BILLET DE LA PRÉSIDENTE
Remboursement des soins

Franchises médicales, hypocrisie gouvernementale

Pour réduire la dépense publique en santé, les autorités ont une seule idée : se décharger sur la dépense privée, comme en atteste la décision récente de transférer une partie du remboursement des soins dentaires de la Sécurité sociale vers les complémentaires santé. En pleine préparation des textes budgétaires pour 2024, le Gouvernement, en quête de nouvelles économies de bouts de chandelle, a lancé un ballon d’essai : il est désormais question de doubler les franchises médicales, c’est-à-dire les restes à charge pesant sur les usagers lorsqu’ils consultent un médecin ou achètent des médicaments qui leur ont été prescrits. Je ne peux que m’offusquer d’une telle perspective : c’est à la fois celle d’une hausse des frais, et d’une sanction frappant des personnes à qui on ferait davantage payer le fait d’être malades !

Les soins pris en charge par l’Assurance maladie donnent lieu à trois types de dépenses distinctes : une partie est prise en charge par la Sécurité sociale, l’autre par les complémentaires santé, la troisième étant à la charge individuelle du patient.

Une partie des frais remboursés au patient par les complémentaires santé (hors dépassements d’honoraires éventuels) est le « ticket modérateur » : par exemple, pour un rendez-vous chez le généraliste, c’est 30 % de la consultation à 25 €. Cette prise en charge est bien évidemment répercutée in fine sur les cotisations, de plus en plus chèrement payées par les consommateurs pour leurs mutuelles ou assurances santé. Or, une hausse du ticket modérateur a déjà été adoptée cette année pour les soins dentaires : son passage de 30 % à 40 % sera effectif dès le 1er octobre. Ticket « modérateur » ! Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites ! Qui doute qu’il faille modérer l’entrain et l’enthousiasme des patients à aller se faire soigner chez le dentiste ? Cette mesure affectera directement le reste à charge des 4 % de patients ne disposant pas d’une complémentaire santé, et indirectement le budget des 96 % restants, à travers leurs cotisations. Il ne s’agit donc pas d’une économie, mais d’un simple transfert de la dépense publique (Assurance maladie) vers la dépense privée (organismes complémentaires) !

Par ailleurs, il existe actuellement une participation forfaitaire de 1 € pour toute consultation ou acte médical, et des franchises médicales pour les médicaments (0,50 € par boîte), actes paramédicaux (0,50 €), et transports sanitaires (2 €) pris en charge par la Sécu. Ces participations et franchises ne sont pas remboursées par plus de neuf complémentaires santé sur dix, et restent donc quasi systématiquement à la charge directe du patient. Le principe même de « responsabilisation » du patient, évoqué par les autorités pour justifier l’existence de ces forfaits et franchises, est un concept fort discutable, puisqu’on parle là uniquement d’actes et produits de santé pris en charge par l’Assurance maladie, donc a priori considérés comme légitimes. En outre, ces soupçons de surconsommation sont de plus en plus hors de propos, dans un contexte où l’accès aux soins, déjà largement malmené, continue de se dégrader.

Or, je note que plusieurs membres du Gouvernement évoquent l’hypothèse de davantage taper au portefeuille des patients via un doublement de tous les forfaits et franchises ; funestes mesures qui s’inscriraient dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année prochaine. Il est également question de doubler le plafond par an et par patient des franchises, pour passer ce maximum de 50 à 100 €. C’est-à-dire que le montant des frais restant à la charge du patient, remboursés ni par l’Assurance maladie ni par les complémentaires, pourrait atteindre 100 € par an.

Si je m’en réfère aux estimations relayées par différents organes de presse, ces mesures prises ensemble représenteraient une économie… de l’ordre de 0,2 à 0,6 % des dépenses annuelles de l’Assurance maladie. Cette stratégie du rabot ne représenterait donc qu’un gain lilliputien pour les finances publiques, mais un poids certain pour le pouvoir d’achat, déjà mis à mal par la flambée de l’inflation… voire entraînerait une hausse des renoncements aux soins pour raisons pécuniaires.

J’invite donc les autorités à revoir leurs raisonnements. Il existe d’autres alternatives pour réaliser des économies : je rappelle que l’UFC-Que Choisir préconise par exemple de mieux encadrer les honoraires et les aides financières aux praticiens, de lutter contre la surprescription de médicaments (ce qui serait bénéfique pour la santé publique, en plus de préserver les deniers de l’Assurance maladie), et d’assurer la transparence des négociations entre la Sécurité sociale et l’industrie pharmaceutique sur les prix.

Ainsi, tout en soignant les maux financiers de la Sécu, le Gouvernement pourrait ne pas prescrire une saignée aux patients.

Marie-Amandine Stévenin

Marie-Amandine Stévenin

Présidente de l'UFC-Que Choisir

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