Marie-Noëlle Delaby
Des géants de l’agroalimentaire lancent leur propre logo
Au mépris du projet d’étiquetage simplifié validé par le gouvernement, six multinationales de l'agroalimentaire ont déclaré vouloir lancer leur propre logo sur leurs boissons et aliments. Un camouflet qui devance de quelques jours l’annonce surprise du logo officiel français.
Jeudi 9 mars, six géants de l'agroalimentaire (Coca-cola, Mars, Mondelez, Nestlé, Pepsi et Unilever) annonçaient vouloir lancer à l'échelle européenne leur propre logo pour étiqueter leurs boissons et leurs aliments. Une annonce habilement faite alors que la remise des conclusions du test en conditions réelles d'achat des 4 logos officiellement en lice était annoncée pour le 28 mars. Avant d’être court-circuitée par l’annonce de Marisol Touraine le 15 mars du choix du logo Nutri-Score (ou 5C). Dans un communiqué, la ministre de la Santé annonce que des 4 pictogrammes testés à l’automne dans 40 supermarchés, Nutri-Score est le plus apte à améliorer la qualité nutritionnelle du panier d’achat des consommateurs, y compris de ceux ayant les revenus les plus faibles. Un choix dont se félicite l’UFC-Que Choisir. Ce système élaboré par l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), basé sur un code couleur compréhensible en un coup d’œil, est également utilisé par notre calculateur, qui permet de connaître la qualité nutritionnelle des produits.
Cacophonie nutritionnelle
Pour rappel, le projet français, prévu par la loi Santé et voté en décembre 2015, est censé aboutir « début avril » à un décret définissant le logo officiel. Mais néanmoins facultatif. Ce qui laisse libre court à la concurrence d’industriels bien décidés à combattre toute « stigmatisation » de leurs produits les moins sains. Une lutte déjà menée de l’intérieur, au sein même du projet d’étiquetage français, via l’Ania (Association nationale des industries alimentaires) qui, en alternative au logo Nutri-Score jugé trop stigmatisant, avait proposé le Nutri-Repère. Un logo dont la couleur bleu ciel et ses dizaines d’informations au mm2 se gardait bien de discriminer les produits les moins sains. Ou de l’extérieur en proposant aujourd’hui ce logo concurrent au grand dam de l’eurodéputée écologiste Michelle Rivasi qui estime qu’il y a « un vrai conflit d’intérêt à auto-définir son étiquetage ».
On n'est jamais aussi bien étiqueté que par soi-même
« Pour nous pseudo-informer, l'industrie a tout prévu. Elle entend lancer un étiquetage couleur, dont on devrait se réjouir, mais en retravaillant les seuils pour diminuer le nombre de nutriments classés en rouge, en calculant non pas un seuil pour 100 g mais pour une portion, selon les informations de plusieurs experts qui suivent le dossier », s’indigne la députée.
Dans ce système, libre à chacun de choisir la taille de la portion retenue pour faire son calcul. Et celle-ci pourrait être bien légère dans le cas des produits les moins sains si l’on en croit la politique actuelle de certaines entreprises. Ainsi, les étiquettes des barres Bounty et Twix (produites par Mars Incorporated) indiquent des portions correspondant à un seul des deux bâtons de confiserie contenu dans le sachet individuel. De quoi faire baisser drastiquement le taux de sucre et de graisses à la portion. Le même reproche peut être fait à Nutri Mark, logo lancé par Leclerc en 2016, toujours en marge de l’étiquetage officiel.
Déjà parvenues à faire ployer l’Europe en 2010, en combattant par amendement un projet de code couleur semblable à Nutri-Score, les géants de l’agrobusiness sont d’autant plus déterminés à limiter la portée du projet français que celui-ci pourrait être pris pour modèle par d’autres pays européens soucieux d’offrir aux consommateurs un outil simple et fiable permettant enfin une bonne différenciation des aliments pour aller vers des choix plus sains et plus équilibrés. En somme, un antidote efficace contre le marketing nutritionnel, ce qu’a peu de chance d’être un logo auto-promulgué par les industriels du soda et des barres chocolatées.