Florence Humbert
Certains rient jaune
Se faire blanchir les dents dans un « bar à sourire », comme on s’offre un brushing chez le coiffeur ou une séance de manucure, c’est la tendance du moment. Des traitements qui sont pourtant loin d’être anodins selon les chirurgiens-dentistes.
Redonner tout leur éclat à nos dents en deux temps trois mouvements, c’est la promesse des « bars à sourire » qui se multiplient comme des petits pains à Paris et dans les grandes villes de province. Qu’ils s’appellent « Magic Smile », « Point Sourire » ou « Smile Club », le concept est toujours le même : installé dans un fauteuil confortable, le client applique lui-même un activateur de « blanchiment » sur ses dents ; un gel est ensuite disposé dans une gouttière que le client installe dans sa bouche. Il positionne alors une lampe à lumière froide devant la gouttière afin d’accélérer le processus. La séance, interrompue au milieu pour se rincer les dents, aura duré au total une trentaine de minutes. « En moyenne, on gagne quatre à cinq teintes (selon un nuancier qui en comporte, il est vrai, une quarantaine allant du brun clair au blanc éclatant), mais dans certains cas on peut aller jusqu’à neuf », affirme Laetitia Bill, directrice de Smile Club. Et ce à des prix imbattables (autour de 80 € la séance) si on les compare à ceux pratiqués par les dentistes (de 500 à 1 000 € pour un traitement de blanchiment).
De quoi faire grincer des dents l’Ordre national des chirurgiens-dentistes (ONCD) qui met en garde les patients contre les risques inhérents à ces traitements. Au nom de la santé publique, affirment en chœur les praticiens de l’art dentaire, et non pour défendre des intérêts corporatistes. Il est vrai que les produits utilisés pour le blanchiment, notamment le peroxyde d’hydrogène (en clair de l’eau oxygénée) sont loin d’être anodins, surtout s’ils sont employés à haute concentration ou de façon répétée. « Ils ont un effet déminéralisant sur les tissus durs de la dent et augmentent leur perméabilité : outre le risque de fragilisation mécanique de la dent, la pulpe dentaire peut se trouver plus exposée aux agressions chimiques et thermiques », précise le site du ministère de la Santé. « Enfin, ces produits réagissent sur les matériaux d’obturation dentaire (amalgames, composites) et peuvent dégrader la jonction avec la dent, favorisant ainsi infiltrations et récidives de caries. Compte tenu de ces risques et de ces contre-indications, l’examen des dents et de la muqueuse buccale par un chirurgien-dentiste est indispensable avant tout traitement d’éclaircissement dentaire », conclut le ministère. Des précautions qui ne sont évidemment pas à l’ordre du jour dans les « bars à sourire », comme nous avons pu le constater au cours de notre enquête.
Des substances pouvant nuire à la fertilité
« On ne vend pas la même chose que les dentistes », se défend Laetitia Bill, qui n’hésite pas à afficher la mention « sans peroxyde » sur la devanture de son magasin. « Nos traitements sont superficiels, donc sans danger. On peut les recommencer toutes les six semaines ». Des allégations impossibles à vérifier. Certes, la réglementation limite à 0,1 % la concentration en peroxyde d’hydrogène dans les produits d’hygiène dentaire, ce qui limite d’autant leur efficacité. « La plupart des officines ont trouvé le moyen de contourner la difficulté. Elles utilisent d’autres substances, notamment du perborate de sodium », s’indigne l’Ordre qui a transmis à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) la description complète et détaillée, constats d’huissier à l’appui, de kits de blanchiment des dents utilisés dans plusieurs bars à sourire. « Or le perborate de sodium, comme bien d’autres substances oxydantes utilisées dans les gels, est susceptible de dégager du peroxyde d’hydrogène en milieu aqueux [donc dans la salive, ndlr] », remarque l’Afssaps. « C’est d’autant plus grave que le perborate de sodium est classé "reprotoxique" [pouvant nuire à la fertilité et au fœtus, ndlr] par la règlementation européenne », précise le Dr Alain Moutarde, secrétaire général du Conseil national de l’ordre. « Je comprends qu’on ait envie d’avoir un joli sourire. Mais il ne faut pas tromper le consommateur sur le produit utilisé ». Or les services de l’État ne semblent guère s’intéresser à ce nouveau secteur d’activité. « Les nombreux courriers que nous avons adressés à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sont restés sans réponse », déplore le Dr Alain Moutarde.
Adoptée en septembre dernier, la nouvelle directive du Conseil de l’Union européenne relative aux produits cosmétiques devrait toutefois remettre de l’ordre dans cette jungle. En effet, seuls les « produits d’éclaircissement dentaire » contenant jusqu’à 0,1 % de peroxyde d’hydrogène présent ou dégagé resteront en vente libre pour les consommateurs. Au-delà, la mise en œuvre des traitements de blanchiment sera l’apanage des chirurgiens-dentistes. Une façon de limiter les risques pour les clients des bars à sourire mais aussi les bénéfices qu’ils peuvent en espérer.