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AgroalimentaireDu rififi chez Big Food

YS

par Yves Sciama

Ses ventes menacées par la nouvelle classe de médicaments anti-obésité, les aGLP-1, l’industrie agroalimentaire prépare sa riposte.

Ces temps-ci, l’industrie agroalimentaire s’inquiète pour son avenir. La cause de son trouble n’est ni l’explosion de l’obésité, qui touche désormais un milliard de Terriens, ni celle du diabète et des autres pathologies métaboliques, aux chiffres aussi catastrophiques. Non, la question qui taraude les stratèges de Big Food, c’est de savoir comment tirer leur épingle du jeu face à une révolution qui s’annonce. Celle des aGLP-1, ces médicaments anti-obésité de nouvelle génération, comme le sémaglutide, commercialisés entre autres sous les noms de Mounjaro et de Wegovy.

Si ce bouleversement n’est pas toujours perceptible par le grand public, c’est que les phénomènes exponentiels commencent à bas bruit, mais n’en déferlent pas moins par la suite. Et tout indique que l’usage de ces substances va s’envoler. Aux États-Unis, le sémaglutide est devenu, cette année, la molécule la plus prescrite, avec 7 millions de patients traités. D’ici à 2030, son chiffre d’affaires devrait décupler et atteindre 150 milliards de dollars. Le reste du monde suit la même courbe ascendante.

Des propriétés contrariantes

Ces traitements boostent l’action d’une hormone intestinale de la satiété (le GLP-1, justement), laquelle agit sur les circuits neuronaux de la récompense et de l’addiction. Si leurs effets secondaires demeurent mal connus, « leur efficacité semble bien réelle », note Serge Hercberg, professeur de nutrition à Sorbonne Université. Et surtout, ils ont des propriétés qui contrarient Big Food. En effet, non contents de faire perdre du poids, « les aGLP-1 modifient aussi le goût et les préférences de certains patients, les détournant des produits trop gras, sucrés et ultratransformés », explique le chercheur. Et d’ajouter : « Sans que l’on comprenne clairement par quels mécanismes, ils recherchent davantage les aliments frais, les viandes maigres, voire éprouvent du dégoût pour la nourriture industrielle. » Malheur ! On imagine l’effroi de Big Food à l’idée de voir s’étioler l’addiction à ses produits, fruit de décennies de recherches. Or, la menace a l’air sérieuse. Une étude a montré que les dépenses alimentaires des personnes sous aGLP-1 se contractaient de 11 %, et se réorientaient vers des denrées brutes, donc générant moins de marge pour les fabricants.

Nouvelle clientèle, nouveaux produits

Si l’industrie agroalimentaire se montre incapable, depuis 30 ans, d’enrayer la flambée des maladies chroniques qu’elle a générée, elle est décidée à riposter à la « menace » aGLP-1. La plupart des firmes se mettent en ordre de bataille. Avec un but affiché : concevoir des produits à vendre à cette nouvelle clientèle. Et là, elles rivalisent déjà d’imagination. Des gammes destinées aux patients sous aGLP-1 sont en train de voir le jour. Par exemple, Healthy Choice, de Conagra, ou Vital Pursuit, de Nestlé, qui proposent des portions plus petites, allégées en sucres et graisses, ou boostées en protéines, nutriments ou fibres, afin de prévenir les carences parfois induites par les traitements.

Surtout, selon le New York Times, les laboratoires d’innovation alimentaire (auxquels les grands groupes sous-traitent une bonne part de leur recherche) bruissent déjà de nouvelles expérimentations. On y concocte des mixtures aux saveurs d’agrumes ou de fruits rouges, très appréciées des utilisateurs d’aGLP-1. Et il y a fort à parier que des composés contournant l’effet de satiété de ces derniers finissent par sortir de leurs éprouvettes. Nul doute que Big Food trouvera toujours le moyen de nous rendre encore plus accros… en augmentant ses profits au passage.

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Yves Sciama

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