L’UFC-Que Choisir dénonce un projet lacunaire, au bilan environnemental incertain, et potentiellement très coûteux pour les consommateurs
Alors que la Première ministre a annoncé son intention de mettre fin à la commercialisation des chaudières à gaz à partir de 2026, l’UFC-Que Choisir ne peut que dénoncer un propos précipité, faisant l’impasse sur une évaluation complète de l’impact environnemental d’une telle mesure et ignorant les capacités techniques et financières des consommateurs à pouvoir changer de mode de chauffage. En conséquence, l’association enjoint au Gouvernement de prendre en compte la réalité du terrain, plutôt que d’adopter à la hâte une mesure généralisée qui pourrait avoir des conséquences néfastes.
Une concertation relevant de la tartufferie
Afin de répondre à l’objectif européen de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 (par rapport à 1990), le Gouvernement a mis en place une Planification écologique visant à faire contribuer tous les secteurs de l’économie à cette réduction. Dans ce cadre, il prévoit une baisse massive des émissions de CO2 du parc de logements, avec notamment pour hypothèse une suppression de 20 % des chaudières à gaz (1) et a lancé une concertation (2), qui s’achève à la fin du mois.
L’UFC-Que Choisir ne peut que déplorer un simulacre de concertation. D’une part car au mépris des réponses qui seront apportées, la Première ministre s’est déjà prononcée pour une fin de la commercialisation de nouvelles chaudières à gaz dès 2026 (3). D’autre part, cette concertation appelle les parties prenantes à se positionner sur un calendrier de fin de commercialisation sans fournir aucune évaluation complète de l’impact environnemental d’une telle mesure. En effet, RTE ne publiera qu’en septembre, soit après la fin de la concertation, une étude visant à « évaluer correctement les nouveaux besoins d’électricité » notamment au regard des objectifs de décarbonation du bâtiment (4).
Un bilan environnemental non-certifié
Pour l’UFC-Que Choisir, qui promeut une consommation responsable soucieuse des enjeux environnementaux, il est pourtant indispensable de mettre en parallèle la diminution des émissions directes de CO2 des logements liée à une réduction du parc de chaudières à gaz avec les émissions indirectes induites par un surcroît de production d’électricité nécessaire pour faire fonctionner des moyens de chauffage alternatifs (pompes à chaleur notamment). Or, rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que le bilan environnemental d’une réduction du parc de chaudières à gaz serait positif.
En effet, l’analyse des données de production d’électricité en 2022 à laquelle nous avons procédé met en évidence qu’à l’échelle nationale, il a systématiquement fallu faire appel à des centrales thermiques (gaz, fioul et charbon) encore plus émettrices en CO2 qu’une chaudière à gaz (5) pour répondre à la demande d’électricité, avec une contribution de ces centrales oscillant entre 1,5 % et 20,3 % de la production totale selon la période de l’année, les pointes les plus les importantes étant relevées en hiver, lorsque la demande d’électricité est la plus forte (6).
La demande électrique induite par la fin des chaudières à gaz risquerait donc d’imposer un large recours à ces centrales thermiques, dans un environnement où l’on constate un écroulement de la production nucléaire (-22,7 % entre 2021 et 2022), et alors que le réchauffement climatique laisse craindre une chute de la production d’électricité hydraulique comme celle constatée l’année dernière (-20 % entre 2021 et 2022) (7). Quant aux énergies renouvelables (solaire, éoliennes), il est illusoire de penser qu’elles pourront ne serait-ce qu’à moyen terme se substituer entièrement aux énergies fossiles (8).
Changer de mode de chauffage dans des logements mal isolés est une aberration
La mise en place de systèmes de chauffage efficace, pourrait bien entendu modérer la hausse de la demande électrique. C’est particulièrement le cas des pompes à chaleur, largement promues par le Gouvernement comme alternative aux chaudières à gaz. Toutefois, une récente étude technique a montré (9) que la substitution des chaudières à gaz par une pompe à chaleur dans des bâtiments mal isolés ne pourrait que conduire « soit à une insuffisance forte de chauffage, soit à une croissance trop forte de la pointe électrique en hiver et à un recours massif aux centrales au gaz ».
Or, force est de constater que les logements chauffés au gaz ne dénotent pas avec les constats généraux sur la piètre performance énergétique du parc de logements en France. En effet, 69,9 % des résidences principales chauffées au gaz ont une classe DPE traduisant une mauvaise performance énergétique (classes allant de D à G) ; 12,1 % des logements sont même de véritables passoires énergétiques (classes F et G) (10) ! Dès lors, une mise en place à marche forcée des pompes à chaleur sans prise en compte de l’efficacité énergétique du bâti serait une véritable aberration.
De contraintes techniques et financières rédhibitoires à l’installation d’alternatives
Cette marche forcée pourrait également être problématique, même en cas de bonne isolation du bâti, puisque la mise en place d’alternatives aux chaudières à gaz se heurterait à l’incapacité technique de certains bâtiments à pouvoir les accueillir. Comment par exemple faire peser sur les ménages dont la chaudière tombe en panne et ne peut pas être réparée, l’obligation de se tourner vers une pompe à chaleur alors que celle-ci ne peut pas être mise en place faute de disposer d’un espace extérieur ?
En outre, au regard des aides actuelles pour acquérir une pompe à chaleur aérothermique (eau-eau et air-eau), rendre obligatoire l’achat d’un tel équipement entraînerait un surcoût pour les ménages pouvant atteindre 7 000 € (11), par rapport à celui d’une nouvelle chaudière à gaz, une somme que les consommateurs ne peuvent pas tous débourser du jour au lendemain !
L’interdiction de commercialisation des chaudières à gaz aurait de plus un impact financier négatif pour les consommateurs conservant un abonnement au gaz qui verraient leur facture fortement augmenter, puisque la totalité des coûts d’acheminement du gaz (aujourd’hui de l’ordre de 30 % de la facture (HT)) pèserait sur un parc de plus en plus restreint d’abonnés. Si une telle hausse faisait office de signal-prix incitant les ménages disposant d’une chaudière au gaz à changer de mode de chauffage, elle constituerait un véritable scandale pour les ménages captifs du gaz, qui n’auraient d’autre choix que subir une hausse de leurs factures !
Au regard de ces constats, l’UFC-Que Choisir, promotrice d’une consommation responsable prenant pleinement en compte les enjeux environnementaux, demande de conditionner la fin de la commercialisation des chaudières à gaz à une baisse effective des émissions de gaz à effet de serre en tenant dûment compte des émissions induites par un surcroît de production d’électricité.
En tout état de cause, l’UFC-Que Choisir demande au Gouvernement qu’en cas d’interdiction de commercialisation de chaudières à gaz, celle-ci :
- Ne s’applique que dans les habitations correctement isolées, où le changement est techniquement possible et économiquement pertinent, cela imposant notamment une amplification des aides pour les achats d’appareils de chauffage alternatifs ;
- N’entraîne pas une explosion de prix de l’abonnement au gaz consécutive à la baisse attendue du parc d’abonnés.
Enfin, pour réduire l’impact environnemental lié à la consommation énergétique des bâtiments, l’association demande à nouveau :
- Une accélération du déploiement de nouveaux moyens de production électrique décarbonés ;
- Une amplification massive des travaux de rénovation énergétique accompagnée de mesures visant à enfin fiabiliser ce secteur vecteur de nombreux litiges traités par les associations locales de l’UFC-Que Choisir (contrôles de la qualité des travaux, obligation de résultats pesant sur les professionnels…).
(2) https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/23064_decarbonation-batiment.pdf. D’après les estimations de l’UFC-Que Choisir, aujourd’hui approximativement 13 millions de logements sont alimentés par une chaudière à gaz. Ce chiffre inclut, outre les résidences principales chauffées au gaz (soit 10,8 millions ; source : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/consommation-denergie-par-usage-du-residentiel), les résidences principales disposant d’une chaudière à gaz pour l’eau chaude sanitaire (ECS) (nombre estimé à partir des DPE réalisés depuis le 1er juillet 2021 : https://data.ademe.fr/datasets/dpe-v2-logements-existants) et les chaudières à gaz présentes dans les résidences secondaires (en faisant l’hypothèse que la part des logements raccordés au gaz de ville est identique pour les résidences principales et secondaires).
(3) Propos tenus le 22 mai 2023 lors de la réunion plénière du CNTE.
(5) D’après l’ADEME (https://base-empreinte.ademe.fr/), la production d’un kilowattheure produit par une chaudière à gaz émet de 1,7 fois moins de gaz à effet de serre que la production d’un kilowattheure produit par une centrale électrique à gaz, 3 fois moins qu’un kilowattheure produit par une centrale à fioul, et 4,4 fois moins qu’un kilowattheure produit par une centrale à charbon (0,243 kg éq. CO2/kWh, contre respectivement 0,418 kg éq. CO2/kWh, 0,730 kg éq. CO2/kWh0 et 1,06 kg éq. CO2/kWh).
(6) Il s’agit de données de consommation d’électricité et des moyens de production utilisés pour répondre à la demande relevés toutes les demi-heures au cours de l’année 2022, soit 17 520 relevés (données hors Corse et Outre-mer). Précisons que les données disponibles ne permettent pas de distinguer les moyens de production mobilisés dans le cadre des échanges transfrontaliers et que ces données, conjuguées à celles reliant finement la consommation et la production sur chaque partie du territoire, permettrait d’avoir une vision précise des conséquences de la demande électrique sur les moyens de production à mobiliser.
(7) https://analysesetdonnees.rte-france.com/bilan-electrique-production. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de constater que les émissions de gaz à effet de serre liées à la production d’électricité ont augmenté de 29,4 % entre 2020 et 2022 (https://analysesetdonnees.rte-france.com/emission/emission-ges).
(8) Par exemple, en janvier 2022, il aurait fallu un triplement (+ 203 %) de la production d’électricité d’origine éolienne pour pouvoir se passer de centrales électriques à énergies fossiles : toutes choses égales par ailleurs (notamment les conditions météorologiques), cela aurait donc imposé un triplement du parc d’éoliennes. Or même à horizon 2028, le scénario le plus optimiste de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) ne prévoit qu’une hausse de 68 % de ce parc. Précisons que même si la progression du parc de panneaux photovoltaïques permettrait également d’augmenter la production d’énergie renouvelable, cette source d’énergie est peu efficace en période hivernale. Sources : Ibid. et https://assets.rte-france.com/prod/public/2023-02/Bilan-electrique-2022-synthese.pdf
(10) https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/le-parc-de-logements-par-classe-de-performance-energetique-au-1er-janvier-2022-0. Précisons que la réforme du DPE mise en place au 1er juillet 2021 implique que la classe DPE intègre désormais, en plus de la performance thermique du bâtiment, les émissions de gaz à effet de serre. La classe DPE ne traduit donc plus spécifiquement la performance thermique du bâtiment. Le traitement de la base de données des DPE montre que sur plus 1,7 million de DPE réalisés depuis le 1er juillet 2021 dans les logements principalement chauffés au gaz, 10,4 % d’entre eux ont une consommation énergétique supérieure à 330 kWh/m2/an et sont donc des passoires thermiques, indépendamment du critère d’émissions de gaz à effet de serre (https://data.ademe.fr/datasets/dpe-v2-logements-existants). Cette base n’est toutefois pas nécessairement représentative du parc actuel.
(11) Cf. https://www.soleval.org/ressources/item/se-chauffer-mieux-et-moins-cher.html pour les prix des pompes à chaleurs aérothermiques, oscillant de 10 000 € à 15 000 €, et celles des chaudières à condensation gaz, coûtant de 3 000 € et 5 000 €. Les aides dans le cadre de MaPrimeRénov et des CEE sont fonction des revenus. Au total, elles varient entre 2 727 € pour les ménages aux revenus les plus hauts, à 8 364 € pour les ménages les plus faibles (https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/19164_maPrimeRenov_DP_Janvier%202021.pdf).