ENQUÊTE
Assurances multimédias

La SFAM n’assure pas tant que ça

+ 2 400 % de croissance en 5 ans, le lancement d’une campagne de recrutement de 1 000 salariés au printemps, de la publicité à la télé et dans la presse… la Société française d’assurance multimédia (SFAM) n’en finit pas de faire parler d’elle. Partenaire de plusieurs réseaux de distribution (notamment les magasins Fnac et Welcom) et de sites marchands (CDiscount et bien d’autres), la SFAM a réussi à s’imposer comme l’un des principaux acteurs du marché de l’assurance affinitaire pour produits électroniques. Pour cela, le groupe basé à Romans-sur-Isère (26) s’appuie notamment sur un discours marketing bien rôdé qui prévoit, pour chaque nouveau client, un remboursement de 30 €, un mois de cotisation gratuite et la possibilité de résilier son contrat sur simple appel au service client pendant les 30 premiers jours. Mais derrière les beaux discours et la réussite de façade se cache une part plus sombre. Entre les problèmes de résiliation, les prélèvements qui ne correspondent pas à ceux qui avait été annoncés ou encore les difficultés à obtenir le versement des 30 € promis, les consommateurs sont nombreux à se plaindre de la SFAM. Notre enquête montre aussi à quel point le discours des vendeurs est souvent éloigné de la réalité du contrat et met le doigt sur les liens qui unissent l’assureur et son partenaire la Fnac. Plongée dans la face cachée de la SFAM.

Avec ses grandes façades bleutées, ses plateaux lumineux avec vue sur les montagnes du Vercors et ses deux restaurants où les salariés déjeunent gratuitement, le siège de la SFAM (Société française d’assurances) dénote dans la zone industrielle de Romans-sur-Isère (26). Inauguré en grande pompe en 2016, le bâtiment se veut à la hauteur de l’incroyable réussite du groupe, qui revendique 2 400 % de croissance en cinq ans et se présente comme le numéro un de l’assurance affinitaire (1) en Europe, avec plus de 5 millions de clients. « La SFAM a su tirer profit de l’essor d’un marché dopé par la multiplication des objets high-tech et la forte hausse du prix des smartphones. Son offre innovante couvrant toutes les causes de sinistre a séduit de nombreux distributeurs », analyse un expert.

30 € offerts : un appât très efficace

Ce développement tout feu tout SFAM, la société drômoise le doit surtout à un discours marketing bien rodé. À chaque nouveau client, la SFAM s’engage à offrir 30 € et la première échéance du contrat. Certaines formules permettent même de recevoir un iPhone et de bénéficier d’un remboursement de 150 € au bout de douze mois. Pour couronner le tout, l’abonnement est censé être résiliable sur simple appel au service client. « Avec de tels arguments, on n’a aucune difficulté à faire souscrire des contrats », reconnaît un vendeur de la Fnac, l’un des principaux pourvoyeurs de contrats SFAM. Les clients, quant à eux, comprennent qu’ils ont la possibilité d’empocher 30 € sans payer la moindre mensualité en souscrivant à l’offre puis en la résiliant dans les jours qui suivent. Et s’ils n’y pensent pas, les vendeurs se chargent de le leur expliquer, comme l’attestent nos visites en magasins. Ce tour de passe-passe est d’autant plus tentant que la souscription à l’offre SFAM est ultrasimple : un RIB et deux signatures sur une tablette suffisent. Le contrat est expédié vers la boîte mail du client dans les minutes qui suivent.

Si l’inscription est rapide, de nombreux témoignages tendent à montrer que la résiliation, elle, est nettement plus compliquée. « J’ai appelé à plusieurs reprises le service client de la SFAM, qui m’assurait que ma demande était bien prise en compte. Mais à chaque fois, je constatais de nouveaux prélèvements », se souvient l’une des victimes. Comme elle, beaucoup d’abonnés à la SFAM disent avoir dû multiplier les appels, envoyer des courriers recommandés, voire dénoncer les faits sur des forums pour faire stopper les prélèvements.

Récupérer les 30 € promis n’est pas, non plus, une mince affaire. Contrairement à ce qu’affirment la plupart des vendeurs, le virement n’est ni rapide ni automatique. Il faut le réclamer via Internet entre le 2e et le 30jour suivant la souscription, puis attendre 8 semaines pour recevoir l’argent. Pour le savoir, il faut lire les petites lignes au bas de la huitième page du contrat, car ni les vendeurs ni le service client de la SFAM ne donnent l’information. Et si vous comptiez résilier avant d’avoir touché les 30 €, mauvaise idée. Le contrat précise que, pour que le virement ait lieu, l’abonnement doit être actif. Contrairement à ce que promettent un peu vite beaucoup de vendeurs, il est donc impossible, en pratique, de bénéficier du remboursement de 30 € sans payer les premières mensualités de l’assurance.

Protection inutile

La désinvolture des vendeurs ne s’arrête pas là. Aucun d’entre eux, par exemple, ne cherche à savoir si le client est déjà couvert par une assurance ou si la valeur de l’objet justifie la souscription d’une telle garantie. Jean-Luc a fait les frais de ce laxisme à la Fnac d’Épinal (88), où il a acheté des écouteurs à 39 € : « Je n’avais pas besoin d’assurance mais la vendeuse a réussi à me convaincre en me disant qu’avec le remboursement de 30 € ces écouteurs ne me coûteraient quasiment rien. » Après réflexion, il a décidé de renoncer au contrat.

Les managers font pression

Les commissions que touchent les vendeurs sur chaque contrat souscrit (5 € dans la plupart des cas à la Fnac, selon nos informations) expliquent en partie cet excès de zèle. Mais les vendeurs doivent surtout appliquer les consignes de leur hiérarchie. Sébastien (2), qui a travaillé plusieurs mois comme téléconseiller pour un sous-traitant de la SFAM, se souvient du discours de ses managers. « Ils nous rappelaient régulièrement d’insister sur le remboursement de 30 € et sur le premier mois gratuit, mais de ne parler d’assurance qu’une fois que le client avait accepté de souscrire au contrat. Quand une personne voulait savoir combien ça lui coûterait, nous avions pour consigne de ne pas parler des mensualités de 15,99 €, mais d’évoquer un coût de revient de 3,49 €/mois qui correspondait aux douze mensualités moins les 150 € censés être remboursés à la fin de la première année. Nous devions aussi dire aux clients que nous allions les recontacter trois semaines plus tard, alors que nous ne le faisions jamais. À la place, des e-mails automatiques leur étaient envoyés. Quant à l’iPhone 5S que les titulaires de certaines formules devaient recevoir au bout de trois ou quatre semaines, il était envoyé après quatre mois à ceux qui le réclamaient. » Si Sébastien avait conscience que son discours était un peu « limite », il n’imaginait pas, à l’époque, que les problèmes étaient si nombreux. « Nous avions peu de retours, raconte-t-il. Les gens qui voulaient se plaindre contactaient le service client et nos managers n’arrêtaient pas de nous dire que la SFAM était une bonne assurance, et qu’en cas de litige elle donnait toujours raison au client. On y croyait. »

La faute rejetée sur les vendeurs

À la SFAM, on minimise. « Certes, il y a quelques litiges, mais leur nombre est infime si on le rapporte aux 200 000 contrats souscrits chaque mois, déclare Sadri Fegaier, le fondateur et P.-D.G. Dès que nous avons connaissance d’un problème, nous cherchons à le résoudre et si un client n’a pas compris notre offre ou si le vendeur la lui a mal expliquée, il peut joindre nos services, qui résilieront le contrat et procéderont au remboursement des sommes versées. Pour nous, la qualité est une priorité. » Quant au discours tendancieux de certains vendeurs, Sadri Fegaier assure ne pas en être responsable et tout faire pour l’éviter, grâce à des équipes qui tournent dans les magasins partenaires et à des indicateurs de qualité lui permettant de surveiller leur activité.

Si l’afflux de plaintes semble diminuer depuis quelque temps, la situation est encore loin d’être saine. « La pression des managers se fait moins forte, reconnaît un vendeur, mais il y a toujours, dans chaque magasin, un vendeur plus zélé que les autres, qui continue à proposer du SFAM à tours de bras en comptant sur le fait qu’une partie des clients oubliera de mettre fin à l’abonnement pour toucher sa commission. » De fait, il suffit de se rendre dans quelques magasins pour constater que les discours trompeurs sont loin d’avoir disparu. La résiliation aussi reste très aléatoire. « Ce n’est pas étonnant, car les téléconseillers sont payés en fonction du nombre de clients mécontents qu’ils parviennent à retenir », décrypte Lilian, un ancien salarié. Pas question, en revanche, pour Sadri Fegaier, de se passer d’un discours marketing qui a fait ses preuves. « Certains de nos concurrents offrent trois mois d’abonnement. Nous, nous offrons 30 €. Cette pratique est courante », relativise-t-il.

Étouffer la grogne

Plutôt que de pousser les vendeurs à faire montre de plus de transparence, le P.-D.G. de la SFAM préfère étouffer la grogne. Ainsi, ses équipes nous ont demandé de modérer ou de clôturer plus de 200 messages négatifs présents sur notre forum. Selon elles, tous ces litiges ont été résolus. Après avoir procédé à des vérifications auprès de chaque consommateur, nous n’avons pas donné suite à cette demande. La SFAM a également contesté, devant le tribunal administratif de Valence (26), l’injonction de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) de la Drôme de cesser ses pratiques. L’instruction est en cours.

Des ambitions démesurées

Car Sadri Fegaier a de grandes ambitions pour la SFAM et, pour les réaliser, il est prêt à tout, y compris à dépenser beaucoup d’argent. Dans le cadre de son développement, la SFAM a déjà racheté plusieurs centres d’appels, sponsorisé l’émission télévisée « Koh Lanta » (TF1), ou encore lancé une grande campagne d’affichage pour communiquer sur son intention de créer 1 000 nouveaux emplois. Il n’hésite pas non plus à payer ses employés au-dessus du prix du marché (40 % selon lui), à mettre des voitures haut de gamme à la disposition de ses commerciaux et à organiser des séminaires à l’étranger. Mais son plus gros coup d’éclat date de février dernier lorsque, à la surprise générale, la SFAM a racheté 11 % du capital de Fnac-Darty pour 335 millions d’euros – soit 20 % au-dessus de sa valeur – devenant ainsi le deuxième actionnaire dans le groupe de distribution. Et son immixtion ne s’est pas arrêtée là. Sadri Fegaier a également réclamé deux sièges au conseil d’administration (pour l’instant, ils lui ont été refusés) et ouvert quatre magasins Fnac en franchise. « Si j’investis dans ce marchand, c’est que je crois à son modèle et que je veux aider ce groupe français à lutter contre la concurrence de géants comme Amazon », affirme-t-il. Du côté de la Fnac aussi, on se veut optimiste. « Cette prise de participation ne change rien à la relation commerciale que nous entretenons avec la SFAM », confirme Vincent Gufflet, directeur commercial de Fnac-­Darty. Les cadres du groupe pourraient néanmoins avoir tous ces éléments en tête quand ils auront à décider s’ils renouvellent ou non leur partenariat avec la SFAM.

Si, à la Fnac, on se montre serein, du côté des concurrents, en revanche, l’essor de la SFAM fait jaser. « Son succès est indéniable, mais j’espère que l’on se bat avec les mêmes armes. En tout cas, pour notre part, nous avons cherché à voir si nous pouvions appliquer son modèle mais, avec nos critères de qualité, ça ne passait pas », explique l’un d’eux sous couvert d’anonymat.

Ces doutes ne changent rien aux ambitions de Sadri Fegaier, qui entend poursuivre son développement en Europe et continuer à diversifier son offre. Après l’assurance mobile et le cash back (3), la SFAM vient de lancer un service baptisé Hubside qui permet à tout un chacun de créer son site Web. Pour soutenir le lancement, Sadri Fegaier a recruté le champion de tennis français Jo-Wilfried Tsonga, mis en scène dans un spot publicitaire à grand spectacle. Dès la rentrée, Hubside sera commercialisé en magasin, notamment dans les Fnac. Reste à savoir comment les vendeurs inciteront les clients à souscrire un abonnement.

Analyse de l’offre

Une assurance bien trop chère

Si on y adhère pour le remboursement de 30 €, faut-il garder l’assurance SFAM pour ses prestations ? Pas sûr. Car si le vol, la casse et l’oxydation sont réellement pris en charge quelle que soit la cause, le tarif de 22,98 € par mois de l’offre Infinity Plus (15,99 € + 6,99 € pour les services associés, soit 252 €* la première année puis 299 € les années suivantes), appliquée d’office aux nouveaux clients, est très élevé. La formule peut éventuellement valoir le coup pour assurer un appareil très cher et très récent. Mais si vous possédez un appareil d’entrée ou de milieu de gamme, il faut impérativement résilier ou basculer vers une formule moins chère (la SFAM en propose à partir de 3,90 €/mois). Idem si votre appareil est ancien, puisque sa vétusté sera prise en compte en cas de remplacement ou de remboursement. Sur la gestion des sinistres, les retours sont mitigés. Si certains s’en disent satisfaits, d’autres déplorent des délais trop longs ou le fait qu’on leur demande les mêmes justificatifs plusieurs fois. Finalement, comme toutes les assurances de ce genre, celle de la SFAM a peu d’intérêt. La formule couvrant tous les appareils électroniques du foyer, proposée à certains clients voulant résilier, pourrait avoir plus de pertinence. Mais étrangement, la SFAM refuse d’envoyer un document recensant les nouvelles conditions. Dans ce cas, il est plus prudent de ne pas y donner suite.

* Sur 11 mois.

Vraiment trop d’abus

L’UFC-Que Choisir porte plainte

Face aux innombrables retours négatifs de consommateurs, l’UFC-­Que Choisir a décidé de porter plainte contre la SFAM et contre son principal distributeur, la Fnac, pour pratiques ­commerciales trompeuses. En cause notamment : le versement de 30 € promis à tout nouveau client. Le fait que ce versement soit présenté comme un « remboursement » alors que le client n’a encore payé aucune mensualité pose problème. Il devrait plutôt, dans ce cas, être présenté comme une « vente avec prime ». Laisser entendre aux clients qu’ils peuvent à la fois bénéficier de cette offre et résilier leur contrat dans les 30 premiers jours, comme le font de nombreux vendeurs, est également trompeur, selon nous. Il faut regarder attentivement les documents contractuels de la SFAM pour apprendre que le versement des 30 € est réalisé « sous 8 semaines » et « sous réserve d’un contrat valide et en cours d’exécution ». Autant d’éléments qui pourraient être considérés par les juges comme de nature à induire le consommateur en erreur.

(1) Assurance liée à un produit.
(2) Les prénoms des anciens vendeurs ont été modifiés.
(3) Certains clients ont constaté trois prélèvements sur leur compte. Un de 15,99 €, pour l’assurance, un de 6,99 €, pour bénéficier d’un appareil de secours, et un de 15,99 € pour Foriou, un service de cash back permettant de récupérer une partie des sommes dépensées dans des magasins et sur des sites partenaires. Mais pour qu’il ait un intérêt, il faut beaucoup acheter et… savoir que l’on y a souscrit !

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