BILLET DE LA PRÉSIDENTE

Scandale des eaux PerrierUne décision décevante, pas à la hauteur des enjeux !

Marie-Amandine Stévenin

par Marie-Amandine Stévenin

Le 5 juin dernier, soit moins de quinze jours après la révélation du scandale des eaux minérales touchant particulièrement Perrier, nous avons lancé une offensive judiciaire : plainte pénale, plainte devant la Cour de Justice de la République et référé d’heure à heure, pour que des mesures provisoires de retrait soient ordonnées concernant les bouteilles de la marque étiquetées « eau minérale naturelle ».

Après un renvoi ordonné en juillet, l’audience s’était tenue le 24 septembre et le tribunal a rendu sa décision mardi soir, rejetant toutes nos demandes.

De quoi parle-t-on ?

On parle d’eau minérale qui a été filtrée et vendue sous une étiquette « eau minérale naturelle », laquelle étiquette suppose que l’eau est originellement et naturellement pure.

Il paraissait alors légitime de demander au juge si ce genre de pratiques, où le produit est manifestement en discordance avec les qualités sous lesquelles il est présenté, est constitutif d’une pratique illicite, et donc devrait, pour qu’il y soit mis fin, entrainer le retrait des bouteilles concernées.

Et puis, il y avait une autre question : si une eau est filtrée, alors qu’elle ne le devrait pas (en tout cas, pas avec ces filtres), c’est qu’il y avait matière à filtrer. Et se pose alors le but poursuivi par ce process de filtration et son efficacité : puisque des filtres étaient utilisés, y avait-il un risque sanitaire et la filtration permettait-elle d’y remédier ?

Le juge ne nous a pas suivis, jugeant qu’il n’y avait pas lieu à ordonner les mesures provisoires que nous demandions – à savoir le rappel/retrait des bouteilles de Perrier ne respectant pas la réglementation.

Je suis aujourd’hui en colère, car l’analyse qui est faite par les juges est décevante pour les consommateurs et les consommatrices. Sur le plan sanitaire, faut-il attendre que des personnes soient gravement malades pour que ce sujet soit sérieusement traité ? Sur le plan économique, quel est le message adressé, tant aux consommateurs qu’au marché ?

Je garde en mémoire ce qui s’est passé en 2016 en Espagne, où plusieurs milliers de consommateurs avaient été rendus malades – dont certains hospitalisés pour des affections sévères - après la consommation d’une eau minérale naturelle microfiltrée.

Je garde en mémoire le rapport de trois hydrogéologues agréés d’avril dernier, remis à l’ARS d’Occitanie et à la préfecture du Gard, qui a conclu à un avis défavorable à la poursuite de l’exploitation en eau minérale naturelle au motif que les eaux brutes gardoises extraites par Nestlé Waters pour Perrier ne répondent plus à la condition de pureté originelle permanente exigée en matière d’eau minérale.

Je garde en mémoire les destructions récentes et répétées par Perrier de ses bouteilles après recours à une microfiltration à 0,2 µm (1) - microfiltration dont la Préfecture du Gard a ordonné la suppression et que les sociétés du Groupe Nestlé Waters ont remplacée par une microfiltration à 0,45 µm, seuil de coupure moindre…

Je garde en mémoire qu’en 2019, lorsque l’eau Luchon ne répondait plus aux conditions de sa dénomination d’eau minérale naturelle pour des raisons liées à sa composition, celle-ci a (logiquement) été temporairement retirée du marché.

Je garde en mémoire ce qu’a pu écrire une ministre informée du contenu d’un entretien de son cabinet avec des représentants de Nestlé Waters, repris dans le rapport de la commission d’enquête sénatoriale – « Si je comprends bien on est plutôt sur de la tromperie commerciale que sur un sujet de sécurité alimentaire ? » - mais aussi les déclarations publiques d’un autre ministre qui a pu déclarer que « Quand on fait le retour en arrière, il vaut mieux être clair et admettre une erreur d'appréciation. On parle d'un scandale, d'une tromperie commerciale de très grande ampleur, organisée par PERRIER, par Nestlé, et c'est grave ».

Je garde en mémoire la récente réaction de huit marques emblématiques d'eaux minérales naturelles, représentant 45% des volumes de ce marché, qui sont vent debout pour défendre le « socle règlementaire strict » de l'appellation.

Enfin, je relève que dans leur décision, les juges écrivent que l’eau Perrier « ne répond pas nécessairement aux critères d’eau minérale naturelle en raison de sa pureté originelle » et qu’une « micro-filtration à but de désinfection est interdite » mais qu’ils n’en tirent aucune conséquence.

Suffit-il d’afficher, comme cela a pu être vu dans certains commerces (6.000 sur les plus de 140.000 existants), que « Si les bouteilles de Perrier® sont sûres d’un point de vue sanitaire, leur appellation est temporairement susceptible de ne pas être conforme à la réglementation des eaux minérales naturelles selon l’administration. » et qu’un scandale éclate au grand jour médiatique pour couvrir une telle situation et des agissements illicites ?

Hier, notre combat a essuyé un revers, mais nous ne lâcherons rien pour que les intérêts des consommateurs, grands oubliés de ce scandale, soient pris en compte.

Marie-Amandine Stévenin

Marie-Amandine Stévenin

Présidente de l'UFC-Que Choisir

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