ACTUALITÉ
Commandes de livres sur Internet

Les frais de livraison fixés à 3 €

Cette décision visant à aider les librairies indépendantes à contrer les assauts des plateformes fait de nombreux mécontents.

C’est une décision qui ne satisfait à peu près personne. Le ministère de la Culture, suivant un avis de l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), a fixé à 3 € le montant minimum des frais de livraison de livres. Ce n’est qu’au-delà d’un seuil de 35 € de commande que ces frais pourront être ramenés à 0,01 €. Cette mesure, applicable aux livres neufs seulement, fait suite à la loi du 30 décembre 2021 (dite « loi Darcos »), qui prévoit que cette livraison ne peut être gratuite, et vient en quelque sorte compléter la loi Lang promulguée en août 1981. À l’époque, la décision d’imposer un prix unique pour chaque ouvrage ‒ aucun commerçant ne pouvant pratiquer une ristourne de plus de 5 % ‒ visait à préserver les libraires indépendants de la concurrence des grandes surfaces. Aujourd’hui, il s’agit de leur permettre de résister aux assauts des vendeurs en ligne, au premier rang desquels Amazon et la Fnac. Ces plateformes respectent la lettre de la loi mais pas son esprit, en pratiquant la quasi-gratuité des frais de livraison (0,01 €), politique de prix sur laquelle les libraires ne peuvent pas s’aligner. Le ministère explique ainsi sa décision : « Le tarif de 3 €, couramment appliqué pour la livraison d’autres produits, n’apparaît pas dissuasif pour les acheteurs et le seuil de 35 € favorise le groupement de commandes, geste vertueux en matière de transition écologique. » 

On pourrait croire les libraires satisfaits de cette réforme, ce n’est pas le cas. 3 €, pour eux, ce n’est pas assez. D’après le Syndicat de la librairie française (SLF), les frais postaux payés par le libraire lors d’une expédition au domicile de son client s’élèvent en moyenne à près de 8 €, il aurait donc été juste de les partager entre les deux parties en fixant les frais de port entre 3,5 € et 4 €. Surtout, le SLF est hostile au seuil à partir duquel ces derniers peuvent être ramenés à 1 centime, le jugeant en contradiction avec la loi Darcos.

Achats groupés

À l’inverse, les clients fidèles des webmarchands verront d’un mauvais œil l’augmentation de leur panier. Pourtant la livraison a un coût : les colis, le travail de ceux qui les préparent, le transport ne sont pas gratuits, il n’est donc pas illogique de les payer. De plus, le pourcentage de personnes achetant sur Internet est tout aussi élevé (voire plus, selon les sources) dans les communes de plus de 100 000 habitants ou l’agglomération parisienne, où les librairies abondent, que dans les campagnes. La gratuité peut donc inciter à des commandes de confort qui ne sont conformes ni au souhait de conserver un tissu commercial local vivace ni à celui de protéger l’environnement. Ces commandes passées par des personnes qui pourraient sans difficulté fréquenter une librairie sont-elles majoritaires ? Difficile à dire. Amazon assure expédier 40 % de ses livres à des clients « vivant dans des codes postaux (sic) qui n’ont pas de librairies ». Cela ne signifie pas qu’aucune soit implantée à proximité. Et montre qu’une majorité de livres est envoyée dans des communes qui en disposent. Cela dit, selon l’Observatoire société et consommation, la première raison de non-fréquentation des librairies est : « il m’est difficile de m’y rendre » ou « je n’en ai pas à proximité des lieux que je fréquente ». Pour ces personnes éloignées des points de vente, restera la stratégie de grouper ses achats, ou de se rabattre sur les livres d’occasion, qui ne sont pas concernés par la mesure.

Amazon, justement, était aussi, sans surprise, opposée à ce tarif minimal. La plateforme demande qu’il ne soit en vigueur que pour une durée de 2 ans et que, durant cette période, une étude d’impact soit menée pour mesurer ses effets et, le cas échéant, ajuster le dispositif. Enfin, des petits éditeurs indépendants, dont les ouvrages sont peu présents en librairie, protestent également contre cette mesure. « Quatre cinquièmes de nos ventes passent par Internet, nous avons donc fixé le prix de nos ouvrages en tenant compte du coût de la livraison pour pouvoir offrir les frais de port, explique Didier Sartore, directeur de Estelas éditions. Nos livres sont déjà assez chers, si on rajoute 3 €, les clients ne vont pas suivre. Et redéfinir nos tarifs aurait toutes sortes de conséquences. »

Moins cher d’expédier un livre à l’étranger qu’en France

Si on trouve bien peu d’acteurs du secteur pour défendre ce texte, tous s’accordent en revanche à dénoncer l’absurdité de la grille tarifaire appliquée par la Poste. Car pour encourager le rayonnement de notre culture, l’envoi de livres à l’étranger bénéficie de tarifs extrêmement privilégiés. Expédier un poche dans un autre pays de l’Union, au Royaume-Uni ou en Suisse coûte 1,49 €, dans les autres parties du monde, 2,60 €. Pour la France, cela revient entre 4,50 € et 4,95 €. La filière négocierait pour obtenir des tarifs spécifiques applicables sur notre territoire.

La mesure n’est pas d’application immédiate car le projet d’arrêté doit être notifié à la Commission européenne pour avis. « Une fois celui-ci rendu, la tarification minimale entrera en vigueur dans un délai de 6 mois après sa publication », précise le ministère qui semble tenir pour acquis que Bruxelles ne trouvera rien à redire à son texte.

Rappelons, pour les personnes qui peuvent se rendre en librairie, que des sites très précieux permettent de connaître la disponibilité dans les différents points de vente des ouvrages convoités et, s’ils ne sont pas immédiatement disponibles, de les commander pour aller les chercher quelques jours plus tard chez le commerçant (sans frais de livraison dans ce cas). On peut citer www.librairiesindependantes.com et, pour les Parisiens, www.parislibrairies.fr.

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