Fabrice Pouliquen
Trop peu de particuliers pilotent la recharge de leur véhicule
Seulement 32 % des possesseurs de voitures électriques pilotent la recharge de leurs véhicules en choisissant le moment de déclenchement, constate Enedis dans une nouvelle étude. C’est peu, alors qu’il s’agit d’un enjeu clé pour permettre l’essor du véhicule électrique sans faire disjoncter le réseau.
On dénombre désormais 1,89 million de véhicules électriques (VE) et véhicules hybrides rechargeables (VHR) immatriculés en France. C’est un peu moins de 5 % du parc automobile français (environ 39 millions de véhicules). C’était à peine 1 % en 2020 et cette part des véhicules électriques devrait croître considérablement dans les années à venir. RTE, le gestionnaire national du réseau de transport d’électricité, envisage entre 7 et 13 millions de VE et VHR en circulation dès 2030 selon les scénarios (dont 2/3 environ de VE) et près de 36 millions en 2050 (presque exclusivement des VE).
Cet essor vient impacter notre réseau électrique qui doit absorber ce surplus de consommation tout en assurant l’adéquation entre l’offre et la demande. Dans cette optique, un enjeu clé pour les pouvoirs publics est le pilotage de la recharge des véhicules électriques. En clair : que leurs possesseurs fassent en sorte qu’elle coïncide aux moments où la demande d’électricité est généralement la moins forte, typiquement la nuit après 22 h.
Seulement 32 % des possesseurs de véhicules pilotent
RTE estime que 70 à 85 % du volume énergétique des recharges sont susceptibles d’être pilotés. On en est loin. Seulement 32 % des possesseurs de véhicules électriques disent piloter la recharge de leur véhicule, constate Enedis. Depuis 2019, le gestionnaire du réseau public de distribution de l’électricité les sonde régulièrement pour connaître leurs habitudes de mobilité et de recharge. Il vient de publier la 5e édition de cette étude, menée auprès de 1 000 possesseurs de véhicules électriques ou hybrides (1).
La durée nécessaire à la recharge complète d’un véhicule 100 % électrique est en moyenne de 9 h. 60 % des répondants disent la recharger tous les 2-3 jours, dont 25 % tous les jours ou presque. Autre statistique intéressante : seuls 12 % des utilisateurs de véhicule électrique utilisent régulièrement les bornes de recharge électriques. 74 % disent ne pas en avoir besoin. La recharge se fait ainsi principalement à domicile pour 86 % des répondants. On monte même à 90 % pour ceux habitant en maison individuelle. Pour ceux vivant en immeuble, on est à 66 %, un pourcentage en hausse tout de même de 7 points par rapport à 2023, signe que la recharge à domicile y est de plus en plus accessible.
Le bémol reste donc le pilotage de la recharge. Certes, la part des répondants disant piloter la recharge de leur véhicule a augmenté en 1 an, passant de 26 à 32 %. Ça reste peu face aux 65 % qui disent ne pas le faire. Ces derniers démarrent alors la recharge de leur véhicule dès qu’ils rentrent chez eux, vers 18 h lorsque la demande d’électricité est déjà forte. Parfois même systématiquement, quel que soit le niveau de la batterie, constate l’étude d’Enedis.
Possible pour tous
Pourtant, tous ont techniquement la possibilité de piloter la recharge. Certes, c’est plus facile à faire lorsqu’on a installé chez soi une borne de recharge. Seule une minorité des possesseurs de VE et VHR en sont équipés, 52 % d’entre eux utilisant une prise électrique classique, toujours selon l’étude d’Enedis. Mais même sans borne, « les modèles électriques aujourd’hui sur le marché permettent tous la programmation horaire dans le véhicule ou via une application smartphone du constructeur, indique Clément Molizon, délégué général de l’Avere-France, l’association nationale pour le développement de la mobilité électrique. Par ailleurs, le décalage de la recharge peut aussi se faire manuellement, en branchant tout simplement son véhicule à 22 h par exemple plutôt que tout de suite en rentrant du travail. » C’est d’ailleurs le moyen utilisé par 50 % des possesseurs de VE qui déclarent piloter la recharge.
Pourquoi alors le pilotage de la recharge est si peu répandu encore ? D’autant que l’on peut y gagner financièrement, en souscrivant un contrat de fourniture d’électricité avec option heures pleines/heures creuses (HP/HC). Le prix du kWh varie alors dans la journée, devenant très compétitif aux heures creuses, au nombre de 8 maximum par jour, le plus souvent placées la nuit. Au tarif bleu d’EDF (l’offre dont les tarifs sont réglementés par l’État), il tombe ainsi à 20,68 cts d’euros le kWh contre 25,16 cts d’euros en option de base (un seul tarif proposé). Certains fournisseurs alternatifs proposent des tarifs d’heures creuses plus bas encore, voire développent des offres dédiées spécifiquement aux possesseurs de véhicules électriques. Recharger le plus possible son véhicule aux heures creuses peut ainsi générer des économies non négligeables sur la facture d’électricité.
Manque de pédagogie et de sensibilisation
Encore faut-il le savoir. En novembre dernier, dans son livre blanc sur l’enjeu du pilotage de recharge (2), l’Avere regrettait le peu d’incitation et de communication faites par les pouvoirs publics et les acteurs de l’écosystème du véhicule électrique (constructeurs, énergéticiens, opérateurs de recharge…) pour pousser les possesseurs de véhicules électriques à passer à un tarif heures pleines/heures creuses. Le constat vaut toujours un an plus tard, indique Clément Molizon.
Enedis va même plus loin dans son rapport. « Les personnes qui ne pilotent pas la recharge de leur véhicule électrique indiquent dans 20 % des cas ne pas savoir comment faire, voire dans 6 % des cas ne pas savoir que c’est possible, note le gestionnaire de réseau. De plus, seuls deux utilisateurs sur dix affirment que l’électricien qui a installé la borne les a informés ou leur a proposé un dispositif de pilotage de la recharge. » Enedis appelle, lui aussi, à mettre bien plus l’accent sur la pédagogie et la sensibilisation, en rappelant l’enjeu : « La généralisation du pilotage de la recharge au-delà de ce qui est fait actuellement sera nécessaire à moyen terme afin d’éviter des investissements dans des moyens de production d’électricité. »