Cyril Brosset
Procès de la SFAMLa chute du plus jeune milliardaire de France
Entre oublis, approximations et provocations, Sadri Fegaier a perdu de sa superbe à la barre du tribunal correctionnel de Paris : 2 ans de prison, 300 000 € et un mandat de dépôt ont été requis à l’encontre du patron de la SFAM. La décision sera rendue le 17 décembre.
Les témoignages des victimes qui se sont succédé à la barre n’y auront rien fait. Sadri Fegaier n’a laissé transparaître aucune émotion lors de son audition devant le tribunal correctionnel. Face à l’insistance de la présidente, l’homme d’affaires a bien fini par lâcher de timides excuses, mais rien de ce qui s’est passé depuis 7 ans ne semble être de sa faute. Le tribunal a eu beau lui présenter des éléments probants, Sadri Fegaier, le patron de la SFAM, est resté droit dans ses bottes, continuant à affirmer que « le processus de résiliation était simple ».
Même la présentation des ouvrages et des livrets de formation sur lesquels les téléopérateurs devaient s’appuyer pour rassurer les consommateurs ne l’ont pas fait flancher. « Je les découvre », va-t-il jusqu’à lancer, alors que ces documents, saisis en nombre sur le plateau d’appels du siège de Romans-sur-Isère par les agents de la DGCCRF, lui ont été présentés dès 2021. « Il s’agit peut-être de brouillons ou d’initiatives personnelles de jeunes salariés, mais ce ne sont pas des documents validés par la direction », persiste-t-il.
Le fonctionnement de B-Appli, le logiciel de gestion de clients spécialement développé pour la SFAM, ne le rend pas plus loquace. « Je ne maîtrise pas ce sujet », se défausse-t-il. « Mais pourquoi le logiciel intégrait-il 3 niveaux de demandes alors que le problème aurait dû être réglé au premier appel ? » interroge la présidente. « Cela permettait de faire patienter le client en attendant que son dossier soit traité par le service qualité. — Pourtant, il est indiqué dans un courriel que les demandes de remboursement faites par téléphone n’étaient plus traitées », reprend la présidente, face à un Sadri Fegaier incapable de se justifier.
Prison requise pour Sadri Fegaier
Sur chaque aspect du dossier, l’homme dégaine une explication bancale. Les mandats de prélèvement laissés actifs après la résiliation ? « Les conseillers bancaires peuvent se tromper. » Le signalement par un commissaire aux comptes de la présence de comptes de dette anormalement élevés ? « Il y avait des doublons. Il s’agit juste de problèmes d’écriture comptables. » Le nombre élevé de demandes de remboursement au vu des souscriptions ? « Il n’y avait rien d’alarmant. » Enfin, quid de l’absence de prise en compte des résiliations ? « Le logiciel a certainement dysfonctionné, ou il y a eu un problème lors de la souscription… »
Même les sanctions prises par différentes autorités à l’encontre de sa société n’ont pas ébranlé sa confiance. Ainsi, il trouve « injuste » la transaction de 10 millions d’euros initiée par la DGCCRF et assure ne l’avoir signée « qu’à la demande des actionnaires », pourtant minoritaires. Quant aux griefs formulés par l’Autorité de contrôle prudentiel (ACPR) en 2023, ils l’ont « surpris ». Même la liquidation judiciaire intervenue en avril dernier n’était pas justifiée, selon lui : « Si elle n’avait pas eu lieu, nous aurions mis en place un plan d’action et nous aurions remboursé les clients. »
Après avoir souligné le caractère hors norme de ce dossier, la procureure de la République a requis la peine maximale à l’encontre de Sadri Fegaier, à savoir 2 ans de prison, dont 6 mois avec sursis probatoire lié à l’obligation de rembourser le Trésor public et les victimes, et 300 000 € d’amende. Elle a aussi demandé à son encontre un mandat de dépôt, une interdiction de démarchage et de gestion pendant 5 années et la saisie de ses biens personnels. Des amendes ont par ailleurs été requises à l’encontre des 6 sociétés poursuivies pour un total de 3,35 millions d’euros. Les réquisitions ont été accueillies par des applaudissements de la salle. Le jugement sera rendu le 17 décembre.
L’ambition démesurée d’un homme parti de rien
Lors de leurs plaidoiries, les avocats des parties civiles ne se sont pas contentés de défendre leurs clients. Ils en ont aussi profité pour faire passer un certain nombre de messages. À l’image de Me Macchetto, le conseil de l’UFC-Que Choisir, soulignant le courage des 2 000 victimes qui se sont portées parties civiles et ont alerté sur le fait qu’elles ne représentaient que « la partie émergée de l’iceberg ». Il a aussi exhorté le Parquet à lancer d’autres actions à l’encontre de Sadri Fegaier. « Nous avons des éléments qui montrent que des mandats de prélèvement ont été transmis à d’autres sociétés en toute illégalité. On ne peut pas en rester là, sinon, l’histoire va recommencer et les victimes d’aujourd’hui reviendront devant vous. »
De son côté, Me Léoty, l’avocate de la majorité des victimes, a pointé du doigt le « laxisme de l’ACPR », qui n’a retiré à la SFAM son autorisation de commercialiser des produits d’assurance qu’en avril 2023, soit 6 ans après nos premières révélations. Me Hollande, l’avocat de la CFDT, a quant à lui dénoncé « l’ambition d’un homme qui a voulu racheter le groupe Fnac-Darty et qui s’est retrouvé face à une dette énorme » : « Pour rembourser les 40 millions d’euros d’intérêts annuels liés à l’emprunt qu’il avait contracté, il n’avait d’autre choix que de grossir vite et de faire rentrer un maximum de cash », analyse-t-il avec justesse.
Les millions d’euros prélevés abusivement sur les comptes des clients n’auront pas suffi. Selon les avocats des liquidateurs judiciaires, la SFAM afficherait, selon un arrêté provisoire, un passif abyssal de 616 millions d’euros pour un actif de seulement 70 000 €. Outre le paiement des intérêts de la dette et le train de vie dispendieux de la société ainsi que de son dirigeant, de surprenants flux financiers ont aussi été détectés. Ainsi, en décembre 2023, alors que le groupe était censé être en cessation de paiements, la société actionnaire du groupe Indexia aurait voté le versement d’un dividende de 100 millions d’euros pour son propre compte. Face à l’ampleur du passif, les liquidateurs ont lancé une procédure visant les biens propres de Sadri Fegaier. L’ancien « plus jeune milliardaire de France », qui a fini en larmes lorsque la parole lui a été donnée à la fin des débats, n’en a certainement pas fini avec la justice.