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Huîtres

Les huîtres triploïdes sur la sellette

Faut-il étiqueter les huîtres triploïdes sur les étals des poissonniers ? Est-il légitime d’informer le consommateur des particularités génétiques de ces mollusques  stériles produits en écloserie ?  Alors que l’ostréiculture traverse une crise gravissime, la traçabilité de ces huîtres fait plus que jamais débat.

Tous les amateurs d’huîtres le savent : à l’arrivée des beaux jours, période de la reproduction pour  ces coquillages, les huîtres se gonflent d’une matière blanchâtre  peu appétissante qui freine leur consommation pendant l’été. Sauf que depuis une quinzaine d’années, la plupart des huîtres proposées sur les étals ne sont plus laiteuses.  L’explication de ce mystère de la nature ? C’est tout simplement que ces huîtres d’un nouveau genre sont triploïdes. Nés en 1997 dans les laboratoires d’Ifremer, ces mollusques possèdent dix lots  de trois chromosomes et non dix lots de deux chromosomes comme l’huître « normale » diploïde. Cette anomalie génétique rend les triploïdes stériles. Leur texture est donc constante toute l’année. Un avantage pour les touristes des stations de bord de mer qui peuvent désormais se régaler d’huîtres non laiteuses, et surtout pour la filière conchylicole  qui  s’affranchit ainsi de la tradition des mois en « r ». Cerise sur le gâteau, les triploïdes ne consommant pas leur énergie dans la reproduction, grossissent plus vite que les diploïdes, ce qui permet de ramener leur cycle de production de trois à deux ans. Une aubaine pour les ostréiculteurs qui, dans leur grande majorité,  se sont laissé séduire par cette championne de la productivité. Les « triplo » représenteraient aujourd’hui 50 % des huîtres vendues en France.  Pourtant, aucun étiquetage ne permet aujourd’hui au consommateur de différencier les triploïdes issues de naissains (larves)  produits en écloserie, des huîtres « naturelles » issues de naissains de captage  dans le milieu marin. 

En 2001, le Conseil national de la consommation (CNC) avait demandé que les consommateurs soient informés du caractère polyploïde de ces huîtres et qu’une indication « huîtres triploïdes » soit rendue obligatoire dans l’étiquetage. Une demande restée lettre morte, l’Afssa (agence de sécurité sanitaire de l’alimentation), n’ayant mis en évidence  aucun risque sanitaire particulier pour les consommateurs. La question de l’étiquetage  n’est pas réglée pour autant et fait toujours l’objet de débats acharnés au sein de la profession. La majorité des ostréiculteurs n’y est pas favorable,  de crainte d’un boycott de ces coquillages  par les clients. De leur côté, les pouvoirs publics y ont jusqu’ici mis leur veto, arguant du fait que ces huîtres, bien qu’issues d’une manipulation génétique,  ne sont pas  des organismes génétiquement modifiés (OGM),  puisqu’il n’y  a pas introduction de gènes nouveaux.   De plus,  le recours à des hybrides triploïdes est souvent la règle dans de nombreuses filières végétales (agrumes, bananes, céréales…) voire dans les filières animales (truite)  afin d’obtenir des produits homogènes et de meilleure qualité.  Dès lors que la vente de ces produits ne fait pas l’objet d’un étiquetage spécifique, il semble injustifié de faire une exception pour les huîtres.

Chute de la production

Sauf que depuis l’introduction des animaux de laboratoire dans les élevages,  le petit monde de l’huître  ne tourne plus rond.  De 130 000 tonnes par an,  la production d’huîtres  est tombée à 80 000 tonnes.  En 2008 et 2009, le virus herpès OsHV-1 a frappé massivement les juvéniles (jeunes huîtres de moins d’un an) détruisant jusqu’à  80 % du cheptel de certains parcs ostréicoles.  Aujourd’hui encore, les épizooties continuent de sévir dans les élevages. « Dans plusieurs secteurs, les mortalités d’huîtres adultes n’ont jamais été si importantes et touchent indistinctement les diploïdes et les triploïdes », déplore Louis Teyssier, président du comité régional conchylicole (CRC) de Normandie-mer du Nord. De là à rendre responsables du désastre les naissains provenant d’écloserie,  il n’y a qu’un pas.  L’association Ostréiculteur traditionnel, qui compte 70 adhérents, n’a pas hésité à le franchir à l’automne dernier en assignant  l’Ifremer pour « défaut de surveillance sanitaire depuis la commercialisation des huîtres des écloseries ».  Les plaignants estiment en effet que l’explosion de la proportion de triploïdes a fragilisé le cheptel et favorisé la dissémination de l’herpès. Le rapport d’expertise judiciaire du professeur J. D. Puyt apporte de l’eau à leur moulin.  Il pointe en effet  « l’absence de diagnostic médical qui a empêché l’Ifremer de formuler le moindre avis, notamment sur les mesures de prophylaxie à prendre… »  Cette expertise constate en outre que le virus sévissait déjà dans les élevages avant l’apparition des triploïdes,  et qu’une flambée virale,  probablement par mutation,  a provoqué les mortalités constatées.  Mais les ostréiculteurs ont leur part de responsabilité dans le désastre : la  surcharge des bassins ostréicoles par des tonnes de mollusques qui vont et viennent sans contrôle de leur état sanitaire ni de connaissance des productions primaires nourricières (plancton) ont multiplié les risques. 

Quid de l’étiquetage obligatoire ?

En attendant l’issue du procès, les ostréiculteurs traditionnels, soutenus par le sénateur écologiste du Morbihan, Joël Labbé, reviennent à la charge sur la question de l’étiquetage obligatoire.    Interrogé sur ce point le 12 mai dernier par M. Labbé, le secrétaire d’État chargé des transports, de la pêche et de la mer, Alain Vidalies, a pris la défense des triploïdes qu’il juge complémentaires des diploïdes issues d’écloseries ou de captages naturels.  Toutefois, il s’est montré favorable à l’affichage des mentions « huîtres issues d’écloserie »  (triploïdes ou diploïdes) et « huîtres de captage naturel » (forcément diploïdes).  Pas sûr que le consommateur y voie plus clair. Avant de mettre en place un étiquetage franco-français sur les triploïdes, ne vaudrait-il pas mieux commencer par faire respecter la réglementation européenne sur l’origine des produits ?  Force est de constater que les  gros opérateurs s’en affranchissent !  « Sur un cycle d’élevage de 2 à 3 ans, il suffit d’un mois d’affinage dans les claires de Marennes-Oléron pour que des huîtres élevées en Irlande, en Normandie, et bientôt au Maroc, deviennent charentaises »,  s’insurge sur son blog Philippe Favrelière, ingénieur agricole et expert en aquaculture. « Il y a donc tromperie, ou du moins manque de transparence vis-à-vis des consommateurs, et concurrence déloyale envers les ostréiculteurs qui continuent à produire une huître locale  et qui exploitent et entretiennent les parcs marins des différents "merroirs" sur tout le littoral français. Le problème est là… et pas ailleurs ».

Tétraploïdes : un risque  pour l’environnement

Les huîtres triploïdes sont obtenues par croisement d’huîtres diploïdes (2 lots de 10 chromosomes), avec des huîtres tétraploïdes (4 lots de 10 chromosomes) dont le nombre de chromosomes a été doublé par des procédés brevetés par l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer). L’organisme de recherche public vend ses tétraploïdes aux écloseries qui doivent les détruire ou les restituer à l’Ifremer après utilisation. La fuite des tétraploïdes dans le milieu naturel serait une catastrophe écologique car ces super-géniteurs femelles pourraient se reproduire avec des huîtres diploïdes « sauvages » et donner naissance à des huîtres triploïdes donc stériles. En outre, la disparition des naissains de captage naturel rendrait les ostréiculteurs entièrement dépendants des écloseries.  Problème : le brevet d’obtention des huîtres tétraploïdes détenu par l’Ifremer expire cette année. Il pourrait donc échoir à des entreprises privées. Pour éviter ce scénario à la Monsanto, le Comité national de conchyliculture (CNC) envisage de se porter acquéreur du brevet.

Florence Humbert

Florence Humbert

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