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Succession

Le caractère excessif des primes versées sur l’assurance vie difficile à prouver

L’assurance vie ne fait pas partie de la succession du défunt mais si les capitaux que l’assuré y a versés sont exagérés par rapport à sa situation, ils pourront être rapportés à la succession. Une remise en cause toutefois difficile à obtenir pour les héritiers comme le démontre une récente décision de la Cour de cassation.

L’assurance vie a encore enregistré un encours record à la fin de l’année 2023 avec 1 923 milliards d’euros. Cet actif représente un tiers du patrimoine financier des Français (1). Un succès qui, année après année, ne se dément pas et n’étonne pas non plus. Car les contrats d’assurance vie profitent d’un cadre fiscal et successoral dérogatoire très avantageux. Dans certains cas, ce régime d’exception peut toutefois être écarté et ce, malgré la volonté du défunt souscripteur.

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L’assurance vie hors succession

L’assurance vie est un contrat par lequel un assureur s’engage auprès de l’assuré, moyennant le paiement de primes, à verser un capital en cas de décès aux bénéficiaires de son choix qu’il a inscrits au contrat. Le Code des assurances précise que l’argent qui leur est remis n’est pas soumis aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers (art. L. 132-13). Concrètement, cela signifie que lors du décès du souscripteur, les primes et les intérêts capitalisés ne font pas partie de la succession du défunt, l’argent n’est pas comptabilisé dans l’actif successoral qui est partagé entre les héritiers.

Sur le plan civil, on dit que ces fonds se transmettent « hors succession ». L’identité des bénéficiaires importe peu, il peut s’agir de proches, tels que des enfants, un second conjoint, ou même de personnes juridiquement extérieures à la famille comme des amis ou un concubin. Peu importe également qu’en raison de ce contrat, les héritiers légaux aient moins de biens à se partager au décès.

Gare à l’excès

Mais une action en justice leur permet dans certaines situations d’obtenir la réintégration dans la succession des primes d’assurance vie versées. Il s’agit d’un garde-fou fixé par la loi qui empêche que l’assuré ne déshérite ses enfants. Cette limite est posée par l’article L. 132-13 du Code des assurances : si les primes versées par le souscripteur présentent un caractère manifestement exagéré eu égard à ses facultés, elles sont réintégrées à la succession et peuvent faire l’objet d’une action en réduction pour atteinte à la réserve.

Le caractère exagéré s’apprécie au moment du versement de l’argent. Il s’agit donc de vérifier, pour chaque virement, si le montant des primes n’était pas exagéré en considération des moyens financiers du souscripteur. Pour être plus précis, les juges se fondent sur plusieurs critères avant de se prononcer : l'âge, les situations patrimoniale et familiale du souscripteur, ainsi que l'utilité du contrat pour celui-ci.

Une preuve difficile à apporter

En d’autres termes, si les héritiers parviennent à prouver ce caractère excessif pour tout ou partie des versements, ceux-ci retombent dans la masse successorale qu’ils ont vocation à se partager. Concrètement, le ou les bénéficiaires du contrat pourront être condamnés à rendre tout ou partie de la somme reçue au décès du souscripteur et donc l’argent serait partagé entre les héritiers légaux au même titre que les autres biens de la succession.. Prouver le caractère excessif des primes est un parcours difficile et il est rare d’obtenir gain de cause.  

Si le caractère excessif des versements est prouvé, ceux-ci réintègrent la masse successorale

Les héritiers, à l’origine de l’action, doivent non seulement connaître l’existence du contrat mais aussi reconstituer le patrimoine de leur proche décédé en se plaçant à toutes les époques où les versements ont eu lieu. Le juge des référés peut être saisi afin d’obtenir de la compagnie d’assurance une copie du contrat et l’historique des versements. Mais il faut ensuite confronter ces éléments au patrimoine du défunt, à ses revenus, à son âge et disposer d’un maximum de pièces pour étayer son dossier : déclaration de revenus, relevé d’épargne, situation professionnelle, train de vie... Un travail de recoupement long et minutieux.

Le dernier mot revient au juge

Enfin, même avec un dossier étayé et même quand le caractère excessif paraît plausible, il faut encore persuader les juges du fond, dont l’appréciation subjective est souveraine, car in fine il leur appartient de trancher.

Dans une affaire récemment portée devant la Cour de cassation, un homme avait initialement obtenu en 2020 des juges de première instance, puis en 2022 des juges d’appel, la reconnaissance du caractère exagéré des primes versées par sa mère sur son assurance vie. Cette dernière avait souscrit le placement en 2000 et avait effectué trois versements successifs en 2000, 2002 et 2010. À son décès en 2013, les fonds s’élevaient à plus de 86 000 €. Ils ont été versés au bénéficiaire qu’elle avait choisi : sa fille. Le fils a d’abord obtenu en justice que sa sœur soit condamnée à restituer l’argent afin qu’il soit réintégré dans la succession. Pour retenir le caractère exagéré des primes, les juges se sont surtout basés sur l’absence de revenus de l’assurée au moment de la souscription du contrat et du versement de la première prime. Ils n’ont pas étudié les autres critères. La fille a décidé de se pourvoir en cassation et a obtenu gain de cause. Les hauts magistrats ont considéré que les juges d’appel n’ont pas recherché, pour apprécier le caractère manifestement exagéré des primes, la situation patrimoniale globale de l’assuré décédé, notamment son patrimoine immobilier, son épargne et ses revenus à la date de chaque versement (1re chambre civile, 2 mai 2024, pourvoi n° 22-14.829). L’affaire a ainsi été renvoyée devant une autre juridiction pour un nouvel examen. La Cour de cassation a donc remis une petite pièce dans la machine. Un parcours judiciaire interminable.

Avant de se lancer dans une telle action, mieux vaut le faire en connaissance de cause et surtout après les conseils avisés d’un avocat spécialisé en droit des successions qui évalue l’opportunité de la procédure au regard de la situation précise du souscripteur au moment des versements des primes et des preuves qui pourront être apportées pour démontrer l’existence ou l’absence du caractère excessif de ces versements.


(1) Banque de France, Analyse et synthèses, Le marché de l’assurance-vie en 2022, n° 146 - 2023.

Rosine Maiolo

Rosine Maiolo

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