Elsa Casalegno
Des flots de promesses
Une nouvelle eau en bouteille, Ôdeep commercialisée par la société Ocean Fresh Water, annonce qu’elle contient des « éléments marins régénérants » composés d’un « cocktail » de minéraux et d’acides aminés. Un discours marketing bien huilé pour vendre une eau, au contraire, pauvre en ces éléments.
Boire de l’eau pompée à 300 mètres de profondeur dans la Méditerranée et embouteillée à bord d’un bateau-usine, ça vous tente ? A priori non. Comme l’explique le site Internet de la marque Ôdeep, « boire l’eau de mer n’est pas ancré dans les habitudes »... Sachez, sceptiques, qu’il s’agirait pourtant d’une « boisson régénérante » composée des « eaux profondes les plus pures » et qu’elle contient « naturellement 78 éléments marins biodisponibles », en « cocktail » avec des « acides aminés » ! Cette « eau des profondeurs marines » est « puisée » – c’est plus élégant que « pompée »… – par un « navire pêcheur d’eau » – c’est plus joliment dit que « bateau-usine » ! Avec tout ça, rechignez-vous à payer cette boisson 3,75 € le litre ?
Teneurs en minéraux inférieures à l’eau du robinet
La liste des ingrédients de ce « cocktail » n’est pas accessible en ligne ? Il suffit de la demander à l’entreprise, qui vous l’enverra immédiatement. Surprise : il s’avère que les teneurs en minéraux sont très faibles, inférieures à celles des eaux minérales et même de l’eau du robinet. C’est le cas du magnésium, par exemple (à 12,8 mg/litre pour Ôdeep, contre 15 à 20 mg pour l’eau du robinet). « Ôdeep est littéralement l’eau de la mer sans le sel, ce produit ne "modifie" ni la composition de l’eau de la mer, ni ses bienfaits » grâce à une « filtration sélective du sel », argue pourtant l’entreprise Ocean Fresh Water, qui commercialise Ôdeep, interrogée par Que Choisir. Toujours selon l'entreprise, « la recette » s'appuie sur « la dilution d'un concentrat » (sic). En réalité, le process – « innovant et secret » – fait chuter les teneurs en minéraux de cette boisson à 2 % de leur teneur dans l’eau de mer. Drôle de cuisine…
Rien de répréhensible, tant que l’eau – pardon, la boisson – est potable. Ce qui pose problème, c’est le message commercial. Le site entretient l’ambiguïté, décrivant les minéraux marins et leur intérêt (antioxydant, anti-stress et anti-fatigue, santé de l’épiderme, croissance des os…), mais il ne spécifie pas si Ôdeep est particulièrement riche en l’un ou l’autre. Pour afficher de telles allégations santé, il aurait fallu des études qui, elles, ne sont pas fournies. Autre pirouette sémantique, l’eau des profondeurs est censée apporter « la juste dose du quotidien » en minéraux, mais sans faire référence aux officiels apports journaliers recommandés (AJR).
Du marketing, pas de justification scientifique
L’argument portant sur les acides aminés de la mer est, il faut le reconnaître, novateur ! Mais pas très sérieux. Les différents chercheurs interrogés n’y voient aucune justification scientifique. « Après le traitement de l’eau [filtration, désalinisation], qui élimine la majeure partie des particules présentes dans l’eau, les concentrations en acides aminés sont très faibles, presque non mesurables », souligne un scientifique. Voyons les choses du bon côté : si les acides aminés, qui sont de très petites molécules, ne passent pas à travers les membranes de filtration, cela signifie que la plupart des polluants non plus ! À 300 mètres de profondeur, les éléments indésirables (hydrocarbures, plastiques, métaux lourds, pesticides, antibiotiques…) se font plus rares, mais la pollution chimique est possible, au gré des courants marins.
« Il y a un bon point, nuance une chercheuse du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Prélever l’eau de mer préserve les réserves en eau douce du continent, alors que la pression sur ces ressources s’amplifie. » Hélas, le procédé lui-même – affréter un gros bateau de 150 mètres de long, désaliniser l’eau, remplir des bouteilles plastique, même « à 85 % biodégradables » – est une « hérésie écologique », frémit un spécialiste de l’eau au CNRS. Pas sûr que les explications d’Ocean Fresh Water le convainquent. « Sans navire, impossible de procéder à la collecte d’une eau puisée à plus de 200 km des côtes, à 300 m de profondeur », plaide l'entreprise, le tout réalisé « dans une démarche globale de réduction de l’empreinte carbone ».
L’Asie dans le viseur
Spécialiste des eaux profondes, l’entreprise Ocean Fresh Water (OFW) n’a pas opté pour la transparence de ses capitaux. Revendiquée familiale, la structure française basée à Hyères (83) est une filiale de OFW Holding Ldt domiciliée à… Malte. L'entreprise précise que le projet a été « financé par des actionnaires privés », français pour la plupart, et que 35 millions d’euros ont été levés pour équiper le navire-usine, basé au port de Sète (34). Il devrait embouteiller 2,5 millions de litres par semaine. Où seront écoulés ces volumes ? Si la France est un « marché prioritaire », c’est en réalité l’Asie qui est le « marché cible » pour la nouvelle boisson. En Chine, au Japon ou en Corée, les eaux des profondeurs océaniques font florès depuis des années… « On peut faire rêver les gens, mais qu’on ne leur raconte pas que boire ce type de boisson va les soigner ! », conclut le chercheur du CNRS.