Florence Humbert
Huile d’oliveLe fruité noir : une exception française ?
Bien qu’elle soit classée « lampante », donc non commercialisable selon les critères de la réglementation européenne, l’huile d’olive « goût à l’ancienne » ou « fruité noir » compte de plus en plus d’amateurs, prêts à payer jusqu’à 30 € la bouteille pour retrouver une palette aromatique rare, malgré les lazzis des gardiens du temple.
Elle fait partie de nos exceptions culturelles : l’huile d’olive « traditionnelle » ou « goût à l’ancienne » (à base d’olives maturées) est un peu notre madeleine de Proust, version provençale. Elle nous rappelle l’époque révolue où les olives fermentaient dans les greniers des moulins avant le pressage, parce qu’il y avait de l’attente au moment de la récolte ou que ça facilitait le « triturage » sous la meule de pierre. Toujours est-il que cette fermentation mal contrôlée donnait souvent des arômes déviants, avec des odeurs désagréables de sueur, d’œuf pourri… Mais elle délivrait parfois des arômes uniques de champignon, de truffe, de pâte d’olive, de cacao ou de pain au levain. Ce goût typique (que l’on retrouve aussi dans les huiles du Maghreb) reste ancré dans la mémoire des anciennes générations qui ont du mal à se faire aux charmes nouveaux de l’amertume et de l’ardence du fruité vert, devenu aujourd’hui le graal des connaisseurs. D’où le retour en force de ce procédé depuis quelques années, mais avec des techniques mieux maîtrisées. C’est du moins ce qu’assurent ses défenseurs. « Les olives fermentent pendant quelques jours dans des palox à l’abri de l’air. Cette fermentation demande beaucoup de maîtrise, autrement l’huile sera rance », constate Jean-Benoît Hugues du célèbre domaine Castelas, dans la vallée des Baux-de-Provence.
Une huile qui devrait être déclassée
Malgré son succès en France et à l’export, l’huile d’olive à l’ancienne est sur le fil du rasoir réglementaire. Car elle n’a pas de « fruité », un défaut rédhibitoire selon les critères du Conseil oléicole international (COI), et devrait donc être déclassée. Cela n’a pas empêché l’Inao (Institut national de l’origine et de la qualité) de valider la technique de maturation des olives en tant que savoir spécifique dans les cahiers des charges de l’AOP Vallée des Baux-de-Provence, de l’AOP Aix-en-Provence et de l’AOC Provence. Toutefois, la Répression des fraudes (DGCCRF) reste ferme sur ses positions : les dénominations « huile d’olive à l’ancienne » ou « fruité noir » ne sont pas autorisées et devraient être remplacées par « préparation à base d’olives maturées ». Dans cette partie de bras de fer, reste à savoir qui aura le dernier mot.