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Fraude aux eaux minéralesPourquoi Nestlé Waters dégaine la marque Maison Perrier

FP

par Fabrice Pouliquen

On pourrait jouer à dénicher les sept erreurs entre la bouteille Perrier et sa petite sœur Maison Perrier, lancée au printemps 2024, tant celles-ci se ressemblent. Visiblement, Nestlé Waters, secoué par le scandale des eaux en bouteilles, est peu enclin à expliciter la différence entre les deux marques. Alors Que Choisir s’y colle.

En résumé

  • ​​​​​​Nestlé Waters a vendu comme « eaux minérales naturelles » des eaux qui avaient subi des traitements de désinfection. Ces traitements sont interdits pour les eaux minérales naturelles, qui sont censées être microbiologiquement saines à la source. La nécessité de ces traitements était due à la contamination régulière des forages, notamment de la source Perrier, par des pathogènes.
  • Pour contourner les interdictions, Nestlé Waters a lancé la marque Maison Perrier. Cette nouvelle gamme peut légalement subir les mêmes traitements de désinfection que l’eau du robinet. Bien que visuellement très similaire à Perrier, Maison Perrier est une « boisson pétillante aromatisée » et non une « eau minérale naturelle ».

À droite, une bouteille de Perrier, à gauche, une de Maison Perrier. Entre les deux, les différences sont subtiles, les distinguer est presque un jeu. Les deux marques, propriétés de Nestlé Waters, utilisent la même police de caractères, le même design. Surtout, les deux boissons sont conditionnées dans les mêmes bouteilles vertes reconnaissables entre mille à leur silhouette à la fois fine et bombée.

Une bouteille de Perrier et de Maison Perrier côte à côte.

Il faut regarder de près les deux étiquettes pour comprendre ce qui les distingue. Perrier, qu’on ne présente plus, joue à fond la carte de l’« eau minérale naturelle », « capturée à la source », deux mentions bien en évidence sur la bouteille. Elles disparaissent sur l’étiquette de Maison Perrier, où le fabricant évoque seulement une « boisson pétillante aromatisée ».

Lancée au printemps 2024, la marque Maison Perrier se décline en eaux pétillantes aromatisées, boissons énergisantes, mélanges festifs sans alcool type mojito… Mais ces nouvelles boissons sortent, comme Perrier, de l’usine de Vergèze, dans le Gard. Pourquoi donc l’une utilise la mention « eau minérale naturelle » et l’autre non ?

Une même usine, mais deux eaux différentes…

Sous l’effet notamment du changement climatique et de l’accroissement des activités humaines, les forages via lesquels l’usine Perrier de Vergèze puise ses eaux sont régulièrement contaminés par divers pathogènes. On touche au cœur du scandale qui secoue actuellement Nestlé Waters. Pour maintenir la sécurité alimentaire de ses eaux, le minéralier ‒ et il n’est pas le seul ‒ a eu recours, pendant des années, à des systèmes de désinfection : injection de sulfate de fer, utilisation de charbon actif et d’ultraviolet, microfiltration inférieure à 0,8 micron.

S’ils sont autorisés sur les eaux du robinet, ils sont en revanche interdits sur les eaux « minérales naturelles », censées ne pas en avoir besoin car « microbiologiquement saines » et « tenues à l’abri de tout risque de pollution ». C’est à ce titre, au passage, que les minéraliers justifient le prix élevé de leurs eaux, vendues 100 à 400 fois plus cher que celle du robinet. Nestlé Waters a continué à vendre comme « minérales naturelles » des eaux qui ne l’étaient plus après ces traitements. Là est la fraude.

Deux forages déclassés consacrés à Maison Perrier

En août 2021, lors d’une réunion qu’il a sollicitée avec le cabinet du ministère de l’Industrie, Nestlé Waters a assuré avoir entamé un plan de transformation pour se passer, au moins en partie, de ces traitements interdits. Pour autant, les contaminations bactériologiques de la source Perrier restent régulières. En décembre 2023, deux arrêtés préfectoraux déclassent deux des sept forages du site de Vergèze d’« eau minérale naturelle » à « eau de boisson ». Ceux les plus exposés aux pollutions. Ne pouvant plus les utiliser pour sa marque Perrier, Nestlé Waters alloue alors ces deux forages à Maison Perrier. C’est toute la différence entre Perrier et Maison Perrier : bien que produites à ce jour sur le même site, la première est une eau minérale naturelle et la seconde une eau de boisson qui, ainsi classée, peut subir les mêmes traitements de désinfection que l’eau du robinet.

Sans surprise, sur les étiquettes de sa nouvelle gamme, Nestlé Waters n’explique pas aux consommateurs ce déclassement. « Maison Perrier est une façon unique d’exprimer le style inimitable de Perrier », claironne l’industriel pour noyer le poisson. Il faut bien l’avouer, c’est malin d’un point de vue marketing. Avec Maison Perrier, Nestlé Waters a réussi un des cartons commerciaux de 2024, se classant sur le podium français des meilleures innovations selon NielsenIQ, cabinet d’études sur le comportement des consommateurs, rapportait, en décembre, le magazine Capital (1).

En rayon, cette nouvelle marque n’est pas vendue moins cher que son aînée. La bouteille Maison Perrier citron vert est ainsi vendue 1,05 € le litre… contre 65 centimes pour la classique bouteille de Perrier, de même contenance (certes sans l’arôme citron vert). En prime, puisqu’il s’agit d’eaux de boisson, Nestlé Waters peut produire sa gamme Maison Perrier partout dans le monde et non plus obligatoirement à Vergèze comme pour Perrier. C’est une autre différence entre les étiquettes des deux marques. Pour Perrier, Nestlé Waters joue à fond la carte de l’authenticité avec cette mention « Vergèze, France, 1863 », bien en évidence sur le logo. L’industriel se contente d’indiquer « France » et, en petits caractères, « embouteillé dans le sud de la France » pour Maison Perrier.

L’avenir de Perrier en suspens

Les millions d’euros investis dans son usine de Vergèze (150 millions d’euros au total sur les cinq dernières années), en partie pour lancer Maison Perrier, laissent supposer que Nestlé Waters ne songe pas tout de suite à délocaliser la production de Maison Perrier. Les inquiétudes concernent bien plus sa grande sœur Perrier, dont l’existence est plus que jamais menacée. La source Vergèze est régulièrement déclarée impropre à la consommation, contaminée, entre autres, par des bactéries d’origine fécale. Les deux derniers épisodes connus remontent au 10 et 11 mars dernier et ont entraîné le blocage de nombreuses palettes de Perrier. En avril 2024, Nestlé avait déjà dû détruire 3 millions de bouteilles en raison d’une contamination similaire.

Le renouvellement de l’autorisation, pour Nestlé Waters, d’exploiter les cinq forages de la source de Vergèze pour la fabrication d’eau minérale naturelle (autrement dit, de ses bouteilles Perrier) est en cours d’instruction par le préfet du Gard, qui se prononcera avant le 7 août. Pas gagné… d’autant que le plan de transformation vendu par Nestlé Waters, s’il permet de se passer de certains traitements interdits, n’est toujours pas dans les clous de la réglementation sur les eaux minérales. Celle-ci impose en effet de ne pas utiliser de filtres inférieurs à 0,8 micron, pour conserver le microbisme de leurs eaux, censées les distinguer de l’eau du robinet. Or dans son usine de Vergèze, Nestlé Waters utilise encore aujourd’hui des filtres à 0,2 micron, dont elle ne peut visiblement pas se passer pour garantir la sécurité alimentaire de ses eaux. Début mai, le préfet du Gard a mis en demeure le minéralier de les retirer sous les deux mois. Le coup fatal pour Perrier ?

FP

Fabrice Pouliquen

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