L’UFC-Que Choisir appelle les autorités à sanctionner les interfaces trompeuses
Alors que les consommateurs effectuent de plus en plus d’achats en ligne, l’UFC-Que Choisir publie aujourd’hui une étude exclusive révélant l’étendue des stratégies, voire manipulations, auxquelles se livrent les entreprises d’e-commerce sur leurs interfaces numériques pour influer sur les actes des consommateurs. Déplorant ces pratiques – pourtant désormais explicitement interdites par la réglementation européenne – utilisant les biais cognitifs des consommateurs à des fins purement mercantiles, notre association signale à la DGCCRF l’ensemble des pratiques contestables qu’elle a relevées et lui demande de les sanctionner.
Les dark patterns : des interfaces numériques trompeuses conçues pour exploiter les biais cognitifs des consommateurs
Alors que les consommateurs s’efforcent de prendre des décisions d’achat librement consenties et éclairées, leur temps et leur capacité de discernement sont parfois limités. Ils obéissent, souvent de manière inconsciente, à des réflexes psychologiques pour prendre leurs décisions. Ces biais cognitifs, inhérents à l’être humain, peuvent être exploités par les places de marché pour contraindre, orienter ou tromper les consommateurs afin qu’ils prennent des décisions qu’ils n’auraient pas prises sans ces procédés manipulatoires. Par exemple, une plateforme proposant une offre optionnelle lors d’un achat en ligne (produits supplémentaires, assurance, etc.) peut concevoir les fonctionnalités de son interface de sorte que le consommateur pense, en cliquant, valider son seul achat alors qu’il ajoute une option. Les exemples où le consommateur est ainsi piégé sont légion.
Ainsi, les consommateurs peuvent finir par payer plus que nécessaire, acheter des produits inadaptés à leurs besoins ou parfois même non voulus, ou encore « consentir » à divulguer davantage de données personnelles que nécessaires. Ces pratiques sont appelées des dark patterns, ou procédés manipulatoires. Elles participent indéniablement à la surconsommation, et sont dès lors les ennemis d’une consommation responsable.
Les dark patterns sont interdits sur les places de marché en ligne
Le règlement européen sur les services numériques (DSA) interdit explicitement l’utilisation de dark patterns sur les plateformes en ligne, y compris les places de marché. Cette interdiction s’applique en France depuis le 17 février 2024. Afin de vérifier le respect de cette nouvelle réglementation, l’UFC-Que Choisir a étudié la présence de dark patterns sur les 20 places de marché les plus fréquentées (1).
Trois Français sur quatre consultent au moins une de ces places de marché chaque mois.
Malgré leur interdiction, toutes les places de marché utilisent des dark patterns
Le résultat est sans équivoque : les 20 places de marché examinées par l’UFC-Que Choisir utilisent toutes des dark patterns. Les interfaces trompeuses les plus courantes incluent des conceptions visuelles manipulatrices, l’obligation de créer un compte client, des prix barrés trompeurs, des incitations répétitives, ou encore des messages de stock limité (piège de l’urgence) dont la pertinence est totalement invérifiable.
La plateforme chinoise Temu arrive en tête avec le plus grand nombre de dark patterns présents sur son site et dans son application. Elle a d’ailleurs fait l’objet d’une plainte par notre association, devant l’Arcom (2), notamment sur ce fondement (3). On y rencontre par exemple des pratiques douteuses d’affichage de prix : lors d’une promotion, les prix des articles sont masqués, et ce n’est qu’au moment où le consommateur ajoute un article à son panier qu’il est informé de son prix.
Temu est suivie dans notre classement par AliExpress, une autre plateforme chinoise, puis la plateforme américaine Amazon et la française Veepee.
Parmi les dark patterns relevés sur AliExpress, on trouve des publicités qui se fondent si bien dans l’interface qu’il devient difficile de les distinguer des offres authentiques présentées après recherche sur la page dédiée aux résultats. On y constate également des allégations non vérifiables affirmant par exemple que « +10 000 articles » ont été vendus.
Veepee, quant à elle, utilise par exemple l’application de paramètres par défaut de manière particulièrement confusante : la succession de deux cases à cocher associée à une double sémantique donnent faussement l’impression au consommateur qui ne souhaite pas être pisté ni démarché par ce professionnel qu’il n’a aucune action à entreprendre, alors qu’en réalité, il doit laisser la première case décochée avant de devoir cocher la seconde.
Les sites d’e-commerce chinois, souvent fustigés pour leurs nombreuses atteintes à la protection des consommateurs, ne sont donc pas les seuls à avoir recours de manière considérable aux dark patterns, même s’ils se distinguent par la fréquence et le caractère particulièrement envahissant de ces procédés pouvant constituer des pratiques déloyales, voir trompeuses.
Soucieuse de garantir que les consommateurs puissent effectuer des choix non biaisés, l’UFC-Que Choisir saisit la DGCCRF et la Commission européenne pour les alerter sur les dérives des professionnels, initier des enquêtes complémentaires et sanctionner ces pratiques inadmissibles afin d’assurer le strict respect de l’interdiction des dark patterns désormais prévue par le DSA.
En tout état de cause, l’UFC-Que Choisir demeurera vigilante durant les prochains mois et ne manquera pas d’agir en justice en cas de persistance de telles pratiques.
(1) L’UFC-Que Choisir a analysé les sites web et applications mobiles des 20 principales places de marché présentes sur le marché français, selon les classements de la Fevad et de Similarweb : Airbnb, AliExpress, Amazon, Booking.com, Carrefour, Cdiscount, Decathlon, E.Leclerc, eBay, eDreams, Expedia, Fnac, Leboncoin, Leroy Merlin, ManoMano, Rakuten France, SHEIN, Temu, Veepee, Vinted. Baromètre de l’audience du e-commerce : 3ème trimestre 2023, Fevad, 2023 ; Classement des sites les plus populaires : Sites web « Marketplace » et « Accomodation & Hotels » les plus consultés en France, Similarweb, 2023.
(2) Plusieurs autorités se partagent la responsabilité de l’application du DSA. L’Arcom, en tant que coordinatrice nationale des services numériques, est chargée de superviser le respect du DSA par les services numériques établis en France, en lien avec la DGCCRF et la CNIL. La DGCCRF est l’autorité responsable de contrôler le respect des obligations des fournisseurs de places de marché. La CNIL est compétente pour vérifier le respect des limitations imposées en matière de profilage publicitaire par les plateformes. À l’échelle européenne, la Commission européenne veille au respect du DSA par les très grandes plateformes opérant dans plusieurs États membres de l’UE.
(3) Temu : Plainte pour non-respect du DSA, UFC-Que Choisir, 2024, https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-temu-plainte-pour-non-respect-du-dsa-n123230/.