Camille Gruhier
Enceintes connectéesCe que vous devez savoir sur Google Home, Echo, HomePod et les autres
Avec la Google Home, lancée en août 2017, Google a inauguré le marché des enceintes intelligentes en France. Amazon et Apple ont suivi en juin 2018 avec leurs modèles Echo et HomePod. Ces enceintes connectées à Internet intègrent un assistant vocal, le seul mode d’interaction possible avec elles. Baptisée Google Assistant chez Google, Alexa chez Amazon et Siri chez Apple, cette voix est censée vous aider au quotidien en dialoguant, pour vous donner les actualités, la météo, faire des recherches ou piloter les différents appareils de votre maison connectée. Désormais, plusieurs spécialistes de l’audio (Bose, JBL, Harman Kardon, Lenovo ou encore Sonos) ont lancé leurs propres enceintes intégrant l’assistant de Google ou celui d’Amazon. Un peu gadget et pas toujours efficaces, toutes ces enceintes soulèvent des interrogations quant à la confidentialité de nos conversations privées et de nos habitudes quotidiennes. Elles menacent aussi notre liberté de choix et la concurrence entre les services.
Les assistants vocaux ne sont pas nouveaux, nos smartphones en intègrent depuis des années. Siri, l’assistant d’Apple, est disponible dans les iPhone depuis 2012. Celui de Google est disponible en français et intégré aux smartphones Android depuis 2017. Il suffit de prononcer « Ok Google » ou « Dis Siri » pour réveiller l’assistant et lui demander s’il va pleuvoir, s’il y a des bouchons sur la route ou qui est l’auteur d’un livre. L’assistant peut aussi calculer un itinéraire, lancer de la musique ou encore envoyer un message à un contact. Autrement dit, cet assistant piloté par la voix n’est qu’une alternative au smartphone, qui peut s’avérer pratique quand on a les mains occupées.
Aujourd’hui, les assistants vocaux ont conquis d’autres appareils, notamment les ordinateurs, les téléviseurs, les box des FAI (lire encadré) et… les enceintes, devenues des enceintes « connectées » ou « intelligentes ». Le principe de fonctionnement est le même que sur un smartphone. Équipées de micros et de haut-parleurs, ces enceintes se réveillent lorsque l’utilisateur prononce un mot-clé. Connectée à Internet par le réseau Wi-Fi du domicile, l’enceinte se tient alors à l’écoute de la requête de l’utilisateur, à laquelle elle répond en combinant la reconnaissance vocale et l’intelligence artificielle. Vous pouvez ainsi programmer un réveil, lancer la musique de services en ligne (Deezer, Spotify, Apple Music, etc.), piloter les équipements connectés de la maison (thermostat, ampoules, détecteurs de fumée, capteurs d’ouverture de portes ou de fenêtres, etc.), écouter les infos et même faire vos courses (Amazon est partenaire de l’enseigne Monoprix, Google de Carrefour).
En France, Google a lancé la première enceinte connectée, la Google Home, en août 2017. Amazon et Apple ont suivi en juin 2018 avec leurs modèles baptisés, respectivement, Echo et HomePod. Et depuis, les trois géants n’ont qu’une idée en tête : les installer dans nos salons. Car après les smartphones et les ordinateurs, les enceintes connectées ouvrent une nouvelle voie d’accès à nos données, livrant sur un plateau des informations sur nous et nos habitudes, de notre heure de réveil à la température douillette de notre salon, de nos goûts musicaux à notre marque de yaourts préférée.
La vie sur écoute
Toutes ces données, Amazon, Apple et Google s’en servent pour alimenter, chacun à leur manière, leur business (lire encadré). Bien que le droit européen soit très protecteur de la vie privée (le RGPD, adopté en mai 2018, est l’une des réglementations les plus strictes au monde en la matière), cette collecte de données n’en demeure pas moins inquiétante. Car pour nous répondre, il faut bien que les enceintes… nous écoutent. Ces appareils, en veille permanente, ne nous écouteraient qu’une fois détecté le mot-clé qui les réveille. Seulement voilà, plusieurs scandales ont déjà éclaboussé ce prétendu respect de la vie privée. Fin 2018, un client allemand d’Amazon a ainsi reçu les enregistrements d’une enceinte Echo qui ne lui appartenait pas. Une erreur humaine, a plaidé Amazon, qui a par ailleurs dû reconnaître au printemps dernier, suite à des révélations du site d’informations Bloomberg, que des employés analysaient des conversations réelles de ses utilisateurs. Même aveu contraint de Google cet été. Tous deux assurent que les extraits audio analysés sont dissociés de toute information permettant d’identifier les utilisateurs. La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) conseille néanmoins de couper le micro de l’enceinte quand elle est inutilisée.
Entrave à la liberté de choix
Mais ce n’est pas tout. Le développement de ces enceintes connectées soulève également de lourdes interrogations quant à notre liberté de choix. « Demandez à l’enceinte de la musique, elle jouera de la musique. Demandez-lui s’il va pleuvoir, elle vous répondra. Mais où puise-t-elle l’information ? Météo France, Weather Forecast ? Les enceintes connectées répondent aux requêtes en choisissant elles-mêmes les sources d’informations. C’est infantilisant et cela prive le consommateur du choix parmi les différents services concurrents », analyse Serge Abiteboul, chercheur en informatique à l’Inria (Institut national de recherche en informatique) et membre du collège de l’Arcep (le régulateur des télécoms). Sur ces enceintes, l’absence d’écran accentue l’opacité sur la provenance des informations. « La réponse unique sans possibilité de visualiser les résultats suivants favorise les services les plus connus », notent le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) et la Hadopi dans une étude publiée en mai 2019 (1). Comment écarter le risque que le consommateur reçoive les réponses au gré d’accords commerciaux liant Amazon, Apple et Google aux fournisseurs de contenus ?
Des assistants intelligents… plutôt benêts
Ces enceintes, qui plus est, sont encore loin d’être parfaites. D’après l’étude, « un tiers des utilisateurs d’enceintes connectées interrogés estiment être gênés de parler à une machine ». Or la voix est l’unique mode d’interaction avec ces appareils. Parmi les 3,2 millions de personnes qui utilisent déjà une enceinte connectée en France (2), certains la considèrent comme un objet purement fonctionnel auquel on peut donner des ordres, sans autre souci de protocole. Mais d’autres s’interrogent sur l’attitude à adopter, surtout lorsqu’il est question de montrer l’exemple. « Devant les enfants, je fais attention à lui dire s’il te plaît », raconte ainsi l’un des parents interrogés. Un autre utilisateur, François, s’étonne lui-même de son comportement : « […] je fais en sorte de lui parler gentiment car je me rends compte que je lui donne des ordres et ce n’est pas très cool, surtout qu’elle me répond "Bonjour François". Donc je me sens un peu mal […], j’essaie de bien lui parler ».
Par ailleurs, ces enceintes, que nous avons essayées pendant plusieurs semaines, sont parfois à côté de la plaque. D’abord, il arrive régulièrement qu’elles se déclenchent inopinément lorsqu’on prononce un terme approchant du mot-clé qui permet le réveil de l’enceinte… Ensuite, elles ne comprennent pas toujours les requêtes. Si elles répondent bien aux demandes simples, elles perdent les pédales dès qu’on élève un peu le niveau.
Faut-il attendre que les enceintes s’améliorent pour s’équiper, ou plutôt… ne pas s’équiper du tout ? Les enceintes n’apportent finalement aucune fonction qui ne soit déjà accessible depuis un smartphone. Calquées sur le marché américain (où un quart de la population adulte est déjà équipée), les estimations misent sur un équipement massif des français dans les années à venir.
Comment vos données alimentent le ciblage publicitaire
Les enceintes connectées en détail
Google Home, 99 €
Nom de l’assistant vocal. Google Assistant
Compétences particulières. Traduction instantanée de phrases dans des dizaines de langues, gestion de l’agenda, informations sur le trafic routier, contrôle des appareils connectés de la maison. S’appuie sur le moteur de recherche Google pour répondre aux questions ouvertes.
Cible. Vos goûts et vos habitudes. Comme avec tous ses autres services (Music, Maps, Gmail, Youtube, etc.), Google affine le profil publicitaire des utilisateurs afin de vendre aux marques des espaces publicitaires ciblés.
Stocke l’historique de vos requêtes sur ses serveurs (vous pouvez les effacer).
Compatibilité. Smartphones Android, Android TV et autres appareils intégrant Google Assistant (enceintes Sonos, Harman Kardon, etc.).
Amazon Echo, 99 €
Assistant vocal. Alexa
Compétences particulières. Propose un catalogue de « skills », des sortes d’applications pour l’enceinte développées par des tiers (ex. : skill « flash actu de France Info », skill « Quizz musical », skill « actu sportive » du Monde).
Lancer de la musique, faire des listes de courses, régler des alarmes, météo, contrôle des appareils connectés de la maison. Il n'est possible d'appeler et d'envoyer des messages qu'aux utilisateurs d'une enceinte Echo.
Cible. Vos habitudes de consommation. Amazon cherche à vous maintenir dans son écosystème pour vous fidéliser sur son site marchand et vous vendre ses autres services (Amazon Music, Prime Video, etc.).
Stocke l’historique de vos requêtes sur ses serveurs (vous pouvez les effacer).
Compatibilité. Tous les appareils intégrant l’assistant Alexa (Sonos, Bose, Archos, etc.).
Apple HomePod, 329 €
Assistant vocal. Siri
Compétences particulières. Permet d’envoyer et de lire des SMS et de passer des appels. Actualités, météo, programmation d’alarmes, Apple Music, contrôle des appareils connectés de la maison.
Cible. Modèle économique basé sur la vente de terminaux (iPhone, iPad, HomePod, etc.), d’où leur niveau de prix plus élevé que la concurrence. Privilégie ses propres équipements et services culturels (Apple Music, iTunes, Podcasts, etc.) pour garder l’utilisateur dans son écosystème. Les services tiers ne sont disponibles que via son protocole de communication propre, AirPlay.
Stocke l’historique de vos requêtes pendant 6 mois puis les efface automatiquement (vous ne pouvez pas les effacer vous-même).
Compatibilité. iPhone, iPad, Mac, Apple TV.
L’assistant vocal, nouvel argument des FAI
Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) semblent avoir trouvé dans les assistants vocaux un nouvel argument pour inciter les consommateurs à changer de box. Depuis 2018, Bouygues Telecom et Free ont ainsi intégré Google Assistant à certaines de leurs offres (Freebox Mini 4K, Bbox Must Fibre, Bbox Ultym Fibre et Adsl). Free a confirmé son intérêt pour les assistants vocaux en intégrant à la Freebox Delta (sortie fin 2018) l’assistant Alexa d’Amazon et son propre assistant baptisé OK Freebox (dédié au pilotage de la box, pour lancer une chaîne ou programmer un enregistrement). Dernier à entrer en piste, SFR a annoncé que la Box 8 (commercialisée à partir du 20 août 2019) intégrera elle aussi deux assistants, un assistant maison dédié aux fonctions de la box ainsi que celui d’Amazon.
(1) Assistants vocaux et enceintes connectées, l’impact de la voix sur l’offre et les usages culturels et médias, mai 2019.
(2) Médiamétrie, juillet 2019.