Fabienne Maleysson
Guerlain pousse le bouchon avec sa crème quantique
Le lancement d’une « crème quantique » assorti d’un discours marketing pseudo-scientifique encore plus discutable qu’à l’accoutumée a valu à la firme une contre-publicité d’une ampleur exceptionnelle.
Découvertes révolutionnaires et prodiges de la nature sublimés par de brillants chercheurs émaillent l’histoire de la pub de produits cosmétiques. Comme on le sait, ces slogans cachent une réalité moins glamour : l’élixir de jeunesse reste une chimère et la beauté ne s’achète pas au supermarché, ni dans les boutiques de luxe. Nous avons dénoncé à maintes reprises les exagérations et approximations des fabricants, nos constats les plus récents concernant les produits antitaches. Dans ce contexte, la nouveauté de Guerlain a beau être la risée d’Internet depuis quelques jours, sa pub ne fait que pousser le bouchon un peu plus loin que les autres.
La marque, qui appartient au groupe LVMH, vient de lancer deux produits, une crème et un sérum, sous le nom de Orchidée impériale gold nobile, ce qui fait beaucoup de références au luxe… Cohérent avec le prix : 650 € le pot de 50 ml, soit 13 000 €/litre pour la crème ; 650 € les 30 ml, soit 21 666 €/litre pour le sérum. Déraisonnable ? Bien sûr. Mais les fabricants exploitent sans vergogne les biais cognitifs qui entourent l’acte d’achat. En l’occurrence, dans le secteur du luxe, un prix faramineux, et pas seulement élevé, constitue souvent une stratégie gagnante.
Réjuvénation de la peau
Mais c’est surtout le discours publicitaire qui a fait parler de lui. Guerlain prétendait en effet avoir fait une découverte majeure dans le champ de la « biologie quantique » et avoir inventé une technologie qui « aide à restaurer la lumière quantique d’une cellule jeune et amplifie la réjuvénation de la peau ». Enfin, ça, c’est ce que le site racontait, entre autres allégations extravagantes, avant qu’un Youtubeur, G Milgram, n’interroge une flopée de scientifiques. Tous témoignent anonymement, sans doute parce que la place des entreprises privées dans le financement de la recherche dissuade de se fâcher avec un acteur aussi puissant que LVMH. Mais l’unanimité se fait sur le constat : ces allégations, typiques de la « communication pseudo-scientifique classique » n’ont « aucun sens ». La vidéo est vue par près de 300 000 internautes, le mauvais buzz s’emballe, les commentaires ironiques se multiplient (notre préféré : « Je viens de débourser 650 € pour cette crème quantique et l’effet est immédiat, je suis de nouveau à découvert comme lorsque j’étais étudiant. »), Guerlain ne peut que réagir. Mais les modifications apportées au discours déployé sur son site donnent l’impression que la firme s’est fait prendre en flagrant délit de mensonge, ses explications empruntées sur X (ex-Twitter) n’ont rien de convaincant et sa demande de retrait de la vidéo ternit encore son image. Depuis, G Milgram en a publié une seconde commentant lesdites explications et, sans surprise, les scientifiques interrogés en arrivent aux mêmes conclusions. Sans compter que les chercheurs de l’université partenaire se désolidarisent de l’utilisation faite de leur travail.
Blabla publicitaire
Cela dit, même si la référence à l’aspect quantique n’a aucun sens, est-ce qu’elle marche, au moins, cette crème ? D’après notre expérience, il y a toutes les chances que non, tous nos tests de produits antirides s’étant jusqu’ici conclus par un zéro pointé, mais on peut toujours rêver. Le site l’assure, elle « amplifie 10 signes de jeunesse et ravive 6 facteurs de lumière ». À savoir, pour les premiers : rides, ridules, aspect lisse, rebond, fermeté, élasticité, densité, effet lift, finesse, vitalité, et pour les seconds : luminosité, éclat, homogénéité, taches, transparence, clarté de la peau. Ceux qui ont l’impression que tout cela se recoupe beaucoup et relève surtout du blabla publicitaire n’ont pas conscience de tout ce qu’on perd en vieillissant…
À noter que la crème et le sérum n’agissent pas sur les mêmes facteurs si bien qu’il est conseillé d’utiliser les deux. Car « l’association du sérum et de la crème est le parfait rituel prodigieux. Ces deux soins complémentaires optimisent les performances anti-âge et lumière [sic] les plus avancées. Leurs luxueuses textures fusionnent délicatement avec la peau pour l’envelopper d’une aura d’or et de lumière ». Comme dans Ne me quitte pas de Jacques Brel. Est-ce une supplique subliminale aux futures clientes déçues de la marque ?
Toujours est-il que nous avons demandé à Guerlain de nous fournir les études à l’appui des allégations. Habituellement, les fabricants font au moins semblant, ils nous envoient un vague résumé, une esquisse de graphique. Certains nous font même parvenir l’intégralité du protocole et des résultats. Là, rien. Juste un renvoi à ce que l’on peut déjà trouver sur le site, histoire qu’on ne puisse pas dire que le fabricant a refusé de nous répondre. Que l’entreprise à l’origine d’une découverte aussi révolutionnaire ne soit pas enthousiaste à l’idée de fournir les preuves de ses résultats a de quoi laisser perplexe.
Cela dit, la transparence ne semble pas être son fort. En témoigne notamment le fait que les listes d’ingrédients des produits vendus sur le site ne sont pas affichées à proximité immédiate ni même facilement accessibles via un bouton bien en évidence, mais perdues au détour d’une page. Comme si l’information des consommatrices n’était qu’un enjeu secondaire.