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Épargne

Natixis doublement condamné

La filiale de gestion d’actifs de Natixis (Groupe BCPE) a de nouveau été sanctionnée pour des graves manquements préjudiciables aux clients. Des pratiques que le site Mediapart et Que Choisir avaient déjà dénoncées en 2016 et 2017.

Les verdicts se suivent et se ressemblent pour Natixis ou, plus exactement, sa filiale, Natixis Asset Management (devenue Natixis Investment Managers International). Pour la deuxième fois, la société a été sanctionnée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour ses pratiques vis-à-vis de ses clients. En 2018, une action de groupe (lire encadré) avait été engagée par l’UFC-Que Choisir contre Natixis Asset Management (NAM), en raison de prélèvements de frais de gestion indus sur 133 fonds à formule. Certains des clients s’étaient retrouvés, une fois l’ensemble des frais et des marges prélevés, avec un capital de départ réduit. Une bonne partie des fonds incriminés avaient été commercialisés par le Groupe BCPE (Banques populaires-Caisses d’épargne), dont Natixis est une filiale. C’était le cas des fonds à formule Odeis, Fructi Sécurité ou Al Dente.

Le 25 septembre dernier, les techniques de gestion de NAM ont de nouveau été dénoncées par les membres de la commission des sanctions de l’AMF. Là encore, la filiale de Natixis a empoché une partie des gains qui devaient revenir aux fonds. Parmi les produits financiers concernés, on trouve aussi des placements d’organismes institutionnels : par exemple, le fonds CMD Agirc D, géré pour le compte de l’Agirc-Arrco (le régime de retraite complémentaire des salariés et des cadres du secteur privé), le fonds Concorde 96, qui finance la retraite des députés, ou encore Caducée Pharmaciens, administré pour le compte de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens.

Que des miettes pour les épargnants

À chaque fois, la défense de la direction de NAM est la même : la réglementation n’est pas claire et, par conséquent, aucune irrégularité n’a été commise. À deux reprises, la commission des sanctions de l’AMF a rejeté cet argumentaire. Dans sa décision de juillet 2017, l’autorité de tutelle a estimé que NAM avait « livré aux clients une information inexacte et trompeuse, violé son obligation d’agir dans le seul intérêt des porteurs de parts et imposé à ces derniers des charges indues et injustifiées ». L’AMF lui a alors infligé une amende de 35 millions d’euros, la plus forte sanction qu’elle a prononcée à ce jour. En septembre, l’AMF a condamné NAM à payer une nouvelle amende de 2 millions d’euros pour « ne pas avoir agi de manière honnête, loyale et professionnelle dans l’intérêt de ses clients », et pour ne pas les avoir informés de la rémunération qu’elle percevait. En cause : une partie des bénéfices générés par la gestion des fonds a été captée par NAM.

Pour bien comprendre les reproches adressés à Natixis Asset Management, il faut savoir que lorsque vous investissez dans un fonds de placement (proposé par une banque ou une société de gestion), vous acquérez une petite part de celui-ci en échange de la somme que vous apportez. Cet argent (et celui des autres épargnants) sert à acquérir des titres, notamment des actions cotées en Bourse. Or, les sociétés de gestion ont développé une nouvelle technique pour en obtenir le meilleur rendement possible : la cession temporaire de titres. Cette opération fonctionne un peu comme une location. Le fonds prête ses titres à des institutions financières (qui réalisent des opérations de spéculation avec ces valeurs). En échange, le fonds reçoit de l’argent. Normalement, le gain doit retourner in fine à l’épargnant. En réalité, une part très importante est allée dans les poches de NAM. Selon des documents consultés par Que Choisir, l’activité de cession de titres a rapporté 30 millions d’euros en 2011. Au total, 71 fonds gérés par NAM étaient concernés. Ceux-ci ont perçu – pour avoir, donc, prêté leurs titres destinés à des opérations de spéculation – 4,5 millions d’euros, soit environ 15 % du revenu. NAM s’est, pour sa part, bien servie en récupérant plus de 16 millions d’euros ! Sans jamais se justifier ni en informer ses clients.

Des fonds à formule opaques

Si NAM a pu ponctionner autant d’argent, c’est bien parce que les techniques de gestion de ces portefeuilles de titres se complexifient ! Ces placements deviennent des sortes de boîtes noires, où il est de plus en plus difficile de comprendre d’où proviennent les revenus qui leur sont délivrés. C’est particulièrement vrai avec les fameux fonds à formule (ou fonds structurés), vendus comme étant la dernière invention de l’ingénierie financière en faveur des particuliers. Ces produits financiers promettent un rendement sans les risques. Certains annoncent ainsi une garantie à 100 % du capital (moins les frais de gestion), d’autres, une garantie partielle. En réalité, il s’agit surtout de grosses machines à générer des frais, grâce auxquelles les sociétés de gestion engrangent d’énormes bénéfices. NAM a été très friande de ce genre de placement. Témoignage après témoignage, on constate les mauvais résultats des fonds structurés commercialisés par l’entreprise, via les réseaux des Banques populaires et des Caisses d’épargne, depuis plus d’une dizaine d’années.

Mais au-delà de Natixis, la majorité des fonds à formule proposés par les établissements concurrents, notamment après 2005, affichent eux aussi des performances très faibles, voire négatives. Parmi les plus mauvais élèves, les fonds Bénéfic de La Banque postale ou Doubl’Ô des Caisses d’épargne, qui ont fini avec des résultats nets négatifs (au lieu de doubler ou de tripler le capital). Et on peut tout autant évoquer le fonds Écureuil Europe 2003, géré par les Caisses d’épargne, dont les rendements annuels ont été inférieurs à 0,8 % ! Natixis est la partie émergée de l’iceberg, mais nul doute que les clients gagneraient à ce que la gestion de l’épargne populaire revienne à plus de clarté.

Secret des affaires

La justice donne raison à l’UFC-Que Choisir

Dans le cadre de l’action de groupe engagée en 2018 par l’UFC-Que Choisir, une première bataille juridique a porté sur l’importante question du secret des affaires. Natixis entendait refuser à l’association l’accès aux pièces de l’instruction menée par l’AMF, en 2017, au nom du secret des affaires et du respect de la vie privée. Le tribunal de grande instance (TGI) de Paris n’a pas retenu cet argument, de plus en plus avancé par des entreprises craignant de voir leur responsabilité engagée. Récemment, Merck, mis en cause dans l’affaire du Levothyrox, avait espéré, en invoquant ce droit, éviter la révélation de certaines informations sur ses pratiques. Concernant l’accès de l’UFC-Que Choisir aux pièces de l’instruction de l’AMF, le TGI de Paris a déclaré : « Il n’est pas démontré, à défaut de connaître à ce stade le contenu des procès-verbaux de l’enquête de l’AMF, que le droit au respect de la vie privée et familiale, le secret des affaires s’opposerait à la communication des informations requises. »

Élisa Oudin

Élisa Oudin

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