Accès aux soinsLa médecine hospitalière et de ville en état d’urgence vitale
Dans la continuité de ses récents constats sur l’étendue de la fracture sanitaire (1), l’UFC-Que Choisir, sur la base d’une étude exclusive, sonne aujourd’hui l’alerte sur les conséquences de la baisse massive de l’accès aux médecins et aux soins, immédiates et à moyen terme. Refusant la déliquescence de la permanence des soins, l’association enjoint le gouvernement d’appliquer d’urgence une thérapie de choc.
Non, l’engorgement des urgences n’est pas la faute des usagers !
Depuis le 1er janvier 2022, les usagers se présentant aux urgences des hôpitaux sans que cela n’aboutisse à une hospitalisation se voient appliquer le FPU (Forfait Patient Urgences), c’est-à-dire une facturation de 19,61 €. Cette ponction financière – aberrante puisqu’elle fait reposer sur les usagers l’évaluation de leur propre état de santé – part du postulat qu’ils pourraient parfaitement consulter des médecins de ville plutôt que de participer à la saturation des urgences. Or ce préjugé est parfaitement infondé.
En effet, sur la base d’une analyse économétrique (2) inédite basée sur la fréquentation de plus de 600 établissements ayant un service d’urgences sur le territoire métropolitain d’une part, et sur la démographie de la médecine libérale dans la zone d’autre part, l’étude de l’UFC-Que Choisir démontre que l’état de l’offre de médecine de ville a un impact mécanique et important sur la fréquentation des services d’urgences. Notre analyse montre même qu’une diminution de 1 % de la densité des médecins libéraux dans un département augmente jusqu’à 0,6 % l’activité de ses urgences sur le court terme, et jusqu’à 0,9 % sur le long terme. Concrètement, une baisse nationale de 1 % de l’offre de médecine de ville entraînerait plus de 100 000 passages supplémentaires aux urgences sur une année !
Une prochaine dégradation de l’offre globale de soins qui risque d’amplifier la fracture sanitaire
Il est d’autant plus important de saisir l’impact d’une faible disponibilité de soins de ville sur la fréquentation des urgences que l’offre de médecine libérale, déjà atone, va se dégrader : d’ici à 2030, la densité de médecins libéraux va baisser de l’ordre de 5 % d’après la Drees. Cette situation est la conséquence directe du resserrement du numerus clausus (3) à la fin des années 1970, qui a réduit de manière drastique le nombre de médecins formés pendant 20 ans : aujourd’hui, 31 % des médecins libéraux ont plus de 60 ans, et 16 % ont même plus de 65 ans.
Cette situation est d’autant plus déplorable qu’elle aboutira à un creusement des inégalités territoriales si le dogme de la totale liberté d’installation des médecins n’est pas remis en cause. En effet, en mettant en relation l’âge moyen des médecins et leur nombre par département, l’étude de l’UFC-Que Choisir met en évidence le fait que les départements les moins bien dotés en généralistes libéraux sont souvent ceux où la moyenne d’âge des praticiens est la plus élevée. A titre d’illustration, alors que la densité de généralistes libéraux est plus de deux fois inférieure en Eure-et-Loir que dans le Finistère (48,5 généralistes pour 100 000 habitants contre 108,2), l’âge moyen des praticiens y est beaucoup plus élevé (56,3 ans contre 45,9 ans).
Une politique de formation encore défaillante
La mise en place en 2020 du numerus apertus (4) en lieu et place du numerus clausus n’a pas eu de véritable impact sur le nombre d’étudiants admis en deuxième année de médecine, qui va stagner au cours des prochaines années à un niveau tout juste supérieur à celui qui prévalait au cours des années 1970, alors même que depuis la croissance de la population a atteint 25 %.
Le numerus apertus constitue donc en réalité le maintien d’une politique de rationnement de la formation en médecine, basée sur les capacités d’accueil limitées des universités, aboutissant à ce que 65 % des étudiants en Parcours d’accès spécifique santé (PASS, la voie principale des études de médecine) ayant pourtant validé leur première année d’études ne soient pas admis en deuxième année de médecine.
Cette situation est d’autant moins acceptable qu’il existe une forte déperdition d’étudiants au cours de la formation, puisqu’un quart des entrants en deuxième année de médecine ne s’inscrivent pas à l’Ordre des médecins, en grande partie consécutivement à des conditions d’apprentissage dégradées, traduisant là aussi un déficit de moyens publics consacrés à la formation.
Au vu de ces constats, l’UFC-Que Choisir, soucieuse de permettre à tous les usagers l’accès à un système de santé répondant à leurs besoins, saisit aujourd’hui le ministre de la Santé et la ministre de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et leur demande :
- D’organiser la permanence et la continuité des soins en coordonnant la médecine hospitalière et la médecine de ville, qui fonctionnent encore trop souvent en silo ;
- D’augmenter la capacité de formation en médecins des facultés, afin de permettre de répondre aux besoins de la population d’ici 10 ans ;
- De piloter la formation pour prioriser les spécialités et les régions où la démographie médicale est la plus insuffisante par rapport à la demande de soins.
(2) Pour la collecte des données et leurs traitements économétriques, l’UFC-Que Choisir a eu recours à l’expertise de SKEMA Business School. Les détails de la méthodologie et des résultats obtenus sont consultables dans notre étude complète.
(3) Quota national de places en deuxième année de médecine, défini par arrêtés annuels, qui était en vigueur en France de 1971 à 2020.
(4) Nombre minimum « ouvert » d’admis en deuxième année, dans la limite des capacités des universités.