BILLET DE LA PRÉSIDENTE

Responsabilité des banquesVictoire judiciaire pour les consommateurs

Marie-Amandine Stévenin

par Marie-Amandine Stévenin

Deux décisions rendues ce 12 juin 2025 par la chambre commerciale financière et économique de la Cour de cassation méritent d’être saluées haut et fort : elles consacrent une avancée essentielle pour la protection des consommateurs et rappellent fermement aux banques leurs responsabilités.

Dans une première affaire (N°24-13.777) (1), la Cour de cassation rappelle que la négligence ne se présume pas. En l’espèce, une petite entreprise victime d’une escroquerie téléphonique s’est vue soutirer près de 98 000 € par un escroc se faisant passer pour un technicien de la BNP Paribas. Malgré ses protestations, la banque refusait tout remboursement, arguant d’une prétendue « négligence grave » de la salariée. Aux visas des articles L.133-16, L.133-18, L.133-19, et L.133-23 du Code monétaire et financier, la Cour d’appel a considéré que la banque ne démontrait pas de négligence grave. Or, comme l’a justement retenu la Cour de cassation, la seule transmission d’informations confidentielles ne suffit pas à établir une négligence grave. L’arrêt souligne la manipulation habile de l’escroc : usurpation du numéro de la banque (spoofing), discours rassurant… Autant d’éléments qui ont pu tromper même un utilisateur vigilant. La Cour rappelle donc une exigence fondamentale : c’est à la banque qu’il appartient de démontrer concrètement la négligence du client – une exigence qui n’a pas été remplie en l’espèce. Résultat : pourvoi rejeté, et la banque condamnée. Bien que cet arrêt concerne une entreprise et non un consommateur, celui-ci va dans le sens souhaité par l’UFC Que-Choisir concernant la protection des victimes de fraudes face à l’arbitraire bancaire.

À retenir : pour opposer valablement un refus de remboursement d’une opération de paiement non autorisée, la banque doit prouver la négligence grave. En cas d’escroquerie par téléphone où l’escroc se fait passer pour un préposé de la banque avec substitution du numéro de téléphone, la négligence ne peut pas être imputée au titulaire du compte au sens de l’article L.133-19, IV, du Code monétaire et financier.

Dans la seconde affaire, la Cour de cassation rappelle le devoir de vigilance bancaire renforcé sur les comptes de mineurs (N°24-13.604) (2) au visa de l’article 389-5 (dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015), de l’article 505 (dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2022-267 du 28 février 2022 du Code civil) et de l’annexe 1 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008. Lorsqu’un parent administre les comptes d’épargne de ses enfants mineurs, il ne peut agir seul pour effectuer des actes de disposition importants, comme 3 virements de 5 000 €. Pourtant, c’est ce qu’a permis une caisse du Crédit Mutuel, en laissant un père transférer à son entreprise, sans contrôle, l’épargne de ses enfants. La Cour de cassation rappelle que les deux parents doivent donner leur accord pour tout acte de disposition sur l’épargne d’un enfant mineur, ou à défaut, obtenir une autorisation du juge des tutelles. En laissant faire sans vérification, la banque a failli à son devoir de vigilance. Là encore, le pourvoi est rejeté et la banque est condamnée.

Enfin, dans 2 autres arrêts datés du même jour (Cass.com., 12 juin 2025 N°24.13-697 et 24-10.168) (3) et (4) la Cour de cassation a précisé sa jurisprudence pour les dirigeants de sociétés victime de fraude au président : l’escroc se fait passer pour un dirigeant d’entreprise afin d’ordonner des virements urgents et confidentiels. Cette escroquerie repose sur la pression psychologique, l’usurpation d’identité et peut causer de lourdes pertes. D’après la jurisprudence, les opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées relèvent exclusivement du régime spécial des articles L.133-18 et suivants du Code monétaire et financier. Certaines jurisprudences sont allées plus loin, considérant que l’exclusivité devait s’imposer dès que nous sommes en présence d’une opération de paiement. La Cour de cassation précise ne pas partager cette position : s’agissant de virements autorisés, si la responsabilité de la banque ne pouvait pas être recherchée au visa des articles L.133-18 et L.133-23 du Code monétaire et financier, elle pouvait l’être en cas de manquement à son obligation de vigilance. La Cour considère qu’un virement effectué à la suite d’une fraude au président est une opération autorisée. La responsabilité de la banque peut être engagée au travers de son obligation de vigilance si elle n’effectue pas de vérifications afin de déceler les anomalies apparentes. Le principe d’exclusivité (article 133-18 et suivants du Code monétaire et financier) n’est alors pas applicable dans ce cas.

Ces arrêts envoient un message clair : les établissements bancaires ne peuvent fuir leurs obligations de vigilance, qu’il s’agisse de protéger les clients face à la fraude ou les enfants mineurs. Ces jurisprudences responsabilisent les banques et protègent les consommateurs.

En tant que Présidente de l’UFC-Que Choisir, je ne peux manquer de saluer ces arrêts protecteurs des droits des consommateurs. Loin de constituer des cas isolés, ces affaires illustrent un rapport de force souvent déséquilibré entre consommateurs et banquiers. Ces décisions viennent heureusement rétablir l’équilibre et rappellent que la vigilance, c’est avant tout aux professionnels d’en faire preuve. Notre engagement reste entier pour que le droit des consommateurs prime sur les pratiques opaques des professionnels.

Marie-Amandine Stévenin

Marie-Amandine Stévenin

Présidente de l'UFC-Que Choisir

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