Fabienne Maleysson
Vers une réouverture progressive
La mesure soudaine d’interdiction des marchés alimentaires due au coronavirus a sidéré les professionnels et privé les consommateurs d’une source d’approvisionnement appréciée. Le respect de normes sanitaires spécifiques édictées dans la foulée devrait permettre une réouverture… là où les préfets en décideront.
L’interdiction des marchés, y compris alimentaires, en raison de l’épidémie de Covid-19 fait partie des mesures de durcissement du confinement annoncées par Édouard Philippe lundi 23 mars. Elle a suscité l’incompréhension de nombreux consommateurs et professionnels. Un tiers des Français fréquentent en effet régulièrement les marchés alimentaires, ils y trouvent un choix étendu, des prix compétitifs sur certains étals et la possibilité d’acheter en direct aux producteurs. D’un point de vue sanitaire, cette nouvelle mesure peut sembler paradoxale : fermer ces 8 000 points de vente, c’est mathématiquement engendrer une concentration accrue dans les autres, grandes surfaces ou épiceries. Par ailleurs, les clients des marchés arrivent avec leur propre caddie ou sac, ce qui limite les risques de transmission du virus.
Mais les images de certains marchés où la clientèle se massait sans aucun respect des règles de distanciation ont emporté la décision du gouvernement. Décision d’application immédiate, si bien que les maraîchers avaient déjà acheté ou récolté leur marchandise avant d’apprendre qu’ils ne pourraient pas la revendre. « Cette façon de faire nous a sidérés, s’exclame Monique Rubin, présidente de la Fédération nationale des marchés de France. Car nous avions travaillé d’arrache-pied la semaine dernière, avec les maires, pour mettre en place des mesures barrières et, dans la grande majorité des cas, cela s’est passé au mieux. Maintenir l’autorisation, à charge pour les autorités d’interdire les marchés où les conditions idéales n’étaient pas garanties, eût été plus judicieux qu’une interdiction générale avec possibilité de dérogations. À l’heure actuelle, plusieurs préfets les refusent systématiquement, nous sommes soumis à leur bon vouloir. » Les professionnels s’estiment victimes de discrimination et la fédération a saisi le Conseil d’État en référé pour faire annuler la mesure.
Guide de bonnes pratiques sur les marchés
Le gouvernement a cependant compris que la situation était sensible et a demandé aux professionnels d’établir un guide de bonnes pratiques visant à concilier l’accès de la population à des produits frais et la protection sanitaire des clients et commerçants. Il a été validé par les ministères concernés et rendu public vendredi 27 mars.
Les maires qui s’engagent à respecter ce guide peuvent demander au préfet une dérogation leur permettant d’autoriser l’ouverture d’un ou plusieurs marchés. Concrètement le document impose, entre autres mesures, un sens de circulation unique, une matérialisation des distances à respecter entre les personnes mais aussi entre les commerces, une limitation de la fréquentation simultanée par les clients (nombre total adapté à la surface du marché et un seul membre par foyer), le port de masques et gants – ou la désinfection des mains régulière – par les commerçants, etc. Si l’intérêt de ces mesures n’est pas contestable, on s’interroge, pour d’autres, sur l’inégalité de traitement avec les autres canaux de distribution. Par exemple, le libre-service est interdit, les commerçants doivent utiliser des ustensiles tels que des pinces pour servir, les clients doivent se désinfecter les mains au gel hydroalcoolique à l’entrée et à la sortie du marché, etc. Ni les grandes surfaces ni les commerçants de quartier ne se voient soumis à de telles contraintes.
« Situation de blocage total » pour les producteurs
Président d’Interfel, l’Interprofession des fruits et légumes frais, Laurent Grandin veut croire qu’après la mesure d’interdiction « erronée et exagérée prise au débotté » viendra le temps du discernement. « Certains maires courageux comme celui de Toulouse avaient obtenu une dérogation en donnant toutes les assurances en matière sanitaire. Désormais, le guide encadre clairement les choses et nous espérons que les dérogations seront plus nombreuses. » La situation est en effet catastrophique pour les maraîchers-revendeurs obligés de fermer boutique mais aussi pour les agriculteurs qui vendent tout ou partie de leur production en direct. À l’heure où les circuits courts et la relocalisation de l’alimentation sont supposés être une priorité, mettre en péril leurs exploitations paraît contradictoire. « N’oublions pas que les marchés sont le principal débouché des produits régionaux. En cette période où l’on cherche à limiter les déplacements et les transports, ils constituent un débouché naturel pour les producteurs locaux. » Certains sont particulièrement menacés, c’est le cas notamment des cultivateurs de fraises et d’asperges. « Ce sont des produits plutôt haut de gamme, qui demandent à être traités avec soin, leurs débouchés naturels sont essentiellement les restaurants et les circuits spécialisés dont les marchés. On comprend que les premiers aient dû fermer ; si les seconds ne rouvrent pas, ces cultivateurs seront dans une situation de blocage total. »
Les préfets seront-ils sensibles à ces arguments ? Ceux qui ne le sont pas, les « monsieur niet », selon les termes de Laurent Grandin, auront beau jeu de souligner que les dérogations sont supposées répondre à un « besoin avéré et signalé d’approvisionnement de la population », selon les termes de l’instruction du Premier ministre introduisant le guide de bonnes pratiques. Les consommateurs qui s’estimeraient privés d’un point de vente essentiel pour leur approvisionnement auront tout intérêt à le signaler à leur maire, via le site internet de la mairie ou les réseaux sociaux par exemple, voire à leur préfecture.
Faire ses courses, point final
Largement médiatisés, les comportements irresponsables constatés sur certains marchés ne sont pas leur apanage, comme ont pu le constater des employés de la grande distribution. Si bien que le délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution, Jacques Creyssel, a dû « lancer un appel au civisme et à la responsabilité » jeudi 26 mars sur RTL. Les courses ne doivent « pas être l’occasion d’une balade », a-t-il rappelé, précisant que, selon les témoignages de salariés, certaines personnes se promenaient en famille dans les rayons, voire y donnaient rendez-vous à des amis. Un comportement qu’il a qualifié d’« écœurant et irresponsable. Les magasins sont ouverts, c’est une chance qu’on a, il ne faut pas la remettre en cause par des comportements de ce type-là ».