Erwan Seznec
Encore du rouge pour Orange
L'opérateur Orange est condamné pour vente liée par le tribunal de commerce de Paris. Il devra laisser ses concurrents Neuf et Free diffuser les matches de L1 dont il avait acquis les droits exclusifs l'an dernier. Le Conseil de la concurrence est par ailleurs chargé d'une réflexion plus large sur les exclusivités audiovisuelles en général.
C'est ce qu'on appelle « encaisser un but dans les arrêts de jeu ». Orange pensait avoir soigneusement verrouillé pour 4 ans une tactique de conquête de parts de marché utilisant le championnat de foot de Ligue 1 comme produit d'appel. Las, le tribunal de commerce de Paris a mis son montage à terre dans un jugement prononcé le 23 février, sur plainte de Free et Neuf. Rappel du match aller : l'an dernier, Orange, filiale de France Télécom, emporte un « lot » proposé au plus offrant par la Ligue de football professionnel (LFP). Et pas n'importe lequel, puisqu'il s'agissait des 38 rencontres de Ligue 1 du samedi soir pour les saisons 2008-2012. Rien que de classique dans le monde du foot, à ceci près qu'Orange Sport, créée en août dernier, est avant tout la chaîne d'un fournisseur d'accès à Internet (FAI). Elle est uniquement commercialisée dans le cadre d'une offre « triple play » : téléphonie, Internet et TV.
Vente liée
Le dessein d'Orange était limpide. Si vous voulez vos matchs, vous vous abonnez à notre chaîne et donc à notre offre haut-débit. En vous désabonnant le cas échéant de Free ou Neuf, puisqu'il est impossible de faire passer plus d'un abonnement par une seule ligne ! Les opérateurs concurrents, agacés par la manoeuvre, ont saisi le tribunal. Motif invoqué, Orange fait de la vente liée. Une chaîne a le droit d'acheter une exclusivité à la LFP, mais il est anormal que l'accès à cette chaîne soit subordonné à un abonnement complet au haut-débit. Et inutile de brandir des arguments techniques : Orange Sport peut facilement être diffusé par les autres FAI. Le tribunal de commerce a suivi l'argumentation de Free et de Neuf, dont les deux plaintes avaient été jointes. D'ici 1 mois, sous astreinte de 50 000 euros par jour, France Télécom ne pourra plus refuser à ses deux concurrents le droit de diffuser Orange Sport. L'audience de la chaîne s'en trouvera ainsi augmentée, mais c'est une maigre consolation. Si l'opérateur a payé très cher (203 millions d'euros), c'est pour avoir un produit en exclusivité sur son offre haut-débit. Il est libre de faire appel de la décision, mais celui-ci ne sera pas suspensif.
Chantage
Concrètement, la décision ne change rien pour les abonnés d'Orange Sport. Ils continueront de voir leurs matchs du samedi soir. Ceux de Free et de Neuf assisteront peut-être bientôt au même spectacle, si France Télécom ne trouve pas d'échappatoire technique ou juridique.
Sur le fond, la décision est a priori bienvenue pour les consommateurs. Elle met un frein à une forme de plus en plus fréquente de chantage à l'exclusivité. Vous voulez un iPhone ? Abonnez-vous chez Orange ! Là encore, la justice a donné tort à l'opérateur fin 2008.
En matière de foot et de télé, le problème est tout de même particulièrement épineux. Avant l'entrée d'Orange dans la partie, la Ligue n'avait guère qu'un client potentiel pour la L1 : le groupe Vivendi, propriétaire de Canal+, de TPS et de ...Neuf. Canal + a d'ailleurs obtenu une exclusivité sur l'essentiel du championnat français pour la période 2005-2008, ce qui lui a permis de gagner des dizaines de milliers d'abonnés. Mais Canal + est une chaîne de télévision, et non d'un FAI, donc pas de vente liée à lui reprocher.
Exclusivités à gogo
L'omniprésence de ces opérateurs friands d'exclusivités finit par inquiéter. En décembre, les députés ont adopté un article en forme de gifle à Orange, lors de la discussion du projet de loi sur la communication audiovisuelle. Il stipulait que « la commercialisation d'une offre de services par communication audiovisuelle par voie électronique éditée par un opérateur [...] ne peut être réservée aux seuls abonnés aux offres d'accès à Internet de ce même opérateur. » Le Sénat a retoqué l'article le 16 janvier, avec l'appui du gouvernement. Non parce qu'il allait trop loin, mais parce qu'il visait seulement les FAI, laissant de côté les bouquets de chaînes par satellite, notamment. La ministre de la culture, Christine Albanel, a précisé que le Conseil de la concurrence avait été saisi et qu'il allait réfléchir à l'encadrement de toutes ces exclusivités. Le sujet est également d'actualité en Grande-Bretagne, ou BskyB domine outrageusement le marché des retransmissions.
Et le football, dans tout ça ? Lyon prend de l'avance au classement de L1 et les amateurs suivent avec intérêt la tentative de sauvetage par Luis Fernandez de l'équipe de Reims (L2), dont les matches, ironie du sort, intéressaient bien peu jusqu'à présent les télévisions...