Fabienne Maleysson
Trop rares et trop cléments
Les contrôles du ministère de l’Agriculture en matière de sécurité sanitaire des aliments sont trop peu fréquents et les contrevenants ne risquent pas grand-chose, déplore le rapport de la Cour des comptes.
« L’absence de contrôle à un niveau significatif et l’absence de sanctions suffisantes mettent en lumière des anomalies graves ». C’est le constat sévère dressé par la Cour des comptes en conclusion de son rapport sur les contrôles du ministère de l’Agriculture en matière de sécurité sanitaire des aliments. Concernant les cultivateurs, les contrôleurs ont tendance à se concentrer sur les entreprises bénéficiaires d’aides européennes. Résultat : les arboriculteurs et les maraîchers ne sont quasiment jamais visités. Les abattoirs fonctionnent trop souvent sans fonctionnaire présent comme l’exige pourtant la réglementation européenne. Quant aux contrôles dans les établissements de remise directe (restaurants, détaillants, grandes surfaces et marchés), ils sont de plus en plus rares, notamment du fait des réductions d’effectifs. Enfin, les pratiques sont d’une grande hétérogénéité d’un département à l’autre, certains ciblant mieux leurs visites et ayant donc davantage de chances de constater des non-conformités majeures (33 % des inspections en relèvent dans les Alpes-Maritimes contre 3 % dans le Vaucluse).
Les opérateurs ont donc peu de risques d’être contrôlés et, s’ils le sont, n’encourent pas des sanctions suffisantes : « les suites données aux non-conformités sont peu nombreuses, insuffisamment contraignantes et très hétérogènes d’un service à l’autre », remarque la Cour. « Seules 41 % des inspections constatant une non-conformité moyenne ou majeure ont donné lieu à une suite quelle qu’elle soit. » Ainsi, l’établissement Spanghero, mis en cause dans l’affaire de la viande de cheval en 2013 avait été inspecté en 2008. Des non-conformités majeures tenant aux dates limites de consommation et à la traçabilité n’avaient donné lieu qu’à une lettre d’avertissement. Lors d’une deuxième visite quatre ans après, les inspecteurs n’avaient même pas demandé les résultats des autocontrôles ni le plan de maîtrise sanitaire « alors qu’il s’agit pourtant d’un point de contrôle en théorie incontournable ».
Hémorragie des effectifs
Le Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire (SNISPV) n’a pas tardé à réagir pour souligner l’hémorragie des effectifs (« - 20 % depuis 2004 alors que le champ des missions s’est accru ») et citer des chiffres qui donnent la mesure de la situation : « 43 agents sont affectés pour toute la France au contrôle de la restauration collective et 60 aux établissements de remise directe, soit 2 500 à 6 000 établissements par agent ! » Les représentants syndicaux se plaignent au passage du « poids du reporting (rédaction de rapports, ndlr) et de la bureaucratie ». Ils s’étonnent aussi que la Cour ne formule aucune recommandation sur l’organisation administrative.
En effet, le contrôle de la sécurité sanitaire des aliments est depuis longtemps partagé entre les ministères de l’Agriculture et de l’Économie (Direction générale de la concurrence, consommation et répression des fraudes, DGCCRF). Dans certains cas, les deux se renvoient la balle et personne ne contrôle, comme le remarque d’ailleurs la Cour au sujet des contaminants (cadmium, mercure, sulfites, etc.) dont l’Agence nationale de sécurité alimentaire avait pourtant jugé qu’ils devaient faire l’objet d’une surveillance particulière. Leurs services départementaux ont été fusionnés en 2010 pour former les DDPP (Directions départementales de la protection des populations). Mais au niveau des directions centrales, on continue à se regarder en chien de faïence, d’où une efficacité compromise : « il n’est pas admissible que les deux ministères continuent à se faire concurrence en matière de communication, que leurs instructions ne soient toujours pas concertées et que les systèmes informatiques ne soient toujours pas compatibles », s’insurge le SNISPV.
Mardi 11 février, lors de la présentation du bilan de l’action de la DGCCRF, Nathalie Homobono, sa directrice, a été interrogée au sujet des contrôles menés par son administration et des sanctions infligées aux contrevenants. Elle a expliqué que ses agents étaient particulièrement performants en la matière mais que de nombreux cas étaient résolus par le biais de la transaction pénale. La sanction n’est alors pas rendue publique. On doit donc se contenter de la croire sur parole. À quand un contrôle de la Cour des comptes dans son administration ?
Un logo pour les viandes françaises
Depuis l’affaire de la viande de cheval en 2013, les débats s’enlisent au niveau européen sur la perspective d’un étiquetage obligatoire de l’origine des viandes. Le parlement de Strasbourg l’estime indispensable, la Commission assure qu’il coûterait trop cher. Les professionnels français ont pris les devants en proposant un logo (facultatif) garantissant que toutes les étapes (naissance, élevage, abattage de l’animal, transformation) ont eu lieu sur notre sol. Outre l’intérêt en matière de maintien de l’emploi et d’impact environnemental, les différentes filières unies pour l’occasion mettent en avant la garantie de sécurité sanitaire qu’assurerait, selon elles, l’origine hexagonale.Le rapport de la Cour des comptes apporte de l’eau à leur moulin : « les différences dans les cultures administratives en matière de contrôle selon les États membres ne permettent pas d’assurer une totale maîtrise de la sécurité sanitaire des aliments commercialisés au sein de l’Union européenne. Le bilan 2010-2011 des contrôles sur ces denrées met en évidence des taux importants de non-conformité : 17 % sur les viandes fraîches de boucherie, 25 % pour les produits à base de viande ». En dépit de ces mauvais résultats, les contrôles sont très peu nombreux et donnent rarement lieu à sanction, remarque la Cour. Bref, si le constat n’est pas réjouissant en ce qui concerne le contrôle des denrées françaises, c’est pire pour celles qui viennent d’autres pays européens, sans parler de celles importées de pays tiers, dont le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, dans sa réponse à la Cour, a fait remarquer qu’elles concentraient « la majorité des risques identifiés ».