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Crédit immobilier

Des annonces qui ne vont pas rouvrir les vannes

Prorogation du dispositif de mensualisation du taux d’usure, prolongation du prêt à taux zéro : ces mesures annoncées par le gouvernement permettront-elles de relancer les ventes de logement ? Sans doute pas suffisamment, en tout cas à court terme.

Depuis plusieurs mois maintenant, le marché immobilier fonctionne au ralenti, avec un effondrement du nombre de transactions. Les acquéreurs potentiels sont en effet coincés entre deux phénomènes simultanés : une forte hausse des taux des prêts immobiliers alors que les prix des biens ne fléchissent que légèrement. Conséquence : une perte considérable de pouvoir d’achat immobilier pour les consommateurs en un an et demi. Il faut aujourd’hui augmenter d’environ 20 % le montant des mensualités de remboursement du crédit pour acquérir le même bien qu’hier ! En tout cas tant que les prix des biens ne s’aligneront pas.

Mais ce n’est pas tout. Bien que les taux des prêts immobiliers progressent, les banques estiment toujours ne pas y trouver leur compte. Selon elles, en prêtant aujourd’hui autour de 3 à 4 %, elles perdent de l’argent (les banques se refinancent elles-mêmes sur le marché interbancaire). Du coup, la plupart n’accordent plus que des crédits au compte-goutte, certaines refusant même carrément tous les dossiers des primoaccédants, selon certains courtiers.

Prorogation de la mensualisation du taux d’usure : nécessaire, mais insuffisant

Dans ce contexte, l’annonce par le gouvernement de la prorogation de la mensualisation du taux d’usure doit permettre aux banques de remonter plus rapidement leur taux pour les inciter à rouvrir les vannes du crédit. Le taux d’usure est fixé par la banque de France en tenant compte des taux constatés sur le marché du crédit les mois précédents. Les banques ne peuvent prêter au-delà de ce montant.

Dans un contexte de forte hausse des taux comme c’est le cas actuellement, cela entraîne mécaniquement un grand nombre de dossiers à dépasser le taux d’usure. Auparavant revu tous les trimestres, ce taux d’usure est depuis peu révisé tous les mois, ce qui permet de l’actualiser trois fois plus rapidement. Le gouvernement vient donc de décider de poursuivre cette mensualisation du calcul du taux d’usure. Nécessaire pour réduire le nombre de dossiers recalés. Mais insuffisant pour relancer le marché du crédit immobilier, selon de nombreux experts. À l’instar de Patrick Cuvelier, courtier pour la société ICF Prêts immobiliers : « Je vois bien que l’actualisation mensuelle du taux d’usure ne suffit pas aujourd’hui pour inciter massivement les banques à prêter. Comme le taux d’usure est calculé sur le taux moyen des prêts accordés le mois précédent, ce taux subit un effet de latence. Les prêts accordés le mois précédent sont en effet souscrits à des taux accordés sur des dossiers décaissés, c’est-à-dire remontant à 2 ou 3 mois environ ! Les banques ne manquent ainsi pas d’indiquer qu’en période de forte hausse, elles perdent de l’argent. Visiblement, elles préfèrent aujourd’hui ralentir leur production de crédit immobilier, plutôt que d’avoir une branche déficitaire. Pour rouvrir réellement les vannes, il faudrait ainsi revoir exceptionnellement le mode de calcul du taux d’usure pour permettre une bonne fois une hausse réellement incitative (ce taux serait vraisemblablement aujourd’hui autour de 5 %), avec bien sûr toutes les garanties autour de cette mesure. »

Le courtier ajoute néanmoins que la situation du crédit reste encore variable selon les régions. Dans les territoires les plus favorisés notamment, les vannes du crédit sont malgré tout plus ouvertes qu’ailleurs. À condition d’afficher un maximum de garanties : un apport (jusqu’à 10 % du prix de vente, plus les frais), domiciliation des salaires et de l’épargne, souscription de l’assurance habitation et produits annexes comme la protection juridique ou autres placements et services.

Maintien du prêt à taux zéro, coup de pouce utile pour certains

Autre annonce du gouvernement : le prêt à taux zéro (PTZ) qui devait disparaître fin 2023 sera maintenu jusqu’en 2027. Certes avec des aménagements : ce prêt réservé à l’achat de sa résidence principale devrait se limiter à l’acquisition d’un logement neuf en collectif (c’est-à-dire pas une maison) dans les zones tendues, et dans les zones détendues, à l’achat dans l’ancien avec travaux. Ces orientations sont clairement motivées par des préoccupations environnementales : privilégier les logements collectifs sur les maisons afin de réduire l’artificialisation des terres en périphérie et pousser les acheteurs à investir dans les passoires thermiques pour les rénover. « Emprunter à taux zéro redevient intéressant aujourd’hui, avec l’augmentation des taux. Pour certains primoaccédants, cela peut leur permettre de financer jusqu’à 40 % de leur bien à taux zéro », souligne Patrick Cuvelier.

Ce dernier insiste en revanche sur une autre grande lacune dans les annonces du gouvernement : aucune révision de la méthode de comptabilisation des loyers dans le calcul du taux d’endettement, en cas d’investissement locatif. Le Haut conseil de stabilité financière (HCSF) a, l’année dernière, imposé l’application de la méthode additionnelle (au lieu de la méthode différentielle), qui diminue le montant des loyers pris en compte dans le calcul des revenus pour établir le taux d’endettement. Ce qui a encore réduit le nombre de candidats potentiels à l’investissement locatif.

En outre, le HCSF impose depuis 2020 un taux d’endettement limite de 35 % pour tous les dossiers, y compris pour les dossiers d’investissement locatif. Des banques pratiquaient déjà cette méthode additionnelle de prise en compte des loyers, comme la BNP ou la Société générale, mais toléraient des taux d’endettement pouvant aller jusqu’à 45 %. C’est devenu aujourd’hui impossible. Nous avions alerté dès 2020 sur ce risque dont nous constatons aujourd’hui les conséquences négatives.

Élisa Oudin

Élisa Oudin

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