme le sous-entendent souvent les adversaires de ces réseaux. « Pour l’optique, par exemple, les tarifs proposés pour une qualité similaire sont inférieurs en moyenne de 30 à 40 % sur les verres et de 10 % au minimum sur les montures, de l’ordre de 20 % sur les prothèses dentaires et de 40 % sur les équipements d’audioprothèses », précise Marianne Binst, directrice générale de Santéclair, une plateforme de management de la santé, filiale de plusieurs assureurs et mutuelles dont la MAAF et MMA. « Le principe est de permettre un bon rapport qualité/prix. »
L’Autorité de la concurrence a d’ailleurs rendu il y a quelques mois un avis positif sur le développement de ces réseaux, dans la mesure où ils conduisent les praticiens à s’engager sur la qualité des services rendus aux assurés, à mettre en place le tiers payant, et à respecter une certaine modération tarifaire (voir notre article).
Rien n’est encore joué :
Dans son rapport 2010 sur l’application de la loi de financement de la Sécurité sociale, la Cour des comptes avait également souligné l’effet pro-concurrentiel des réseaux de professionnels de santé agréés par les organismes complémentaires, ajoutant que « d’un côté, de tels accords bénéficient aux patients, et de l’autre, certains praticiens y trouvent aussi leur intérêt, puisque les plafonds permettent une solvabilisation de la demande, qui peut ainsi s’accroître ».
Pour sa part, Marianne Binst estime que « si régulation il y a, elle doit être effectuée non pas par l’Administration, en s’appuyant sur un décret en Conseil d’État, mais par l’Autorité de la concurrence. Cette Autorité a d’ailleurs à plusieurs reprises effectué des contrôles en la matière et élaboré des avis détaillés largement suivis par les organismes complémentaires de l’Assurance maladie (OCAM) ».
Pour le moment, rien n’est encore joué, le vote de la loi devant intervenir le 19 mai prochain. Le bon sens et l’intérêt des patients l’emporteront-ils ?
Dans le cas contraire, les nouvelles dispositions risqueraient fort de sonner le glas des réseaux de santé. En période de difficultés croissantes des ménages et d’érosion du pouvoir d’achat, cette disparition serait incontestablement le signe d’une nouvelle forfaiture des pouvoirs publics.