Ivan Logvenoff
Comment manger moins de viande ?
Pour l’environnement et notre santé, la réduction de notre consommation de viande est nécessaire, mais dans quelle mesure, et de quelle manière ? Les scientifiques nous aident à trouver un menu équilibré pour nous comme pour la planète.
Comme 40 % des Français, peut-être avez-vous l’intention de réduire votre consommation de viande dans les prochaines années. Comme 2 Français sur 3, peut-être avez-vous même déjà l’impression de manger moins de steaks ou de jambon qu’avant. Mais comment poursuivre vos efforts ? À quoi pourrait ressembler une semaine de menus bons à la fois pour la santé et la planète ? Alors que les autorités sanitaires restent timides en la matière, nous avons tenté d’obtenir des réponses auprès de la communauté scientifique.
Du strict point de vue de votre santé, il n’est pas impossible que vous mangiez encore trop de viande. Selon les données de l’étude Inca3, une étude sur les consommations et les habitudes alimentaires de la population française, publiée par l’Anses en 2017, un Français adulte consomme environ 530 g de bœuf et de porc par semaine (voir notre tableau), soit environ 3 steaks hachés et 1 belle côtelette. Une moyenne qui se situerait juste au-dessus du seuil fixé à 500 g/semaine par le quatrième Plan national Nutrition santé (PNNS4). Mais derrière cette moyenne se trouvent de grands consommateurs qui excèdent largement ce repère et d’autres qui sont clairement en deçà. Plus grave encore : nous dévorons plus de 350 g/semaine de viande transformée et de charcuterie, quand les autorités déconseillent de dépasser les 150 g, soit 4 tranches de jambon blanc environ. « Au-delà de ces limites, les études montrent des augmentations des risques de maladies comme le cancer colorectal et le diabète de type 2 », rappelle Perrine Nadeau, adjointe au chef de l’unité d’évaluation des risques liés à la nutrition à l’Anses, l’agence sanitaire qui a participé à établir ces limites.
Pas de risque à réduire sa consommation de viande
Ces limites sur la viande et la charcuterie, précise Mme Nadeau, représentent d’ailleurs « un maximum », que l’Anses n’encourage personne à atteindre. Autrement dit : les autorités ne considèrent pas qu’une consommation de viande réduite présente un risque pour la santé. Les études épidémiologiques semblent d’ailleurs plutôt confirmer la réduction des risques de maladies cardiovasculaires ou d’obésité dans le cas d’un régime végétarien « bien conduit » (1).
Les chercheurs conservent en revanche des interrogations sur le régime « végan », qui implique une suppression totale des produits animaux. « Même si le nombre de personnes concernées est limité dans la population, et que nous manquons de données, nous avons déjà pu montrer que la consommation de produits ultratransformés est significativement plus haute chez les végans », souligne Benjamin Allès, épidémiologiste de la nutrition à l’Inrae. Or l’ultratransformation, caractéristique des produits industriels avec les excès de sodium, de matière grasse et d’additifs qu’elle implique, n’est pas saine. Et un type de régime sans aucun produit animal, rappelle Benjamin Allès, exige par ailleurs de complémenter son alimentation par de la vitamine B12, un nutriment introuvable dans le monde végétal.
Moins carnée, plus équilibrée
Les Français ne souffrent pas de carence en protéines. Une alimentation avec moins de viande rouge permet d’augmenter ses apports en omégas 3 (grâce à la consommation de poisson) et en fibres (grâce aux végétaux).
Apports observés chez les hommes en France | Apports observés chez les femmes en France | Recommandations | |
---|---|---|---|
Protéines (g/jour) | 103 | 76 | Au moins 0,83 g/j/kg poids corporel ce qui équivaut à : • 54 g de protéines pour une personne de 65 kg • 66 g de protéines pour une personne de 80 kg |
Acide gras saturés (% AEJ)* | 14 | 15 | Max 12 % |
Oméga 3 (EPA-DHA, g/jour)** | 0,33 | 0,22 | Au moins 0,50 g/jour |
Fibres (g/jour) | 23 | 19 | Au moins 30 g/jour |
Légende : rouge = apport excessifs / orange = apports insuffisants *AEJ : Apport énergétique journalier ** L’EPA (acide eicosapentaénoïque) et le DHA (acide docosahexaénoïque) sont 2 des 3 types d’acides gras omégas 3, ils sont principalement de source marine. |
Ne pas réduire en même temps viande et poisson
En matière de nutrition, la viande reste un aliment intéressant. Toujours selon l’étude Inca3, les viandes (hors volailles) couvrent en moyenne 15 % des protéines dont nous avons besoin au quotidien, 16 % de la vitamine B12, ou encore 21 % du zinc. « Si c’est une bonne source de nutriments disponibles, elle n’a rien de spécifique », nuance Nicole Darmon, directrice de recherche en nutrition à l’Inrae. L’ensemble des apports de la viande peuvent ainsi être remplacés par d’autres aliments. Si le fromage est par exemple une bonne source de protéines et de zinc, le poisson contient presque autant de vitamines B12 que la viande.
En revanche, la viande apporte peu de nutriments pour lesquels la population française présente des déficits : les omégas 3 et les fibres, contenus respectivement dans les poissons et les fruits et légumes (voir notre tableau). « On peut arrêter de manger de la viande, mais si on arrête aussi le poisson, les choses deviennent très compliquées », résume Nicole Darmon.
Parmi les pistes intéressantes pour réduire sa consommation de bœuf, de porc ou d’agneau, les experts pointent tous la volaille. Une catégorie de viande que les recommandations officielles invitent à « privilégier » par rapport aux autres espèces. « J’interprète les conseils du PNNS de la façon suivante : vous pouvez remplacer 1 steak dans votre semaine par 1 escalope de volaille, sans avoir de viande rouge du tout », observe Nicole Darmon. Au total, en jonglant entre la viande, les légumineuses, les céréales et le poisson, et sous réserve de respecter les consignes officielles, « il y a plein de façons d’arriver à une alimentation équilibrée en termes de nutriments », poursuit la chercheuse. Mais pour ceux qui veulent en plus améliorer leur empreinte sur la planète, « réduire les quantités de viande est vraiment un levier majeur ».
Réduire votre empreinte environnementale d’un tiers
Pour évaluer les effets de notre alimentation sur l’environnement, « il s’agit de prendre en compte cinq indicateurs : les gaz à effet de serre, mais aussi la consommation en eau, les pollutions azotées, l’énergie et l’occupation des terres », énumère Michel Duru, directeur de recherche à l’Inrae. Une équipe de son institut s’est justement appuyée sur l’étude Inca3 pour évaluer les effets (2) des différents types de régimes observés dans la population. D’après les résultats, les personnes consommant 2 fois plus de viande de bœuf que la moyenne émettraient 20 % de plus de gaz à effet de serre, tout en consommant 20 % de plus de terres.
À l’inverse, les personnes consommant 2 fois moins de viande que la moyenne présentent un meilleur bilan sur 80 % des indicateurs environnementaux étudiés. « En remplaçant la viande de ruminant par de la volaille, et en végétalisant les assiettes, on peut espérer des gains d’environ 30 % de gaz à effet de serre, et de 40 % d’utilisation des sols », appuie François Mariotti, professeur de nutrition à AgroParisTech, et auteur de l’étude (3). Seule limite : augmenter la part de légumes et de céréales augmente également les besoins en eau.
Comment s’appuyer sur ces études pour faire ses courses ? Publié en 2019, le rapport Eat-Lancet offre des pistes concrètes. En se basant sur la notion de limites planétaires, et en s’efforçant de conserver un régime équilibré du point de vue nutritionnel, cette équipe de chercheurs internationaux a fixé des repères plus ambitieux que ceux des autorités françaises (voir notre tableau), avec un plafond de viande de bœuf et de porc à 100 g/semaine. Les chercheurs recommandent par ailleurs de ne pas dépasser 200 g de volaille par semaine, soit environ 1 blanc de poulet, ainsi que 90 g d’ovoproduits, ou deux petits œufs.
1 repas végétarien par jour
Ces directives correspondent au régime le plus optimal qui se dessine au sein de la recherche française. Pour concilier santé et environnement dans le cas d’adultes en bonne santé, Nicolas Darmon propose un moyen mnémotechnique simple. Chaque jour, au moins un repas peut être végétarien. Pour les repas restants, les sources de protéines doivent être alternées : un jour de la viande de bœuf ou de porc, un jour de la volaille, un jour des œufs, deux jours avec du poisson (un maigre et un gras), et un dernier repas au choix. François Mariotti souligne toutefois qu’il n’y a « aucune obligation de faire un repas avec de la viande rouge si l’on peut s’en passer ». « Il faut avant tout arrêter de construire des plats autour d’une pièce de viande, dans l’idée qu’elle serait centrale », insiste le chercheur.
Pour ceux que la cuisine végétarienne ennuierait, Benjamin Allès rappelle de son côté que de nombreuses idées sont disponibles sur le site officiel de la Fabrique à menus, issu des recommandations du PNNS. « Les gens qui veulent diminuer beaucoup et vite la viande peuvent aussi aller voir un médecin nutritionniste ou des professionnels de la diététique, parfois remboursés par votre mutuelle, qui vous conseilleront par rapport à votre âge, votre profession, votre niveau d’activité physique. »
Des marges de progression
La consommation de viande rouge (bœuf, porc, agneau et autres) des Français est supérieure aux recommandations françaises pour la santé et plus encore aux recommandations internationales, qui prennent aussi en compte les répercussions environnementales. La remplacer par de la volaille et des légumineuses est la meilleure piste pour couvrir ses besoins en protéines et réduire son impact.
Consommation réelle moyenne en France (en g/semaine) | Recommandations françaises (PNNS4) | Régime planète et santé (Lancet-EAT) | |
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Viandes rouges (boeuf, porc, agneau et autres) | 530 g/semaine | 500 g/semaine max | 0 à 200 g/semaine max ensemble |
Charcuterie | 350 g/semaine | 150 g/semaine | |
Volailles | 210 g/semaine | À privilégier | 0 à 400 g/semaine |
Oeufs | 30 g/semaine | Pas d’indication | 90 g/semaine |
Légumineuses | 90 g/semaine | Au moins 2 fois par semaine | 500 g/semaine |
Sources : Dussiot et al., Clinial Nutrition/Eat-Lancet |
Trouver son rythme
Alterner repas végétariens et repas avec viande/œufs/poisson est une façon de garder des apports raisonnables. Tous les repas peuvent être par défaut végétariens sans risque pour la santé. Dans ceux-ci, on prévoira des légumineuses (lentilles, haricots secs, pois chiches, etc.) pour assurer des apports en protéines. Voici un exemple de menu hebdomadaire.
Midi | Soir | |
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Lundi | Végétarien | 100 g/personne bœuf ou porc |
Mardi | Poisson gras | Végétarien |
Mercredi | Végétarien | 200 g/personne volaille |
Jeudi | Végétarien | Végétarien |
Vendredi | Végétarien | Poisson maigre |
Samedi | Deux oeufs/personne | Végétarien |
Dimanche | 100 g/personne boeuf ou porc | Végétarien |
(1) Cahiers de Nutrition et de Diététique, décembre 2019.
(2) Science of The Total Environment, janvier 2023.
(3) "How to best reshape diets to be healthier with lower or no ruminant meat, and implications for environmental pressures", Journal of Cleaner Production, août 2023.