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Taxe copie privée

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La Commission pour la rémunération de la copie privée propose à nouveau une très forte hausse des taxes sur les supports de stockage numérique, ce qui aurait pour première conséquence une augmentation du prix des produits concernés (baladeur, disque dur, tablette…).

Au culot, ça peut passer. Lors de la dernière réunion de la Commission pour la rémunération de la copie privée (1), qui dépend du ministère de la Culture, les représentants des ayants droit, maisons de disques, auteurs, producteurs, etc., ont proposé une très forte augmentation des taxes sur les disques durs, les clés USB, les baladeurs, les smartphones et autres supports de stockage numérique.

La taxe sur un lecteur MP3 de 32 Go, par exemple, passerait de 10 € à 24 € (+140 %), et celle sur une tablette de la même capacité de 10 € à 25,60 € (+150,60 %).

Les sommes ainsi collectées sont reversées aux artistes et aux maisons de disques par les sociétés de perception et de redistribution des droits, à commencer par la célèbre Sacem. Le total des perceptions a atteint 181 millions d’euros l’an dernier. Il est en progression rapide depuis plusieurs années. En 2007, il atteignait seulement 163 millions d’euros.

La commission sur la copie privée a été créée en 1985, à l’âge d’or des cassettes audio et vidéo, comme une contrepartie au droit de copie à usage « familial ». Personne n’avait anticipé l’explosion des formes de stockage et de reproduction numériques.

Déterminer le montant équitable des redevances sur la copie privée sera toujours un exercice délicat. Comment prendre en compte des ventes non réalisées ? Comment estimer des millions d’actes individuels de copie ? L’industrie française de la musique, sans surprise, défend une taxation très lourde. Selon ses experts, l’imposition actuelle sur la copie audio et vidéo est trois fois trop légère. Ce n’est pas 181 millions d’euros qu’il faudrait prélever chaque année pour compenser le manque à gagner, mais 543 millions. À l’écouter, la hausse des barèmes qu’elle voudrait faire passer cette année s’apparente à une faveur faite aux consommateurs…

La redevance la plus élevée d’Europe

Sans entrer dans le détail des modalités de calcul, quelques éléments relativisent sérieusement ce point de vue. Premier constat, selon une étude réalisée en 2010 par l’organisation néerlandaise Stichting de Thuiskopie, les redevances françaises sont déjà les plus élevées d’Europe. Notre taxe sur les CD, par exemple, est trois fois plus lourde qu’en Belgique et six fois plus qu’en Allemagne. Les DVD sont 4,5 fois plus taxés en France que dans le reste de l’Europe et les disques durs, 2,5 fois plus. Or, aucune étude n’a jamais montré que les Français copiaient plus que la moyenne. Si la France a une particularité, c’est plutôt d’être la patrie d’Universal Music, une des maisons de disques les plus influentes du monde.

Deuxième constat, le petit monde de la culture ne saura bientôt plus quoi faire de tout l’argent que lui rapporte ces taxes sur mesure, ou « taxes affectées », en jargon fiscal. Le Centre national du cinéma (CNC), par exemple, perçoit une redevance sur les fournisseurs de services TV, principalement Canal+ et les opérateurs télécoms. Elle a été calculée avec une telle extravagance que le CNC a touché 800 millions d’euros l’an dernier, bien plus qu’il ne pouvait dépenser. Baisser la taxe ? Hors de question. Elle est maintenue, mais une partie sera peut-être reversée au budget de l’État…

Quant aux sociétés de perception et de redistribution des droits (SPRD), si elles connaissent elles aussi des fins de mois difficiles, c’est seulement parce qu’il n’est pas si facile de dépenser des fortunes. La Sacem a collecté 672 millions d’euros en 2002, 759 millions en 2007, 820 millions en 2011. Elle est régulièrement épinglée par la Commission permanente de contrôle des SPRD, émanation de la Cour des comptes, pour ses frais de fonctionnement très élevés et la lenteur avec laquelle elle redistribue les fonds aux bénéficiaires ultimes.

Il en faudrait plus pour émouvoir les ayants droit de la culture. En 2008, le Conseil d’État a rendu un arrêt très critique sur la redevance copie privée, en posant qu’elle ne pouvait viser à compenser le piratage. Cela n’a pas empêché la Commission, où les ayants droit ont la majorité, de maintenir ce barème illégal. Depuis lors, toutes ses hausses de tarifs ont été retoquées par la justice administrative, sur plainte des équipementiers. Sans suite. Le ministère de la Culture est visiblement peu pressé de rétablir un semblant d’équité dans cette redevance. Dès lors, pourquoi se priver d’une nouvelle demande de hausse ? Si ça passe, au culot…

(1) Ou « Commission de l’article L.311-5 du code de la propriété intellectuelle », selon la dénomination officielle.

Erwan Seznec

Erwan Seznec

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