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Hadopi, c’est (mal) parti

L’Hadopi a demandé aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) les coordonnées des premiers internautes pris en flagrant délit de téléchargement. Les premiers courriels d’avertissement partiront dans la foulée. Après des mois de débats dans l’hémicycle, la répression massive du téléchargement se met en place. Un combat d’un autre temps, perdu d’avance pour les majors et le gouvernement.

Hadopi, c’est quoi ?

Une autorité pour appliquer la loi

L’Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet) est l’autorité publique instaurée par loi Création et Internet. Sa mission consiste à appliquer la « riposte graduée », cette réponse en trois temps aux internautes qui téléchargent illégalement des fichiers (musicaux notamment, mais également des vidéos) sur Internet. Dans le principe, un internaute repéré recevra un courriel d’avertissement, puis un second doublé d’une lettre recommandée s’il récidive. S’il poursuit ses activités, sa connexion à Internet sera coupée.

Voilà pour la théorie. C’est dans la pratique que surgissent les difficultés. Pour obtenir les coordonnées de l’internaute pris en flagrant délit, l’Hadopi s’adresse à son fournisseur d’accès à Internet. Ce dernier a 8 jours pour répondre à la demande. Mais rien n’assure que le FAI donnera l’adresse e-mail usuelle de l’internaute. La seule en sa possession, bien souvent, est celle créée automatiquement lors de l’abonnement, dont le client n’a pas toujours l’usage ni même connaissance. Autre écueil, il n’est pas certain que tous les FAI puissent facilement isoler Internet du téléphone et de la télévision dans leurs offres « triple play ». L’opération, techniquement difficile, dépend des infrastructures de chacun. Il faudrait potentiellement les modifier, ce qui nécessiterait de lourds investissements. On imagine difficilement l’Hadopi couper autoritairement l’accès d’un abonné aux trois services, d’autant qu’il devra toujours payer sa facture !

Hadopi, pourquoi ?

La réponse du berger… à la crémière

Depuis des années, l’industrie musicale traverse une « crise du disque ». Le nombre d’albums vendus en magasin a chuté de 20 % entre 2006 et 2009 1. Cette baisse, les majors et le gouvernement l’expliquent par les téléchargements illégaux sur Internet. La loi Création et Internet vise à l’enrayer en sanctionnant les pirates. Ainsi, l’industrie retrouverait des couleurs.

Seulement voilà, c’était compter sans le fait que si les consommateurs se détournent du CD, c’est surtout parce que les modes de consommation de la musique changent, question d’époque ! Aujourd’hui, le lecteur CD portable a laissé place au baladeur MP3, et à la maison l’ordinateur, devenu centre multimédia, héberge la discothèque. On vend moins de disques, certes, mais beaucoup plus de musique en ligne. Le nombre d’albums téléchargés a bondi de près de 72 % 1, bien que l’offre légale soit très limitée.

Hadopi pour qui ?

Les vrais pirates ont déjà levé l’ancre

Ceci étant, évidemment que les internautes téléchargent illégalement de la musique, c’est si simple ! Il suffit d’intégrer en quelques clics un réseau d’échange « peer to peer », type eMule ou Bit Torrent. N’importe quel néophyte en est capable. C’est sur ce type de réseau que l’Hadopi va concentrer sa traque. Problème : les pirates chevronnés, ceux qui savent comment se cacher, ont déserté ces places depuis bien longtemps. Seuls les « pirates du dimanche » risquent donc de tomber dans les mailles du filet.

Les erreurs possibles ?

N’habite pas à l’adresse IP indiquée

Sur la route, un chauffard est identifié par la plaque d’immatriculation de sa voiture. Sur Internet, un internaute est confondu grâce à l’adresse IP (Internet Protocol) de son ordinateur. Si un voisin pirate votre connexion wi-fi et télécharge via votre adresse IP, c’est vous que l’Hadopi risque d’accuser ! Autre risque : celui de voir votre ordinateur infesté d’un virus spécialisé dans l’usurpation d’IP, qui vous ferait également accuser. Mais pas à tort. Incroyable mais vrai, en telle situation, l’internaute sera bel et bien coupable. Car dans la loi Création et Internet, c’est le défaut de sécurisation de son accès à Internet qui est sanctionné. Chacun sera donc contraint d’installer sur son ordinateur un logiciel de sécurisation labellisé par Hadopi, et payant. De l’avis de certains experts, ces logiciels joueraient plutôt un rôle de mouchard : ils constitueraient pour l’Hadopi l’unique moyen d’apporter la preuve de la culpabilité d’un internaute. À ce jour, parce qu’il pose de sérieuses difficultés informatiques (dues à la diversité des box Internet) et touche des fondamentaux juridiques (notamment la présomption d’innocence), aucun logiciel n’a encore vu le jour.

Hadopi efficace ?

Les gros pirates se frottent les mains

Pour échapper à tout contrôle, il « suffit » de masquer l’adresse IP de son ordinateur. Ce simple constat a fait émerger de nouveaux types de réseaux d’échange, comme les réseaux « F2F », ou d’ami à ami (entre gens de confiance), ou bien encore les réseaux anonymes de type « I2P » (Invisible Internet Project). On trouve également des logiciels gratuits qui permettent de cacher ou de modifier son IP. La parade la plus courante reste le recours à un réseau privé virtuel (un VPN, pour Virtual Private Network) : tous les ordinateurs de ce réseau sont reliés entre eux et partagent une même adresse IP pour se connecter à Internet. Or intégrer un tel système est le plus souvent payant, entre 5 et 30 euros par mois selon les sites et le niveau de service (qualité de débit notamment). C’est nettement plus que les quelques euros mensuels qu’auraient pu verser les internautes au titre d’une licence globale, la solution défendue depuis toujours par l’UFC-Que Choisir ! En échange de ce forfait mensuel, les internautes auraient pu télécharger légalement et en illimité sur Internet, l’industrie du disque bénéficiant quant à elle d’une importante source de revenus. Avec l’Hadopi, c’est un réseau parallèle de pirates qui gagne désormais confortablement sa vie.

1. Source Snep (Syndicat national de l’édition phonographique), bilan économique 2009.

Camille Gruhier

Camille Gruhier

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