
par Marie-Amandine Stévenin
par Marie-Amandine Stévenin
Après avoir fait preuve d’obstruction face aux pouvoirs publics, aux autorités de contrôle et même face à la Commission d’enquête sénatoriale, Nestlé tente, désormais, l’obstruction judiciaire contre l’UFC-Que Choisir.
Alors que, dans le cadre de notre procédure en référé introduite le 5 juin dernier à son encontre, l’affaire devait être plaidée lors de l’audience du Président du Tribunal judiciaire de Nanterre de ce mercredi 9 juillet, le « feuilleton Perrier » va continuer…
En effet, le géant Nestlé a attendu le dernier moment pour répondre aux arguments de l’UFC-Que Choisir… et cela en lui communiquant… par la même occasion… près de 5 000 pages de pièces !
Nestlé qui a également été rejointe à la procédure par le Syndicat CGT des employés et ouvriers de la Source Perrier, et cela suivant des conclusions et des pièces transmises à quelques heures de l’audience… Intervention qui, d’ailleurs, m’interpelle singulièrement car comme tout syndicat affilié à la CGT, nombre des membres de ce nouveau soutien déclaré de Nestlé sont aussi membres de l’Association INDECOSA CGT. Or, cette Association fondée par la CGT, est, comme l’UFC-Que Choisir, agréée pour la défense des intérêts des consommateurs… N’est-ce pas là, malgré les préoccupations légitimes des salariés concernés compte tenu de l’ampleur et de la gravité du scandale, un peu curieux ? Je note en tout cas que la CFE CGC Nestlé, à savoir le syndicat des cadres et agents de maîtrise de l’entreprise, vient, elle, de féliciter la démarche de la CGT par communiqué… alors qu’un autre Syndicat de l’entreprise, à savoir FO, a lui récemment, et courageusement, dénoncé les dissimulations de Nestlé et invité son entreprise à faire la lumière sur la situation sanitaire des sites Perrier…
Quoiqu’il en soit, tout a donc été fait pour provoquer le report de l’échéance judiciaire, qui a ainsi été nouvellement fixée à une audience prévue le 24 septembre prochain.
Pour rappel, à l’occasion de cette affaire, une enquête de la cellule investigation de Radio France et Le Monde puis un rapport d’une Commission d’enquête sénatoriale de mai 2025 ont, avec d’autres révélations faites depuis au grand public, établi que Nestlé a eu recours et continue de recourir à des traitements non autorisés sur, en particulier, ses eaux Perrier…
Des eaux pourtant toujours disponibles sur le marché et vendues aux consommateurs comme « eaux minérales naturelles » alors qu’elles n’en sont pas. Des encarts Nestlé diffusés depuis mi-juin 2025 dans la presse et affichés en fond de rayonnages de quelques rares commerces physiques (rien sur les sites marchands en ligne naturellement…) le reconnaissent d’ailleurs :
« Si les bouteilles de Perrier® sont sûres d’un point de vue sanitaire, leur appellation est temporairement susceptible de ne pas être conforme à la réglementation des eaux minérales naturelles selon l’administration. »
Un bien faible message à destination des consommateurs, sans compter sa maigre diffusion, au regard de l’ampleur de la fraude : les consommateurs sont, depuis des années, et encore aujourd’hui, les victimes d’une vaste tromperie inacceptable puisqu’ils achètent, à prix d’or, et consomment, en raison de leurs supposés bienfaits pour la santé, des eaux « minérales naturelles » qui ne peuvent qu’être qualifiées de boissons ou d’eaux rendues potables par traitements.
Pire, s’agissant justement de la question sanitaire évoquée non sans audace par Nestlé dans ses récentes déclarations, les mêmes éléments que ceux que j’ai évoqués plus tôt conduisent, au contraire de ce que le « minéralier » prétend, à singulièrement s’interroger sur l’innocuité des eaux mises en cause : la source Perrier n’est manifestement plus originellement pure ; les eaux ont été atteintes, notamment, par des contaminations bactériologiques et des pollutions physico-chimiques ; et les traitements, illicitement appliqués par Nestlé, pourraient ne pas garantir la sécurité alimentaire.
D’ailleurs, en fin de semaine dernière, pour tenter de sauver son appellation « eaux minérales naturelles », Nestlé a fait savoir qu’elle n’allait plus exploiter que deux puits parmi ses nombreux points de captages du Gard et, à l’occasion d’une vaste campagne de communication par voie de presse, a affirmé avoir pris des mesures pour retirer le dernier dispositif illicite mis en place, à savoir une microfiltration à 0,2 µm, au profit d’un autre dispositif, une microfiltration à 0,45 µm. Or, sans même parler du fait que la légalité de ce nouveau traitement appliqué par Nestlé n’est absolument pas acquise, je ne peux là encore que m’interroger : déjà que l’usage du premier procédé de microfiltration à 0,2 µm n’apportait, jusqu’ici, qu’un faux sentiment de sécurisation de la qualité de leurs eaux (bien qu’à finalité désinfectante, il a été reconnu comme imparfait…), le nouveau dispositif emporte nécessairement, puisque moins filtrant, une moindre élimination des bactéries et micro-organismes pathogènes pouvant être présents dans ces eaux !
Mais que font les pouvoirs publics ? Attendent-ils une crise sanitaire à l’instar de celle qui est survenue, en 2016, en Espagne, s’agissant précisément d’« eaux minérales naturelles » microfiltrées, et qui avait touché plus de 4 000 consommateurs ?
Je ne peux, vu l’attentisme de certains, que saluer la perquisition de la DGCCRF enfin effectuée aujourd’hui au siège de Nestlé France !
Faut-il encore rappeler qu’une eau minérale naturelle se doit d’être pure et microbiologiquement saine dès l’origine, à la source ? Qu’un exploitant ne peut appliquer aucun traitement s’il n’y est autorisé par la réglementation et les autorisations préfectorales qui conditionnent ses exploitations ? Que de telles autorisations ne sauraient être données si les traitements désinfectent ou modifient le microbisme naturel des eaux, et, plus que tout, que la sécurité due aux consommateurs doit primer sur le reste ?
En tout cas, une chose est sûre pour moi : le report judiciaire n’entache en rien la détermination de l’UFC-Que Choisir à protéger, dans cette affaire, les intérêts sanitaires et économiques des consommateurs. Les dernières annonces de Nestlé, savamment orchestrées mais qui ne règlent rien, ne tromperont personne et j’en appelle, tant aux pouvoirs publics qu’à l’ensemble des salariés de cette entreprise, à la contraindre d’avoir à rendre des comptes.
Marie-Amandine Stévenin
Présidente de l'UFC-Que Choisir
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